Du 16 mars au 3 avril 2010, 20h

Bang!?

Texte création collective
Idée originale : Matthew Fournier
Mise en scène : Michel Nadeau
Avec Jean-Pierre Cloutier, Matthew Fournier, Marie-Hélène Gendreau et Martin Perreault .

L'équipe de rêve était formée d'abord et avant tout de trois bons amis : un réalisateur, un comédien et une comédienne. Les deux comédiens s'étaient rencontrés durant leur Conservatoire ; tantôt amis, tantôt amoureux, leur histoire n'avait jamais été simple. De l'idéation jusqu'au tournage, tout le monde avait mis la main à la pâte pour concevoir ce court-métrage. Aujourd'hui, on complète le tournage. La comédienne menace son partenaire avec un fusil. On ne tourne la scène qu'une seule fois. Elle tire, il s'effondre ; panique sur le plateau. Face contre sol, baignant dans son sang, le comédien ne se relève pas.

Que s'est-il passé? Pourquoi le fusil était-il véritablement chargé ? Pourtant, le réalisateur avait bien vérifié l'arme avant de l'emprunter à son frère. Est-ce un meurtre, un accident, une mauvaise farce qui a mal tourné? Qui aurait chargé le fusil? La comédienne? Un des techniciens? Le comédien lui-même? Étrangement, plus on s'y attarde, plus l'histoire même du court-métrage laisse sous-entendre des réponses à toutes ces questions. On ne peut pas nier les étranges croisements entre la fiction et la réalité.

Dans une structure déconstruite, du présent au passé, de la réalité aux images tournées, appuyée par de multiples procédés de projection vidéo, cette pièce ne vise pas du tout le style " intrigue policière ". L'histoire va bien au-delà de ça. Les relations des personnages et leur passé ont beaucoup plus à raconter qu'une simple histoire de " Clue ".

par Odré Simard

Comme ils en ont assez d’attendre les projets qui ne se présentent pas, quatre amis décident de prendre leur avenir en main. Ils s’aventurent ensemble dans l’exécution d’un court-métrage qui pourra leur ouvrir des portes, espèrent-ils. Le groupe est formé d’un couple d’acteurs, Mathieu et Mary (Matthew Fournier et Marie-Hélène Gendreau), de J-P le caméraman (Jean-Pierre Cloutier) ainsi que Pero à la  réalisation (Martin Perreault). Contre toute attente, ce qui devait être un propulseur dans leur jeune carrière d’artiste, fut en réalité un événement tragique pour l’un des membres. Le drame survient lorsque le groupe tourne une scène impliquant une arme à feu supposément inoffensive qui finalement était bel et bien chargée. À ce moment précis, la frontière entre réalité et fiction est complètement brouillée puisqu’il s’agit justement de l’idée principale du court-métrage; une mort accidentelle qui rejette la culpabilité sur les proches. Comble de l’absurdité, J-P se retrouve en possession des images de la mort de Mathieu puisqu’il filmait l’intégralité du tournage pour le making of de leur projet.

Les productions Point d’Interrogation nous propulsent dans une mise en abîme d’un drame troublant. BANG?! nous expose la mort d’un acteur (Mathieu) qui tournait un court-métrage où le personnage qu’il incarne meurt accidentellement, alors que celui qui endosse ces deux rôles, l’acteur dans notre réalité (Matthew Fournier), s’est inspiré d’un événement quelque peu semblable survenu dans son entourage il y a quelques années. L’histoire nous invite à réfléchir sur notre rapport éthique à la mort d’autrui, en tant qu’observateur passif. Car l’histoire ne termine pas avec la mort de Mathieu, c’est plutôt le point pivot de la pièce qui d’ailleurs nous est présentée de façon déconstruite au niveau chronologique. J-P fera un montage particulièrement frappant avec les images de la mort de leur compagnon ce qui engendrera une polémique au sein du groupe. Perro est convaincu que ces images doivent être vues alors que Mary leur défend ardemment la diffusion de cette vidéo qu’elle considère comme de mauvais goût.

En ce sens, les concepteurs de BANG?! mettent carte sur table dès notre arrivée dans la salle de Premier Acte car nous somme accueillis par une projection vidéo d’un jeu-questionnaire du type « saviez vous que… », comme ceux que l’on retrouve au cinéma. Par contre le sujet diffère, il est ici question de personnalités sportives, politiques ou culturelles qui sont décédées devant les caméras. Ces personnalités, telles que John F. Kennedy ou encore le lugeur Nodar Kumaritashvili qui a perdu la vie récemment lors des olympiques, nous laissent avec un accès troublant aux archives vidéo de leur mort. Qu’est-ce qui alimente cette curiosité malsaine qu’a le commun des mortels à vouloir regarder par milliers ces images dérangeantes? Sommes-nous trop blasés par les morts sanglantes et si récurrentes du cinéma qu’il nous faut alors plus de réalisme? Ou alors cherchons-nous à nous confronter au malaise que nous offrent ces images, nous pour qui la mort se fait plutôt discrète au quotidien puisque quelque peu loin de la guerre et des catastrophes naturelles?

Les productions Point d’Interrogation ont bien su jongler avec les divers éléments de leur mise en scène. Certains jeux scénographiques, avec les structures arborant un écran de projection, sont très intéressants, surtout lorsqu’ils servent à délimiter l’espace. Un bravo tout particulier doit être dit pour l’intégration de la vidéo : le défi était grand, puisque la pièce portait justement sur un court-métrage et sur l’idée que le fameux montage de J-P était formidable. Matthew Fournier et Jean-Philippe Côté ont effectivement fait un travail de qualité qui sait nous émouvoir.

Par contre, avec un propos aussi délicat, il est difficile de départager d’où proviennent réellement les émotions que l’on vit; de ce qui est fait sur scène ou encore de nos propres projections sur le sujet? Traiter de la mort d’un individu au théâtre n’est pas chose nouvelle, mais demeure nécessairement chose délicate. Sans révolutionner, les productions Point d’Interrogation font tout de même une proposition qui nous remue en dedans.

21-03-2010