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Français : 1 h 15
JOSÉ PLIYA & DENIS MARLEAU / UBU, COMPAGNIE DE CRÉATION (QUÉBEC)
SOUS LE SOLEIL EXACTEMENTAccompagné d’acteurs antillais, le metteur en scène Denis Marleau et UBU, compagnie de création, sont de retour au FTA avec NOUS ÉTIONS ASSIS SUR LE RIVAGE DU MONDE…, une oeuvre de fulgurance, révélant les corps et ses pulsions, l’occupation des terres et des mémoires. Béninois d’origine, Français d’adoption, l’auteur José Pliya impose ici un style, violemment sensuel et puissamment poétique, une langue superbe, un théâtre qui nomme le gouffre entre hommes et femmes, pays riches et pays pauvres, passé et présent. Créé au 11e Festival de théâtre des Amériques et présenté en première mondiale du 25 au 28 mai 2005 sur la scène de l’Usine C, ce duel terriblement humain orchestré sous un soleil brut et brutal est coproduit par le Théâtre français du Centre national des Arts, le Centre des cultures et des arts de la Caraïbe et le Festival de théâtre des Amériques.
IMPOSSIBLES RETROUVAILLES
Peut-on jamais revenir là d’où l’on vient? Une femme tente ce retour au pays bien-aimé, sur la plage de son enfance. Elle y a donné rendez-vous à deux amis. Mais elle croise d’emblée un homme, étendu sur le sable. Il lui dit qu’elle n’a pas le droit d’être là, la plage est privée maintenant, et qu’elle n’a pas la bonne couleur. Le mot jaillit, terrible, terrifiant. La couleur devient dès lors un motif qui se décline ici en multiples sens, qualifiant le ciel, qualifiant la mer et le sable, teintant les souvenirs d’enfance ou divisant les hommes : un enjeu de pouvoir, de ségrégation, d’exclusion. Un conflit naît alors entre les deux protagonistes, oscillant sur la frontière fragile et ambiguë qui se dessine parfois entre la violence et le désir. Le rivage du monde, cette extrême limite de la terre et de soi, ce lieu par lequel il est inscrit que l’on doive passer pour parvenir chez soi, devient le lieu métaphorique du rapport que nous entretenons tous avec notre mémoire et notre lieu d’origine. Tous les rivages du monde sont concernés. Tous les territoires intimes de l’être et de sa quête d’identité sont ici convoqués. C’est la rencontre brute et brutale des corps et des douleurs intimes, les collisions rhétoriques de l’écriture âpre et solaire de José Pliya que Denis Marleau souhaite faire voir et entendre.
VIOLENCE ET BEAUTÉ DE LA LANGUE ET DES CORPS
Denis Marleau avait déjà lu Nous étions assis sur le rivage du monde… avant de rencontrer José Pliya. Il fut tout de suite séduit par la beauté violente de cette langue à la fois très écrite et très orale, révélant les corps et ses pulsions de façon directe et sensible. C’était pour lui dans l’ordre des choses que de répondre avec enthousiasme à l’invitation de l’auteur de monter sa pièce. Il devint tout aussi évident qu’il lui fallait travailler avec des acteurs de Guadeloupe et de Martinique, là où la pièce fut commandée et écrite par Pliya lors d’une résidence de création à la Scène nationale de Fort de France. C’est ainsi qu’Éric Delor (Martinique), Ruddy Sylaire (Martinique), Isabelle Kancel (Guadeloupe) et Nicole Dogué (Martinique-Paris) se joignirent au projet afin de donner vie à cette femme et à cet homme réunis sur le rivage du monde. Parcours, traversées, échanges – Auteur de théâtre, metteur en scène, comédien, José Pliya est né au Bénin en 1966 et appartient à la génération des écrivains africains qui, à partir des années 1980, insufflent une nouvelle vie au théâtre. Fondateur du théâtre franco-créole des Caraïbes, il a déjà signé une quinzaine de pièces, traduites et favorablement accueillies sur les scènes du monde. Parmi celles-ci : Nègrerrances (Cameroun, 1998), Le Complexe de Thénardier (Théâtre du Rond-Point, 2002) qui lui a mérité le prix prestigieux du jeune théâtre de l’Académie française, Le Masque de Sika (Roubaix, 2000) et Cannibales (Théâtre national de Chaillot, 2004). José Pliya, aujourd’hui de nationalité française et vivant en Martinique, a fait de Paris l’un de ses ports d’attache. C’est là, l’an dernier, qu’il a mis en scène lui-même son texte Les Effracteurs au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Mais José Pliya n’a jamais cessé de parcourir le monde et d’occuper divers postes à l’étranger. Ainsi a-t-il créé des troupes de théâtre en Guinée Équatoriale, au Cameroun et à son arrivée à Roseau en Dominique en 1998, et revitalisé la création théâtrale locale en tissant des liens avec des formateurs professionnels venus de Paris ou de Martinique. Auteur associé à la Scène Nationale de Martinique en 2002-2003, il est le fondateur et l’actuel directeur de l’Association Écritures théâtrales contemporaines en Caraïbe.
Parcours, traversées, créations
Merz Opéra, Oulipo Show, Les Ubs, Roberto Zucco, Maîtres anciens, Les trois derniers jours de Fernando Pessoa, Catoblépas. Depuis leurs débuts respectifs, des affinités électives unissent le FTA et le metteur en scène, adaptateur et maintenant scénographe Denis Marleau. Sans rien renier de ce goût des avant-gardes qui, via Jarry et son personnage fétiche, continue de justifier le nom d’UBU, compagnie de création, la déconstruction des formes et du langage cède aujourd’hui le pas à la démultiplication des images dans ce qu’elle a de plus énigmatique. Depuis 1997, année où il entame une expérimentation sur la vidéo au service du personnage, il donne vie de cette manière inventive et fascinante à Pessoa et ses hétéronymes, aux songes et aux fantômes de Faust et conçoit une première «fantasmagorie technologique» à partir des Aveugles de Maeterlinck, donnant naissance à de troublantes apparitions spectrales qui voyageront d’Avignon à Édimbourg et sillonneront ensuite la planète. Plus récemment, Marleau créait non seulement Le Moine noir, d’après une nouvelle de Tchékhov, mais deux nouvelles pièces technologiques : Comédie de Beckett et Dors mon petit enfant de Jon Fosse, dont il avait déjà monté Quelqu’un va venir. Directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa, Denis Marleau revient au FTA donner corps à la vision poétique et tragique que livre José Pliya de son île, parlant ainsi de tous les retours impossibles. «Je déteste le soleil plus que tout au monde», disait le vieux Reger de Maîtres anciens. Denis Marleau, qui faisait monter Zucco vers un soleil aveuglant, qui a exploré dans tant de ses oeuvres récentes le soleil noir de la mélancolie, qui a mis au monde des êtres faits d’ombre et de lumière, revient cette fois en plein soleil, avec une oeuvre de violence et de beauté.
Texte : José Pliya;
Mise en scène : Denis Marleau;
Collaboratrice artistique : Stéphanie Jasmin;
Scénographie : Denis Marleau, Stéphanie Jasmin;
Costumes : Daniel Fortin;
Lumière : Marc Parent;
Environnement sonore : Nancy Tobin
Distribution : Ruddy Sylaire, Nicole Dogué, Éric Delor, Mylène Wagram
Production : UBU, compagnie de création. Coproduction : Théâtre français, Centre national des Arts
(Ottawa), Centre des cultures et des arts de la Caraïbe (Fond Saint-Jacques, Martinique), Festival Les Francophonies en Limousin (Limoges) et Festival de théâtre des Amériques (Montréal)25, 26, 27 et 28 mai 2005
À l'Usine C
En français![]()
par Geneviève Germain
Nous étions assis sur le rivage du monde marque le coup d’envoi de la onzième édition du Festival de théâtre des Amériques (FTA). On nous transporte avec cette pièce dans les Antilles, lieu où cette dernière a été commandée et écrite, au Centre martiniquais d’Action culturelle, Scène nationale de France. L’auteur, José Pliya, également dramaturge, metteur en scène et comédien, est originaire du Bénin et a une quinzaine de pièces à son actif. Il œuvre actuellement en Martinique après avoir occupé plusieurs postes à l’étranger.
L’histoire peut sembler à première vue fort simple : une femme donne rendez-vous à deux amis sur la plage de son enfance. Alors qu’elle vit maintenant à l’extérieur de son pays natal, cette femme profite de ses vacances pour revisiter les lieux qu’elle a connus et fréquentés lors de sa jeunesse. Toutefois, l’histoire se corse lorsqu’elle rencontre un homme sur cette plage qui lui signifie très clairement qu’elle n’est pas la bienvenue, que la plage est privée et qu’elle doit par conséquent quitter les lieux immédiatement. Elle refuse et demande pourquoi. Cette simple question suscite bien des échanges, tant entre l’homme et la femme qu’entre cette dernière et ses amis. Mais la réponse se fait attendre, et la femme s’obstine à vouloir savoir.
C’est dans un décor dénudé de tout artifice que la femme apparaît : le sable est représenté par une vaste étendue de tissu d’un beige pâle surmonté d’un fond bleu, où la mer et le ciel se confondent et où le soleil plombe. Cet univers stérile et épuré, car même les acteurs sont vêtus de couleurs s’apparentant à celle de leur peau, semble soutenir les propos du texte qui affirme que les couleurs (humaines) ne doivent pas se mélanger.
La mise en scène de Denis Marleau fait évoluer les acteurs lentement dans un univers où chaque mot et chaque geste est pesé, calibré. Le texte est riche de mots simples, néanmoins porteurs de sens, qui laissent deviner une situation troublante. L’emphase est mise sur ce texte, par la lenteur des déplacements, par des répliques soutenues mais espacées.
L’insistance de la femme (Nicole Dogué) auprès de l’homme (Ruddy Silaire) peut sembler agaçante par moments. On se demande bien ce qu’elle cherche à démontrer, pourquoi elle ne veut pas obtempérer. Heureusement, son insistance prend tout son sens à la fin de la pièce. Les acteurs offrent un jeu solide et convaincant qui soutient bien le sérieux de la pièce tout en laissant place à quelques moments de rires, notamment avec l’arrivée des amis de la femme.
Nous étions assis sur le rivage du monde est une pièce dotée d’une belle écriture qui réussit à faire réfléchir notamment sur les questions de rapports de pouvoir et de domination, sans sombrer dans la complexité que de tels sujets pourraient présenter. La sobriété de cette pièce face à ces questions lui confère un caractère agréable et accessible.
25-05-2005