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Du 14 avril au 9 mai 2015, 19h30 (28 avril à 13h)
ChatteLa Chatte sur un toit brûlant
Texte : Tennessee Williams
Adaptation : René Dionne
Mise en scène : Maxime Robin
Avec Vincent Champoux, Marie-Ginette Guay, Valérie Laroche, Jean-Nicolas Marquis, Jean René Moisan, Michel Nadeau, Patric Saucier, Sophie Thibault, Cynthia Trudel

Dans une riche villa du Mississippi, une famille célèbre l’anniversaire du père, propriétaire d’une vaste plantation de coton. Le plus jeune des fils a sombré dans l’alcool après le suicide de son meilleur. Mais sa femme Maggie, la chatte, veut le reconquérir. Les tensions familiales vont inévitablement éclater alors que les hypocrisies vont être dénoncées et que bien des illusions vont tomber. Pour la première fois à la Bordée, Tennessee Williams.


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Assistance à la mise en scène : Charlotte Legault
Décor : Marie-Renée Bourget Harvey
Costumes : Maude Audet
Lumières : Keven Dubois

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $

Production La Bordée


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Créée à Broadway en 1955 et récipiendaire, la même année, du Prix Pullitzer Œuvres théâtrales, La chatte sur un toit brûlant (Cat On A Hot Tin Roof) est assurément, avec peut-être Un tramway nommé désir, la pièce la plus connue et appréciée du répertoire de Tennessee Williams. Plusieurs grands acteurs de notre époque, dont Burt Ives, John Carradine, Kathleen Turner, Ashley Judd, Terrence Howard, James Earl Jones, Ciarán Hinds et Scarlet Johansson ont incarné certains rôles de cette pièce typique de l’Amérique du milieu du siècle.

C’est l’anniversaire de Big Daddy, patriarche d’une riche famille du Mississippi, propriétaire d’une immense plantation de coton. Se sentant plus vivant que jamais, il festoie joliment avec sa famille ; pourtant, il se meurt d’un cancer, une information qu’on cache au vieux couple pour ne pas l’affoler. La vérité devra tôt ou tard éclater, d'autant plus que le fils ainé, Gooper, et sa femme Mae convoitent la succession du domaine. La belle et déterminée Maggie, dit la Chatte, mariée à Brick, le cadet de la famille et ancienne vedette de football, ne laissera pas passer sa chance et défendra coûte que coûte sa part du gâteau, malgré l’indifférence totale de Brick. Leur mariage s’effrite, alors que Brick se noie corps et âme dans l’alcool, après le suicide de son meilleur ami Skipper. Inconsolable, il ingurgite verre après verre sa détresse et son homosexualité refoulée, tout en repoussant les avances incessantes de sa femme qui, malgré son immense insatisfaction, sa tolérance et tout le désir qu’elle lui porte encore, tente de lui faire entendre raison.

Après Alexandre Fecteau pour Les fées ont soif en début de saison, le directeur artistique de La Bordée, Jacques Leblanc, a fait confiance à un autre jeune créateur, soit Maxime Robin (NoShow, Viande, Photosensibles), pour la mise en scène d’un des spectacles de la saison 2014-2015. Sans révolutionner le genre, cette toute première mise en scène pour une grande institution de la ville s’avère généralement fort agréable.

Sa version de cette Chatte au toit brûlant est aguichante et parfois incendiaire, notamment grâce aux charmes libertins que Maggie exhibe sans pudeur - exit, d'ailleurs, la petite nuisette blanche rendue célèbre par Elisabeth Taylor, bienvenue aux dessous affriolants. Maxime Robin sonde avec autant de légèreté que de gravité les thèmes de la pièce, dont la vie, la mort, l’amour, mais surtout l’abandon, le rejet et l’hypocrisie, ce trait typiquement humain qui était au cœur de l’inspiration de Williams lors de l’écriture du texte au début des années 50.


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

L’un des bons coups de Robin se trouve dans le décloisonnement du texte et de l’utilisation de l’espace : la pièce respire, ose sortir de la chambre de Brick (où se passe toute l’action) pour vivre hors de la scène. Dès l’entrée en salle, le public est confronté aux comédiens qui mangeant et fêtent dans le petit lobby du théâtre, au premier étage ; on les entendra d’ailleurs à plusieurs reprises durant la première partie, parler et crier de l’extérieur. Ils utiliseront aussi les escaliers de la salle pour aller ou sortir de scène. Sur celle-ci trône une reproduction de la maison familiale, typique de la Louisiane, qui s’ouvrira en début de représentation pour recréer la chambre à coucher de Maggie et Brick, et ce, de très jolie manière.

Le principal problème du spectacle réside dans l’adaptation que La Bordée a décidé d’utiliser.  Datant du début des années 80, cette traduction de René Dionne était à l’origine une commande de la Compagnie Jean-Duceppe. Très, voire trop québécoise, se comparant presque à du Michel Tremblay, la traduction ne rend pas ici service au propos. Alors que d’un côté, elle tente de raccorder les personnages à notre culture et à nos repères linguistiques, de l’autre, les expressions québécoises et l’accent du Saguenay de Mae, qui remplace, en français, celui du sud des États-Unis, dédramatisent totalement les moments plus tragiques de l’histoire, déclenchant parfois les rires malgré eux. La chaleur du Mississippi et l’atmosphère de la plantation nous manquent cruellement, malgré les intermèdes chantés par Cynthia Trudel à la manière des esclaves noirs. Les chansons, entonnées avec une certaine ferveur, mais manquant parfois d’harmonie, vont d’Ella Fitzgerald (Round Midnight) à Mary Lambert (She Keeps Me Warm).


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Les comédiens campent solidement leurs personnages, même s’ils quittent rarement l’aspect premier de leur personnalité. Vincent Champoux et Valérie Laroche portent le couple Gooper/Mae avec aisance ; Marie-Ginette Guay incarne une Big Mama plutôt naïve, même frivole pour une femme à la tête d’une plantation, mais relativement sympathique, alors que Patric Saucier joue Big Daddy d’une imposante manière, avec autant de grossièreté que d’aplomb. Sophie Thibeault interprète avec volupté et arrogance une Maggie en chaleur, qui ne s’en laisse pas imposer et qui trouve la faille dans le système familial, et Jean-René Moisan offre un Brick parfait, désabusé, écoeuré, las, dont la blessure à la cheville et la béquille sont les métaphores frappantes de son mal à l’âme et de son verre d’alcool dont il a tant besoin pour continuer à vivre. Le dialogue entre le père et le fils, lors de la seconde partie de l’acte 2, explorant les raisons de boire de Brick, restera assurément le moment le plus poignant et réussi de la représentation.

Cette Chatte sur un toit brûlant clôt avec une certaine douceur la saison 2014-2015 de La Bordée, sous le signe du classique renouvelé. Dommage que la finale, ramenant les comédiens sur scène, chantant et se prenant dans leurs bras, vienne atténuer le ton plus amer qui se dégage à la toute fin de la pièce.

16-04-2015