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LE TRAITEMENT
MARTIN CRIMP & CLAUDE POISSANT / THÉÂTRE PÀP (QUÉBEC)
TRAITEMENT DE CHOCTrafic d’expériences vécues pour voyeurs avides de télé-vérité, tel est LE TRAITEMENT de choc que réserve au 11e Festival de théâtre des Amériques l’auteur anglais Martin Crimp. Dans cet univers mercenaire, où l’art se vend et s’achète sur le bitume multiculturel de New York, se rencontrent une quinzaine de personnages étranges et fascinants. Claude Poissant, qui depuis vingtcinq ans au Théâtre PàP affectionne les écritures alliant à une prise de parole une forme insolite et nouvelle, a trouvé en cette oeuvre, dont il signe la traduction et la mise en scène, un terrain de jeu idéal et exaltant. Coproduit par Festival de théâtre des Amériques, ce spectacle dont l’auteur n’a encore jamais été joué au Québec sera présenté à l’Espace GO du 27 au 30 mai 2005.
NOUVEAU MONDE
Rien de nouveau ne lui est étranger. Rien de neuf ne lui fait peur. Claude Poissant est un Amerigo Vespucci toujours prêt à embarquer des matelots dans la conquête d’un nouveau territoire théâtral. Lui qui s’est fait Ventriloque et Goûteur, qui a réussi l’Unity canadienne et transformé son Théâtre PàP en un magnifique Hôtel des horizons accueillant tous les survenants de notre dramaturgie, nous invite à nouveau à partager une découverte, qui a pour nom Martin Crimp. Né en 1956, cet auteur joué ici pour la première fois appartient à la jeune génération du théâtre anglais. Il a déjà écrit une quinzaine de pièces, jouées à Londres et à New York, en Allemagne, en Hollande, en France et en Italie, a traduit Molière et Marivaux, Koltès, Genet et Ionesco pour les scènes britanniques. Cet homme doux est l’inverse exact de ses personnages, qui parlent vite et beaucoup, sans parvenir à communiquer. «Plus tu parles, moins je te comprends», réplique même l’un d’eux. «Mes personnages, précise-t-il, communiquent, mais de manière fausse.» Aussi Martin Crimp est-il peut être avant tout un musicien. «La musique est un bon moyen de communication émotionnelle, parce qu’il n’y a pas de mots. C’est tentant d’écrire avec cela en tête. Mais c’est impossible.»
LE FIN MOT DE L’ÉNIGME
Si Bach se situe à ses yeux au-dessus de tout, il admire aussi Beckett et Pinter, «même s’ils sont tentés de regarder en arrière, du côté de la mémoire, alors que je désire que mes pièces avancent, parlent d’un monde où les gens changent de famille, de job, de sexualité, d’identité.» L’auteur est tenté de comparer son travail d’écriture à la stratégie adoptée par les Indiens des films de notre enfance, quand ils décrivaient des cercles concentriques autour des cow-boys pour les attaquer. Avec cette volonté d’expérimenter de nouvelles formes et cette manière de construire en creux ses personnages, il revendique pour ses pièces un non-dit, qui nécessite du spectateur l’apport d’une part de lui-même pour compléter l’image proposée. À l’opposé du sentiment qui se dégage de son écriture, le scénario du Traitement est construit en prenant pour point de départ une situation qui paraît ne contenir aucun mystère, un enjeu connu où tout est joué d’avance. Et pourtant… La découverte de l’Amérique – Martin Crimp a situé et daté Le Traitement : New York, 1990. Des producteurs de cinéma engagent des inconnus pour les écouter raconter leur histoire. Un trafic d’histoires vraies pour des voyeurs avides de télé-vérité. Toutefois, les producteurs se définissent autrement : ils sont «les facilitateurs qui établissent des connexions». Ils sont «une micropuce à laquelle ils donnent l’énergie, tandis que les gens fournissent les données». Les deux producteurs, Jennifer et Andrew, engagent donc Anne, qui semble avoir à dire des choses intéressantes. Mais celle-ci est hésitante et se referme. L’auteur convoque d’autres «donneurs de données» dans sa comédie syncopée : un ancien dramaturge, Clifford, obsédé de voyeurisme, un chauffeur de taxi, un acteur noir, John, qui, lui, va prendre en main le film, va le mettre en scène, éjectant ainsi Anne. Une pièce à l’action hasardeuse et disloquée que ce Traitement, une oeuvre à deux tranchants, tantôt terre à terre dans l’approche des cinéastes et des liens entre les personnages, tantôt irréelle avec ce chauffeur de taxi aveugle-né, clone d’OEdipe dans un New York tonique et déjanté. Fruit d’un séjour en résidence dans la Grosse Pomme, Le Traitement, qui se veut être aussi le portrait d’une ville, s’ouvre sur la confession d’une jeune femme témoignant des sévices que lui a fait subir un psycho-killer. Cette histoire, les producteurs la pervertiront, n’auront de cesse de la ramener à une parole déjà connue. Si l’héroïne ne survit pas à l’aventure de vendre l’histoire de sa vie, son destin est avant tout symbolique de l’incapacité de notre société du spectacle à rendre compte du
réel.
Arpenteur de l’inconnu
L’état de vertige dans lequel nous entraîne l’auteur étant le moteur même de son propos, la charge revient à Claude Poissant de nous le restituer. Associé depuis plus de vingt ans à la création et au développement de la dramaturgie québécoise, toujours fidèle à sa volonté de partager avec le public des écritures différentes et percutantes, Claude Poissant a permis de connaître quantité d’auteurs d’ici et d’ailleurs parmi lesquels Geneviève Billette, François Godin, Isabelle Hubert, François Archambault, François Létourneau, Kevin Kerr, le Norvégien Knut Hamsun et le Japonais Kôbô Abe. Découvreur patenté, qui sait transformer en forces vives de notre théâtre de jeunes acteurs naissants mais déjà debout, il poursuit avec passion et un constant appétit de désordre sa démarche consistant à «faire à sa tête, cultiver son jardin d’instinct, flairer la délinquance…». Grand directeur d’acteurs, soucieux de maintenir l’union des anciens et des modernes, Claude Poissant, avec infiniment de justesse et de délicatesse, sait s’emparer du réel pour le laver de ses clichés et le tirer vers une transparence qui n’exclut ni la fantaisie ni le fantasme.
Texte : Martin Crimp;
Traduction et mise en scène : Claude Poissant ;
Scénographie : Jean Bard;
Costumes : Linda Brunelle;
Lumière : Éric Champoux;
Musique: Nicolas Basque;
Chorégraphie : Dave St-Pierre
Distribution : Amélie Chérubin-Soulières, Francis Ducharme, Félix Beaulieu-Duchesneau, Marie-Thérèse Fortin, Catherine Larochelle, Widemir Normil, Gilles Renaud, Catherine Trudeau, Peter Batakliev
Production : Théâtre PàP. Coproduction : Festival de théâtre des Amériques27, 28, 29 et 30 mai 2005
À l'Espace GO
En français
Photos © Yanick MacDonald