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Du 11 au 15 septembre 2012
BashBash
Départ du théâtre de la Bordée.
Texte Neil LaBute
Traduction Vincent Côté
Mise en scène Frédérick Moreau
Avec Vincent Côté, Martine-Marie Lalande, Fanny Migneault-Lecavalier, Guillaume Perreault

En dehors des murs de Premier Acte, dans un quartier de la ville où le meilleur côtoie le pire, vous arpentez les rues en quête de rencontres d’individus de toutes espèces. Vos pérégrinations vous conduisent dans trois lieux de pas-sages propices à la confession.

Dans un hôtel, un homme d’affaires se confie: entre la pression de la performance au travail et sa vie de père de famille, il a dû faire un choix cruel... Dans un lieu mystérieux, une femme raconte l’histoire d’amour passionné et impitoyable qu’elle a vécu avec son professeur alors qu’elle était à l’école secondaire. Et finalement, au bout du parcours, dans un restaurant, un couple mormon vous relate une de leurs plus inoubliables soirées entre amis, qui coïncide avec leur sixième anniversaire de rencontre. Seulement, les amoureux ne sont pas blancs comme neige...

Ces personnages ordinaires, porteurs de tragédies modernes, viennent vous confesser leurs pulsions dévastatrices. Dans un univers dépouillé d’artifices, leurs révélations sordides leur permettront de «mettre de l’ordre» et de réaliser l’ampleur de leurs actes. En sont-ils vraiment responsables? À partir de quand un acte devient-il violent? 

Présentée en première francophone nord-américaine, bash est une des premières pièces de Neil LaBute, auteur américain joué régulièrement à Broadway


Responsable des transitions Carolyne Bolduc

Une production de Théâtre Néo-Trique


Premier Acte - Départ du théâtre de la Bordée.
870, de Salaberry
Billetterie : Réseau Billetech 418-694-9656

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Dates antérieures (entre autres)

Créée à Montréal du 9 au 19 mai 2012 - voir la fiche

 
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 Critique
Critique

par Chloé Legault

Jouée en français pour la première fois au mois de mai dernier à Montréal (voir la critique de mon collègue David Lefebvre un peu plus bas), Bash arrive à Québec bien rodée. Frédérick Moreau nous propose une expérience qui sort des quatre murs d’un théâtre, les trois actes de la pièce se déroulant en trois lieux différents. Une mise en scène qui aurait facilement pu mal tourner, mais qui, heureusement, fonctionne admirablement bien. Ce parcours en trois étapes, ponctué de deux performances, se déroule dans le cœur du quartier Saint-Roch, situé dans la Basse-Ville de Québec.

Premier arrêt : Iphigénie en orem, auberge L’autre jardin. Dans une suite, les spectateurs font la rencontre d’un homme d’affaires (Vincent Côté) porteur d’un lourd secret. Employé dans une grosse boîte, il apprend par un ami que son poste est menacé, qu’il sera remercié au retour de la fin de semaine. Comment s’en sortira-t-il? Les emplois sont rares, même lorsque l’on possède un MBA, il craint pour le bien-être de sa famille. Ce même jour, sa petite Emma, à peine âgée de 5 mois, meurt étouffée par ses couvertures. Le malheur semble s’acharner sur cet homme, à moins qu’il en soit lui-même l’auteur? Ce père de famille ne sachant plus à qui se confier s’ouvre à un inconnu rencontré au bar de l’hôtel. Cet inconnu est en quelque sorte le public, et c’est à lui que s’adresse Côté, en passant du tutoiement au vouvoiement. Il lui raconte alors sa tragique histoire aux échos de mythe grec. Vincent Côté interprète ce personnage avec justesse et nuances. Il rend bien sa détresse, le combat intérieur qu’il doit mener chaque jour.

Deuxième arrêt : Medea redux, salle étroite cachée dans Saint-Roch. Ici, Martine-Marie Lalande prête ses traits à une jeune femme aveuglée par l’histoire d’amour qu’elle a vécue, bien des années plus tôt,  avec son enseignant de science au Junior High, alors qu’elle n’avait que 13 ans. Lalande nous propose un personnage adulte aux manières encore adolescentes, et on y croit. Dans un récit qui suit le trajet de la mémoire, elle relate son histoire, assise derrière une table sur laquelle est posé un enregistreur, à un enquêteur de police, probablement. Elle ne semble pourtant pas avoir porté plainte contre son prof qui, il y a de ça environ quatorze ans, l’a mise enceinte et l’a quittée. Comment et pourquoi a-t-elle donc abouti dans une salle d’interrogation? Une autre histoire qui rappelle la mythologie grecque, une tragédie moderne racontée dans un texte bien ficelé, qui de fil en aiguille nous dévoile le drame.

Troisième et dernier arrêt : Une meute de saints, terrasse du bar l’Agitée. Sous forme de monologues en parallèle, un couple mormon nous raconte une soirée mémorable entre amis ayant eu lieu au légendaire Hotel Plaza, à Manhattan. Les jeunes amoureux fêtaient d’ailleurs leur sixième anniversaire ce soir-là. Tout est parfait, ou du moins c’est ce qu’on veut faire croire. La femme, interprétée avec un judicieux et délicieux soupçon de snobisme par Fanny Migneault-Lecavalier, raconte une belle histoire, sans tâche, ni anicroche. C’est grâce à la confession de l’homme, joué avec beaucoup d’intensité par Guillaume Perreault, que l’on apprendra qu’en réalité, tout n’est pas si beau. Plutôt conservateurs, ces jeunes mormons ont en fait une histoire entachée de sang. Pour avoir la belle, le bellâtre a d’abord dû combattre l’ex-petit ami de celle-ci. Plus tard, c’est contre un homosexuel que lui et sa « meute » en auront. Qui est réellement en mesure de distinguer le bien du mal?

L’intimité créée par la proximité du public et des comédiens confère énormément d’intensité à ce spectacle. Le texte ne semble pas avoir perdu de sa force ou de son intérêt en passant de l’anglais au français ; Vincent Côté a su traduire les mots de Neil Labute avec finesse et intuition. Montée pour la première fois en 1999, la pièce de Labute restera encore longtemps perturbante, parce qu’actuelle. Critique d’une société violente et bien-pensante, Bash expose les drames d’une vie humaine, qu’elle soit rongée par la pression de la performance, par l’amour destructeur ou encore par l’intolérance et le paraître.

13-09-2012


 

par David Lefebvre (lors de la création à Montréal, mai 2012)

L’auteur et réalisateur Neil LaBute (In the Company of Men, The Wicker Man) propose au travers de ses nombreux textes de théâtre – pensons à Autobahn, présenté à la Licorne il y a quelques années, ou plus récemment à Fat Pig au Théâtre Ste-Catherine ou à The Shape of Things à l’Espace 4001 – un style très masculin, incisif, aux accents très familiers et aux nombreux clins d’œil à la culture populaire. L’une de ses premières créations pour les planches, Bash, regroupe trois courtes pièces en un acte, deux monologues et un récit en parallèle, explorant toute la complexité de la violence et de la notion du mal dans un univers perverti de gens ordinaires.

Pour son premier projet, le Théâtre Néo-Trique présente, en première nord-américaine, la version française de ce triptyque qui avait fait scandale off-Broadway, et qui, selon les dires, aurait poussé l’auteur à quitter sa communauté religieuse après qu’elle lui ait imposé une sanction disciplinaire. C’est que chaque personnage provient d’une branche différente de la religion mormone, et celle-ci aurait vu en Bash un texte diffamatoire.

Le comédien Vincent Côté traduit avec acuité et force cette écriture à la fois obscure, floue à la surface, notamment à cause des nombreux tics verbaux ou « ponctuants oraux », mais profondément vicieuse, fourbe. Comme si l’on marchait dans un espace de plus en plus sombre, et qu’une trappe s’ouvrait sous nos pieds. La mise en scène de Frédérick Moreau (Le système Ribadier, Le Dindon remix) met le texte en valeur, grâce à une belle distribution et une direction précise, où chaque détail compte, que ce soit les regards, les intonations ou encore la manière de tenir une bouteille. Pour plonger davantage le spectateur au cœur de ces histoires noires, celui-ci est convié à trois endroits différents : un hôtel, une salle de répétition, qui fait office de salle d’interrogatoire, et un restaurant. Un déambulatoire, donc, qui tire grandement parti des lieux réels, mais qui, par ses déplacements, y perd malheureusement au change. L’intensité de chacune des trois parties profite des endroits qui collent expressément à chaque récit, mais s’effrite lorsque le groupe doit se déplacer durant de longues minutes d’un point à l’autre, et ce, malgré la trame sonore hétéroclite de Maxime Béliveau, accompagnant les marcheurs, crachée par de petites stéréos que les guides transportent, offrant bruits, battements de cœur et extraits musicaux variés, allant de Billie Holliday à Likke Li, en passant par Alela Diane et Bernard Herrmann. Le premier soir, alors que le spectacle devait durer environ 100 minutes excluant les déplacements, le tout s’est terminé après trois heures de représentation.

Iphigénie en orem raconte l’épreuve d’un père de famille et homme d’affaires, MBA en poche, qui voit son poste être possiblement aboli au profit d’une collègue qu’il exècre. Le jour même qu’il apprend la rumeur, sa plus jeune fille, Emma, meurt étouffée sous le couvre-lit du lit de ses parents. Hasard? Récit sur la pression professionnelle et familiale, l’homme fait de durs choix, voire cruels. Vincent Côté incarne avec assurance et fragilité cet homme qui ressent terriblement le besoin de se confier ; comme il ne peut le faire ni à la police, ni à la maison, ni au bureau, c’est le premier venu, dans cette suite d’hôtel, qui écope. Si le comédien est juste et même touchant, démontrant à demi-mot le vide existentiel et la rationalisation de ce funeste événement d’aucune noblesse, le public se positionne mal envers son propre rôle, principalement parce que le personnage passe de la deuxième personne du singulier à la deuxième personne du pluriel (le tu - le vous). Du témoin invisible singulier, le public se transforme en une foule qui écoute attentivement l’homme ; sommes-nous une seule entité ou un groupe en conférence? Pour amplifier le sentiment de voyeurisme et l’intensité du drame, peut-être aurait-il mieux fallu qu’une seule personne soit prise à part pour jouer ce rôle précis.

Si le titre du premier texte évoque la mythologie grecque, le deuxième, Medea Redux, y fait directement référence, grâce à Euripide. Elle raconte le récit de cette femme qui, à ses treize ans, connut une histoire d’amour avec un de ses professeurs, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Martine-Marie Lalande, d’un ton parfois détaché, parfois très adolescent, se confesse, elle aussi, à propos de cette passion dévorante, dont elle goutte encore sur ses lèvres le tout premier baiser, et du triste sort de son fils Billy. La comédienne maitrise bien la langue et ses sautes d’humeur ; grâce aux longs silences, elle maintient l’attention de chaque spectateur. Sournoisement, LaBute parle de la motivation d’une jeune femme à se venger, sans même qu’elle comprenne réellement l’impact ultime de ses gestes ; une Médée on ne peut plus moderne. Un froid parcourt la salle lorsqu’elle mentionne tout bonnement qu’elle planifiait son geste depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne pourrait l’imaginer.

La dernière partie, Une meute de saints, place côte à côte un couple parfait, interprété par Guillaume Perreault (John) et Fanny Migneault-Lecavalier (Sue), au milieu d’un restaurant. À New York pour un grand party (un bash) qui coïncide avec leur sixième anniversaire de rencontre, deux tourtereaux et leurs amis festoient allègrement. Le récit, raconté en parallèle, les comédiens ne s’adressant jamais la parole, commence sur un ton léger, naviguant de clichés de collège américain, d’ex petit-ami se faisant tabasser par le nouvel élu, à clichés de familles conservatrices. Une fois la jeune femme bien endormie dans son lit à l’hôtel, le copain et deux comparses du collège se promènent dans Central Park et tombent sur un homosexuel qu’ils battent à mort, tout en priant autour du corps en sang ; un acte d’une hypocrisie redoutable. John donne à Sue, lors du déjeuner, une bague en or, qu’il a volé au doigt de l’homme mortellement blessé. Si la fille représente une certaine naïveté, malgré son excitation à la vue du sang, lui est l’incarnation de l’horreur sous les traits d’un bel homme. L’excitation, l’arrogance et le détachement dont il fait preuve subjuguent et font craindre le pire. Les derniers moments font comprendre que John n’en sortira pas indemne, tout comme les deux protagonistes des histoires précédentes.

Bash n’offre que peu de réponses, et provoque un continuel questionnement sur l’amoralité, l’insouciance, les pulsions, les atrocités commises au nom d’une certaine futilité et les valeurs intrinsèques corrompues. Aucune rédemption, aucune sortie de secours ; comment des hommes et des femmes ordinaires peuvent-ils causer la mort, faire un mal effroyable autour d’eux et à eux-mêmes, pour de si insignifiants résultats au plan social? Où commence la violence? Et s'arrête-t-elle un jour?

Montée à travers le monde depuis sa création en 1999, Bash demeure une pièce tout aussi horrifiante que fascinante. Le jeu des comédiens est solide, et la mise en scène, sans choquer, permet au texte de se frayer un chemin jusqu’à notre esprit perturbé. Dommage qu’il ait le temps d’absorber totalement les coups, lors des longs déplacements entre chaque morceau.

10-05-2012