En supplémentaires les 24, 25 et 26 mars 2005, 20h et 26 mars 2005 14h
Au TNM du 11 avril au 6 mai 2006 - suppl. du 9 au 19 mai 2006

Paris, 1867. L’exposition universelle attire des milliers de visiteurs, dont un certain Hans Christian Andersen, célèbre pour ses contes pour enfants. Ce dernier est vivement impressionné par les pavillons nationaux et l’évolution technologique qui s’y annonce ; il s’en inspire d’ailleurs pour écrire un de ses contes.

Un siècle plus tard, un Canadien quitte son propre pays pour se rendre à son tour dans la capitale française. Il laissera derrière lui la modernité d’un pays pour fouiller le terrain de ses lointaines origines. Sur les traces d’Andersen, il essaiera de mieux comprendre son univers en confrontant le monde de l’auteur et le sien.

Ce spectacle, conçu et interprété par Robert Lepage, est présenté en première mondiale au Théâtre du Trident. Par la suite, il fera route vers quelques villes européennes avant de connaître sa principale diffusion au Danemark, dans le cadre des événements célébrant le 200e anniversaire de la naissance d’Andersen.

Texte, mise en scène et interprétation
Robert Lepage

Une coproduction du Théâtre du Trident et de Ex Machina

Du 22 février au 19 mars
En supplémentaires les 24, 25 et 26 mars, 20h et 26 mars 14h
Billetterie : (418) 643-8131 ou 1-877-643-8131
www.letrident.com

Au TNM du 11 avril au 6 mai 2006 + suppl.
Billetterie : (514) 866-8668

 

par Magali Paquin

Preuve qu’il est attendu, une foule de journalistes étaient présents en cette rencontre avec Robert Lepage, ce 1er février 2005. « Le projet Andersen », le dernier spectacle solo de l’auteur, metteur en scène et interprète sera en effet présenté en première mondiale dans la Capitale du 22 février au 19 mars . Y’a de quoi trépigner d’impatience.

Pour sa sixième mise en en scène au Théâtre du Trident, Robert Lepage se lance cette fois dans une biographie du Danois Hans Christian Andersen, dont les contes pour enfants ont fait le tour du monde. C’est pour souligner le 200e anniversaire de sa naissance que la couronne danoise –rien de moins !- a insisté auprès de Lepage pour monter ce spectacle. Insisté n’est pas peu dire, puisque Lepage a refusé une première fois, le sujet ne l’inspirant aucunement. On est revenu à la charge pour l’amadouer ; c’est finalement une biographie avec extraits du journal personnel d’Andersen qui a permis à Lepage de découvrir le visage méconnu de l’auteur. Un côté glauque, trouble, loin du « cucu-praline » de ses histoires pour enfants, et c’est exactement cela qu’il fera découvrir sur les planches prochainement.

Robert Lepage s’intéressera aux contes méconnus d’Andersen – il en a écrit plus de 150, en plus de romans, de pièces de théâtre, de poésie – tout en situant l’action dans le monde contemporain. Ses racines québécoises seront toujours visibles dans les personnages incarnés ; on fera un saut vers l’Opéra de Paris – ce qui permettra à Lepage d’évacuer plusieurs frustrations !- ; on pourra noter un parallèle entre l’Expo de Paris et celle de Montréal, exactement cent ans plus tard. Bien que Lepage ait le souci de permettre à tous de puiser dans ses pièces et d’en extirper ce qui leur convient, il fait toutefois une mise en garde : ce spectacle ne s’adresse pas nécessairement à un jeune public. En fait, mieux vaudrait que les parents viennent d’abord voir la pièce avant d’y amener leur progéniture ou de donner leur aval pour une sortie scolaire. Mais, assure-t-il, bien que le côté noir et ambigu d’Andersen soit mis de l’avant, la pièce demeure ludique malgré tout… Bref, cela semble intriguant, inspirant.

Mieux vaut sauter sur l’occasion quand elle passera, car « Le projet Andersen » quittera rapidement Québec pour une grande tournée des villes européennes et le retour de la production n’est pas assuré pour le moment, du moins dans un avenir proche. Avec les nombreux projets de Robert Lepage présentement en cours, dont le spectacle KÀ du Cirque du Soleil, il s’agit assurément d’une opportunité incroyable de voir l’artiste en action sur les planches, en solo qui plus est. À côté de l’entreprise titanesque qu’est le cirque, son spectacle s’apparentera, selon ses propres mots, à du « Lepage unplugged ». On s’en accommodera avec plaisir.

01-02-05

 

par Magali Paquin

Tout le gratin s’est déplacé pour la représentation du solo dernier-né de Robert Lepage, « Le projet Andersen », en première mondiale au Grand Théâtre de Québec. Si l’enfant-chéri du théâtre québécois, maintenant impliqué dans les plus grosses productions mondiales (dont le spectacle KÀ du Cirque du Soleil à Las Vegas) relève encore une fois le défi, sa pièce demeure pourtant sujette à l’amélioration.

Approché par la couronne danoise pour souligner le bicentenaire de la naissance de l’auteur Hans Christian Andersen, Robert Lepage a choisi d’aborder l’homme sous un angle méconnu. C’est qu’Andersen menait paraît-il une vie bien loin de la saveur sucrée de ses contes pour enfants et fréquentait plutôt des milieux glauques et vivait une sexualité trouble. C’est à travers un jeune auteur québécois, engagé pour l’écriture de l’Opéra pour enfant « La Dryade » d’Andersen, que l’on devine la vie de ce dernier personnage plus qu’elle n’est explicitée. Lepage revêt tour à tour la peau de ce québécois plutôt modeste, du directeur de l’Opéra de Paris flirtant avec le sado-masochisme ou d’un concierge maghrébin taggeur à ses heures. Ceux-ci, doit-on comprendre, sont le reflet de certaines facettes ou étapes de la vie de l’auteur danois. L’action juxtapose l’époque actuelle et celle de l’exposition universelle de 1867, alors qu’Andersen, vieillissant, voit naître un monde moderne venant remplacer l’univers qu’il a connu, un thème qui se retrouve justement dans le conte « La Dryade », dont plusieurs extraits sont présentés au cours de la pièce.

Celle-ci doit être considérée comme un « work-in-progress », c’est-à-dire un travail non-figé, en constante évolution et passible de modifications majeures comme soudaines. Actuellement d’une durée de deux heures trente sans entracte, les longueurs sont présentes malgré l’intérêt que suscite chacune des scènes. Les histoires et anecdotes secondaires prennent en effet une grande place et malgré les rires qu’elles peuvent susciter et l’atmosphère qu’elles tendent à créer, on peut parfois se questionner sur leur pertinence. Lepage semble se faire plaisir en brossant un portrait incisif de l’Opéra de Paris et de la haute culture française. Son texte est à ce point de vue un pur délice et, conjugué à son jeu formidable (comme toujours…), son solo est totalement immunisé contre l’ennui.

La mise en scène, dans une perspective multidisciplinaire qui lui est propre, utilise à la fois le langage cinématographique et le langage théâtral. Un gigantesque écran est le lieu de projections d’images 3D, de photos ou de vidéos permettant de se situer dans différents lieux, d’ailleurs indiqués en légende au bas de la scène. Les extraits en danois de « La Dryade » y sont traduits de la même manière pour favoriser la compréhension des spectateurs. L’écran laisse parfois place aux cabines d’un sex-shop ou aux arbres cylindriques d’un parc public, des lieux récurrents dans le récit. Si chaque changement de décor s’exécute de façon automatisée, preuve des importants moyens financiers mis à la disposition de Lepage, ils nécessitent par contre encore quelques ajustements. De plus, il y aurait matière à tenter de renouveler le procédé, somme toute un peu répétitif : une fois les principaux lieux de l’action découverts, le changement de décor se fait toujours de la même façon et l’effet de surprise disparaît rapidement. Malgré tout, quelques scènes saisissantes sont une véritable débâcle d’énergie brute, soutenues par une trame musicale et des images hardcore. Comme le soulignait Lepage en conférence de presse, sans réellement être choquant, mieux vaut voir le spectacle avant d’y inviter sa jeune progéniture.

Tant par le personnage principal que par certaines références bien québécoises, la pièce conserve une facture d’ici dont la traduction anglaise ou l’exportation dans la vieille Europe sont difficiles à imaginer. Mais le « work-in-progress » comporte aussi ce défi, et la pièce risque de subir une réécriture qui lui donnera un souffle totalement autre. Pour le moment, malgré ses lacunes que l’on suppose temporaires, elle demeure tout à fait à la hauteur de ce que l’on attend de ce grand homme de théâtre.

27-02-05

 

par David Lefebvre

Lepage et son ombre

Dire que Le Projet Andersen aurait pu ne jamais exister... Si si, Robert Lepage avait refusé pendant 3 ans les avances du Danemark pour créer un spectacle célébrant le 200e anniversaire de naissance de Hans Christian Andersen, le créateur du Vilain Petit Canard et de la Petit Sirène. Malgré tout, il avait commencé quelques recherches. Ennuyé par ses lectures, Lepage finit par tomber sur une bio, écrite par une Britannique, qui détonne des autres, trop louangeuses, de l’auteur scandinave. Il découvre entre autres qu’il est un grand voyageur. Certains propos qu’il trouve dans le journal intime de l’auteur l’allument, l’inspirent. Il est différent des autres. Entre autres, Andersen aurait eu une sexualité trouble et se serait réfugié dans une solitude sexuelle, transposant du même coup ses angoisses et ses interrogations dans certains de ses contes. Lepage voulait s’identifier au personnage, voir comment les écrits d’Andersen trouverait écho dans un monde moderne dénué de romantisme et qui a perdu le regard émerveillé de l’enfant. Il crée, en novembre 2005, au Trident à Québec, Le Projet Andersen, qui fera le tour du monde avant de venir finalement enchanter les gens de la métropole. Vous pouvez d’ailleurs lire la critique de Magali Paquin un peu plus haut dans cette page, sur les premières représentations du ce spectacle.

Le TNM présente une version allégée du spectacle : près de 40 minutes ont été retranchées depuis la première québécoise, pour une durée d’environ 2h. Mais pour l’homme de théâtre, un spectacle évolue toujours, commence à s’écrire quand il est présenté devant public. De plus que Lepage aime la spontanéité au théâtre, il est donc à parier que le spectacle connaîtra d’autres changements à venir.

Un jeune auteur québécois, Frédéric Lapointe, issu de la musique populaire, répond à l’invitation de l’Opéra Garnier de Paris pour créer le livret d’une œuvre pour enfants tirée de La Dryade, un conte méconnu d’Andersen. Il se dit qu’il pourra se faire un nom respecté en accomplissant son travail. Durant son séjour, il rencontre le commanditaire de l’œuvre, un homme trop épris par la pornographie, ainsi qu’un jeune concierge maghrébin d’un peep show et graffiteur à ses heures. Vivant dans l’appartement d’un ami, au-dessus du peep show, qui lui a aménagé temporairement dans celui de l’auteur à Montréal pour une cure de désintox, Frédéric garde la chienne (invisible mais pourtant présente) de son ami, qui répond au nom de Fanny et qui est suivie par un psychothérapeute canin...

Véritable conte moderne, s’inspirant de deux récits, soient La Dryade et L’Ombre, Lepage donne le ton dès le départ avec un prologue de cet auteur québécois à l’Opéra de Paris, annonçant à la foule que la première de la Dryade n’aura pas lieu à cause d’une grève, mais que ceux et celles qui veulent rester auront droit à une histoire : la sienne. Le personnage se transforme en quelques secondes en graffiteur et un générique hyper visuel s’ensuit, sur une musique hip hop tonitruante. Dès le départ, Lepage met les spectateurs ébahis dans sa poche. L’auteur, metteur en scène et seul acteur du spectacle explore ainsi différents territoires, comme la solitude, le trouble d’identité sexuel, les fantasmes inassouvis, la reconnaissance, la part d’ombre et de lumière dans chacun de nous, le déracinement, le romantisme et la modernité, en passant par les politiques européennes et la remise en question de la position de Paris comme centre névralgique de la culture. Le spectacle est riche, ingénieux, les messages sont percutants et incisifs, et ce ironiquement grâce à des dialogues souvent anodins. Les personnages, attachants, sont mis à l’avant-plan, soutenus par des effets scéniques terriblement impressionnants. Pourtant, en y pensant bien, il ne s’agit que de projections sur une toile incurvée des différents décors, d’un immense cadre noir, de planchers mouvants, de jeux d’ombres et de lumières. Mais la magie opère totalement et fait son effet, sans que nous sentions la lourdeur de ce que cela représente comme technicité. Les changements de costumes et de perruques sont très rapides, grâce à une équipe technique d’une grande efficacité. Plusieurs scènes sont magnifiques : la première rencontre avec le commanditaire de l’œuvre qui parle sans arrêt, les promenades de Fanny dans différents lieux verts de la Ville Lumière, la discussion avec le psychothérapeute du chien et cette scène au son d’un remix infernal de Sweet Surrender de Sarah McLachlan, où la voie ferrée qui défile sous nos yeux vers l’infini se transforme en un effet de lumières dignes des grandes boîtes de nuit. Seul petit bémol, même si le spectacle a connu plusieurs coupures, on sent vers la fin que le destin des deux personnages principaux s’étire légèrement. Mais rien pour provoquer l’ennui et enlever l’admiration que l’on porte à ce spectacle et à son créateur.  

Assister à une création de Robert Lepage est toujours une expérience théâtrale unique, fascinante, enivrante, que même des milliers de mots, à mon avis, ne pourraient expliquer clairement. Une seule solution : si vous en avez la chance, ne la manquez pas.

16-04-06