Du 2 au 27 novembre 2004
Cérémonial sur les berges d'une île fictive du Saint-Laurent où vivent des êtres rares, singuliers. Cette communauté à la dérive se débat pour aimer et pour s'aimer, et le manque qui les habite résonne dans les hurlements entêtants des chiens et la fureur des « party rage ». Leur quotidien verra peu à peu une histoire d'amour se dessiner autour de Niky et Djoukie, les deux plus jeunes, dont l'idylle semble destinée à souder toutes les autres. Dans une ultime tentative de sauvetage, ils scanderont en écho ce chant troublant et sensuel : « Au secours d'amour ! ».
L'auteur Daniel Danis, originaire du Saguenay, est l’une des voix importantes du théâtre contemporain. Nommé Chevalier des Arts et des Lettres, Danis est l'un des auteurs québécois dont les textes connaissent un énorme succès en Europe. Sa pièce, Le Langue-à-langue des chiens de roche, a été présentée à la Comédie-Française en plus de recevoir le prestigieux Prix littéraire du Gouverneur général en 2002. S'étant déjà attaqué à plusieurs des œuvres de Danis, dont Cendres de cailloux et Le Chant du Dire-Dire, le tandem Gill Champagne – Jean Hazel assurera la mise en scène et la scénographie de ce texte à la poésie touchante et surprenante.
Texte de
Daniel DanisMise en scène
Gill ChampagneAvec
Yves Amyot, Marie-Josée Bastien, Pierre Gauvreau, Hugo Lamarre, Linda Laplante, Éric Leblanc, Christian Michaud, Klervi Thienpont, Marjorie VaillancourtConception
Jean Hazel
Jennifer Tremblay
Gaëtan Siouï
par Marie-Hélène Harnois
Le langue-à-langue des chiens de roche ; un titre de pièce qui ne peut que nous rendre curieux d’en découvrir davantage. Cette œuvre de Daniel Danis, mise en scène au Théâtre du Trident par Gill Champagne, est une combinaison explosive de ressentiments, d’amitié, d’isolement, de sexe, de chair, de chiens et d’amour. Des textes originaux, dénués de superficialité, mis en valeur brillamment par une mise en scène hors du commun, par des acteurs fougueux et vivants ainsi que par un choix des costumes longuement étudié. Bref, une heure cinquante minutes de jeu sans entracte, sans relâchement et sans aucune longueur.
Plongés dans un décor à la fois élaboré et sobre, où des troncs d’arbres sont suspendus au plafond à l’horizontal, où la lumière bleutée nous fait croire à un soir de pleine lune, les six acteurs font leur entrée en scène accompagnés chacun d’une chaise de patio. Ils sont précédés par l’entrée remarquée de deux jeunes comédiens, Niki et Djoukie, dansant sur des rythmes enflammés, joués par un neuvième personnage, un percussionniste qui restera sur scène tout au long de la pièce.
S’en suit une succession de tranches de vie « mordantes » où chaque personnage, à tour de rôle, se vide le cœur et se libère du mal qui les ronge. Par les textes évocateurs, tragiques mais teintés d’humour, doublé d’un jeu émotif, le public découvre la personnalité flamboyante, voire parfois effrayante, des personnages. Que ce soit de la jeune Djoukie, qui représente la jeune idéaliste dénouée de présence masculine; Niki, l’amoureux légèrement retardé, gentil et naïf prêt à découvrir la vie, ou la jolie Murielle, pucelle qui sous ses airs de top modèle cache un côté suicidaire qui l’aide à attirer l’attention. Et que dire de la mère de Djoukie, Joëlle, l’Amérindienne chassée de la réserve, ayant brisé des cœurs et préférant maintenant partager ses nuits avec des chiens plutôt qu’avec la gente masculine…
L’histoire tourne autour de l’amour, de la vie, de la détresse, du mal de vivre, de la famille. Isolés, voire incompris, les gens de l’île fuit la réalité le temps de quelques « party-rage » où l’on boit une boisson aphrodisiaque et illégale et où l’on se défoule en lapidant un chien et en s’envoyant en l’air. Que l’on se rassure, aucun « party-rage » n’est réellement mis en scène. Sans être très différente du dénouement de Roméo et Juliette, la fin de la pièce de Danis étonne.
En plus des arbres suspendus au ciel, le décor est complété par un bassin d’eau, encastré dans le sol, par les chaises de patio des personnages ainsi que par un fond de scène légèrement en pente, représentant un rocher où les deux jeunes personnages se réfugient. Très efficaces, ces éléments forment à eux seuls le décor utile pour faire vivre le texte de Danis.
Le bassin d’eau est souvent utilisé lorsqu’une scène se termine. Les acteurs n’hésitent pas à sauter dans l’eau et à jouer le reste du temps mouillés. Les chaises quant à elle symbolisent l’absence des personnages. Lorsqu’un de ceux-ci s’y assoit, il n’intervient plus, il laisse la place aux autres, exception faite pour certaines scènes où les chaises sont utilisées comme lit ou comme moto.
Bien qu’un percussionniste soit sur scène tout au long de la pièce, le metteur en scène a préféré utiliser ses personnages pour ce qui est des « effets spéciaux » sonores. Aboyant pour imiter les chiens, frappant leur chaise contre le sol pour faire croire au son des coups de fusil, les personnages sont appelés à intervenir au beau milieu d’une scène où logiquement, il n’y serait pas. Tout cela se fait sans que l’on ne perde le sens du texte ni le sens des mots.
Les acteurs, intervenant rarement tous ensemble, ne sortent jamais de scène. Un autre metteur en scène aurait pu choisir d’utiliser les entrées et sorties fréquentes mais l’idée que les personnages, une fois assis silencieusement sur leur chaise, n’interviennent plus, fait ressortir la petitesse de l’île où les personnages sont confinés et où ils tentent tant bien que mal de survivre. Cette façon de faire intéragir les acteurs fascine et donne énormément de cachet à la pièce.
De façon imagée et très exagérée, les textes font ressortir des thèmes et des types de personnalité courants. On se demande par contre comment un homme a pu imaginer de telles histoires et on n’ose pas penser que cela peut se passer ainsi dans certains lieux éloignés...
Ce qui est certain, c’est que Champagne et Danis font un duo impressionnant. Les acteurs, tant par leurs personnalités que par leur jeu, sont touchants. Les costumes reflètent leur intérieur et favorisent grandement la crédibilité des personnages. Impossible de ne pas remarquer qu’un budget d’importance a été mis tant sur les costumes que sur les décors. Le style de la pièce est réfléchi mais facile d’accès, se voulant à la fois simple et complexe, savoureux, et qui n’a de choix que de plaire par sa bizarrerie. Le langue-à-langue des chiens de roche, tel que présenté au Théâtre du Trident, est sincèrement un rendez-vous incontournable.