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Du 20 au 31 octobre 2015
Crépuscule
Texte Marie Gilbert
Mise en scène Odré Simard
Avec Nicola Boulanger, Karine Chiasson, Amélie Laprise, Guillaume Pepin, Catherine Simard et Annie Veillette

Crépuscule, c’est l’histoire de Sarah qui va visiter des « alzheimer» afin d’apprivoiser la vieillesse qu’elle ne rencontre plus dans la rue. Ici, il n’est pas question de ses grands-parents qu'elle voit tous les dimanches, mais d’une salle pleine de « marchettes », de râles et de cheveux blancs. Quelque chose qu’on découvre seulement si on s’y rend. Quelque chose d’assez fort pour la sortir de son impression d’avoir encore et toujours 25 ans. 

Dans cette forêt d’égarés, elle fera la rencontre d’Edmond et de ses enfants qui portent leur colère et leur incompréhension comme des feux pour se réchauffer. À côté d’eux, évolue Irène, encore lucide, qui rêve de faire flamber les arbres pour ouvrir son espace et faire un peu plus de clarté.

Crépuscule est en quelque sorte une expédition au cœur d'un monde trouble aux allures de rêves et de grand flou. Une rencontre avec des personnes atteintes de la maladied'Alzheimer, parfois difficiles à saisir, mais porteuses d'humanité.

Ce récit sensible, coloré et rempli d’humour laisse entrevoir les corridors blafards de nos angoisses tout autant qu’il fait naître des éclats de rire qui nous rassemblent d’un coup sec.


Section vidéo

    

Assistance à la mise en scène Anne-Marie Dumontier
Concepteurs Karine Chiasson, Mathieu Deschênes, Keven Dubois, Sonia Pagé et Odré Simard

Une production L'envolée de valises


Premier Acte
870, de Salaberry
Billetterie : Réseau Billetech 418-694-9656
ou lepointdevente.com
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Critique

Crédit photo : Cathy Lessard

En 2011, Marie Gilbert passe la majorité du mois de février à observer, dans leur milieu de vie, les résidents d’une maison de retraite atteints d’Alzheimer, dans le but de témoigner de leur rythme de vie, de leur quotidienneté et de cette maladie neurodégénérative. De cette résidence bien singulière naît le projet Les Enneigés, qui regroupe une série de portraits dessinés, d’estampes, en plus du spectacle Noces et d’un conte. S’ajoute à cela la pièce Crépuscule, qui relate l’histoire de Sarah – l’alter ego de l’auteure – en visite dans un centre d’hébergement pour « apprivoiser la vieillesse ».

Elle rencontrera Edmond qui ne reconnait plus son fils, le grincheux monsieur Gérard, Cécile, toujours perdue, qui se balance au son d’une musique qui joue inlassablement dans sa tête et qui déborde parfois de sa bouche, et Irène, une femme qui a toute sa tête, mais qui se retrouve tout de même à cet endroit, seule, parce qu’elle s’est voulue libre, sans enfants.

Le texte de Marie Gilbert est sensible et imagé, mais se perd dans la mélancolie du sujet. Par contre, elle touche à plusieurs moments à une certaine vérité, en illustrant la maladie comme une tempête de neige interminable ou en faisant ressortir l’impuissance et la frustration, autant chez les visiteurs que chez les personnes âgées.

Odré Simard, dont on a pu apprécier le talent lors du spectacle de rue Les Piafs qui rendait hommage à la Môme il n’y a pas si longtemps, signe ici sa première mise en scène en salle. Femme amoureuse de la marionnette, elle use de cette technique pour donner vie, entre autres, à Edmond, sous deux tailles différentes. La petite, sortant d’une valise qui cache le décor de chambre à coucher, propose avec doigté l’arrivée de l’homme à la maison de retraite, alors qu’il se réveille et que ses tiroirs de commode, qui propose sur le revers le visage de sa femme en photo et le devant d'une vieille radio, s’envolent et disparaissent. Puis, celle grandeur nature, que l’on verra tout le reste du spectacle, est absolument superbe dans sa fabrication (les scènes entre Edmond et son fils rappelleront d’ailleurs le vieux téléroman À plein temps).

Mais la jeune créatrice tombe malheureusement dans le piège de la surabondance, tant et si bien qu’on se demande quelle est la forme exacte de la pièce. Est-ce un témoignage, par l’entremise de Sarah, qui s’adresse indéniablement à quelqu’un ou à son journal? Une pièce réaliste, aux dialogues concrets entre individus en visite? Métaphorique, avec les mouvements de danse et les innombrables symboles, dont celui de la neige, revenant sans cesse, évoquant par sa froideur et son blanc qui cache toute chose la perte de la mémoire, la vieillesse et la mort? De plus, la mise en scène semble emprunter plusieurs codes et méthodes qui se retrouvent dans le théâtre jeune public - décor, marionnettes, direction d’acteurs - sans pour autant rendre le tout aussi efficace ou à propos pour un public adulte.


Crédit photo : Cathy Lessard

Le décor, qui offre quelques bonnes idées, n’est composé que de quelques valises éparpillées et de deux murs presque entièrement couverts d’un patchwork de différentes tapisseries – un peu à l’image de la pièce. Ouvertes ou fermées, six petites portes-trappes placées dans les murs, évoquant ici un moment onirique, là une fenêtre donnant sur l’extérieur, ou encore un écran de télé, permettent quelques projections, la manipulation de marionnettes et certains jeux d’ombres. La trame musicale de Mathieu Deschênes, donnant une place de choix à l’accordéon, fait vibrer la corde mélancolique et nostalgique chez le spectateur et les personnages.

Marionnettes, projections, ombres, danse, masques : on se retrouve alors devant un spectacle hybride, tout aussi surchargé qu’étonnamment ténu, causé par une certaine lassitude qui s’installe et pèse sur tout le spectacle. Si l’un des objectifs était de montrer la vie presque éteinte des personnes âgées, trainant les pieds, observant sans cesse la jeune inconnue, cela crée du même coup une inertie dramatique, faisant souvent tomber à plat la fin des multiples saynètes. L’humour est pourtant présent, grâce aux répliques du grognon Gérard, et le drame aussi, sous les habits d’Irène, qui prie le Bon Dieu de la sortir de cette langueur, mais les quelques rires ou les crises, quoique bien interprétés, n’arrivent pas à réanimer la représentation. Quelques transitions inutiles et plusieurs longueurs encombrent aussi, malheureusement, le déroulement de la représentation.

En dépit de ces défauts, qui pourraient faire décrocher quelques spectateurs, Crépuscule n’est pas dénué de certaines qualités qui sauront assurément prendre leur place au fil des représentations, dont celle d’aborder certains sujets difficiles, comme la vieillesse, la vulnérabilité et la mémoire, par l’entremise de la marionnette. Pour ceci, bravo à L’envolée des valises, et longue vie.

21-10-2015