FTA 2010 - Tu vois ce que je veux dire?

Création Projet In Situ
Martin Chaput et Martial Chazallon

Critique de David Lefebvre

Fermez les yeux, et déambulez dans la ville comme si elle ne vous appartenait plus. Comme si votre corps devenait anonyme, dans un quartier que vous ne connaissez plus. Tous les sons s’amplifient, se magnifient ; les sensations deviennent étranges, le vent est doux, les odeurs sont omniprésentes, les gestes banals deviennent extraordinaires.

La compagnie lyonnaise Projet In Situ, de Martin Chaput et Martial Chazallon, s’installe dans les quartiers Parc-Extension et Villeray pour faire expérimenter le quotidien autrement aux festivaliers. Tu vois ce que je veux dire est une création qui se base sur une recherche exhaustive sur le corps, dans l’espace public et urbain, sur sa mémoire intime et collective.

Tout d’abord, on bande les yeux du participant, et on l’amène vers son guide. Il ne connaîtra que sa voix et son bras durant le parcours d’un peu moins de trois heures. Chaque itinéraire est différent, aucun spectateur-acteur ne prend les mêmes rues, ou ne rencontre les mêmes personnes. Le guide s’assure de mettre en confiance le participant, il peut alors se laisser totalement aller. Pour que celui-ci entre dans son propre univers, pour que son imagination s’anime, le guide n’a ni le loisir de décrire les lieux, ni la possibilité de dire où on est. Autant l’expérience de se retrouver « seul » nous permet d’écouter et de ressentir à fond ce qui nous entoure, autant on aimerait que notre guide devienne nos yeux, et nous fasse voir à sa manière ce quartier mille fois arpenté.

Mon trajet personnel m’a amené dans un restaurant, où j’ai bu un verre d’eau, assis au comptoir. Puis chez un homme qui m’a décrit sa passion pour le canoë-camping. Puis encore dans un lieu où une personne non voyante m’a fait découvrir son univers rock n’ roll par le toucher, me demandant de décrire les matériaux des murs, la texture, imaginant ce que ça pouvait être, puis de tester le son de l’endroit, en criant. J’ai délaissé un moment le bras de ma très charmante guide dans un parc, où je sentais l’herbe sous mes pieds. Mais c’est lors du dernier exercice, dans un lieu inconnu et silencieux, qu’on entre véritablement dans la recherche de la compagnie. Laissé au soin d’un autre guide totalement muet, on se permet soudain de courir, de marcher selon un certain rythme, et même de danser ; le corps de l’autre s’adapte, nous suit ou nous guide. Nous expérimentons plusieurs situations qui s’apparentent à une chorégraphie improvisée ; d’autres personnes courent autour de nous, frappent par terre, s’approchent et nous font entendre leur respiration. Si déambuler dans la ville est une aventure fantastique de découvertes et de sensations renouvelées, où on négocie chaque pas, où on a la possibilité de visiter plusieurs lieux très différents, cette dernière partie est d’une sensualité accentuée, vivifiante, exaltante. Quelle liberté de courir sans crainte, aveugle !

Après un debriefing de quelques minutes, on retire doucement le masque et on revient à notre réalité. Et nous ne sommes plus tout à fait les mêmes personnes. Tu vois ce que je veux dire… ?

30-05-2010