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Français : 2h20
DANIEL DANIS & ALAIN FRANÇON / THÉÂTRE NATIONAL DE LA COLLINE (FRANCE)
DE LA GRANDE VISITE À MONTRÉAL !Fidèle à certaines paroles, à certains auteurs, le metteur en scène français et directeur du Théâtre National de la Colline à Paris Alain Françon remet sans cesse sur le métier les oeuvres des éclaireurs de notre monde. L’auteur saguenéen Daniel Danis en est un. Sa plus récente pièce, e, présentée au 11e Festival de théâtre des Amériques, les 1er, 2 et 3 juin à la Salle Ludger-Duvernay du Monument-National, puise à même l’épopée antique et la chanson de geste pour raconter les épreuves et les exploits de ces héros de notre temps, avec l’émerveillement terrible des grands récits. Imaginez une guerre civile, mais imaginez-là ici. Imaginez maintenant que c’est vous l’autre. Celui que l’on parque dans un camp. Imaginez un roman dit, un théâtre présent à notre temps.
FORMIDABLE DÉCOUVREUR DE TEXTES ET D’AUTEURS
Alain Françon est l’un des plus importants artistes de théâtre français de l’heure. En trente ans de pratique, osant un regard pénétrant sur le répertoire (Marlowe et Corneille, Marivaux et Sade, Ibsen et Strindberg, Horvath et Brecht, O’Neill et Faulkner, plus récemment de magnifiques Tchékhov), il s’est démarqué par l’intelligente économie de moyens qui fonde ses mises en scène toujours dépouillées et qui permettent au corps et à la voix des acteurs de puissamment porter la parole des écrivains. Alain Françon a su imposer Michel Vinaver, Enzo Cormann, Edward Bond. Après avoir fondé et dirigé, de 1971 à 1989, le Théâtre éclaté à Annecy, il prend la tête du Centre dramatique national de Lyon – Théâtre du Huitième, puis devient en 1992 directeur du Centre dramatique national de Savoie. Depuis 1996, il est directeur du Théâtre National de la Colline, dont il a fait le lieu privilégié des nouvelles dramaturgies d’Europe. Après avoir monté Celle-là en 1995 et Le Chant du dire-dire en 1999, il retrouve en création aujourd’hui l’auteur saguenéen Daniel Danis. Résultat d’une réelle fraternité de pensée, d’écriture et de préoccupations, cultivée depuis plus de dix ans maintenant, Danis était depuis janvier 2004 auteur associé au Théâtre National de la Colline et a pu ainsi continuer à développer un langage commun avec le metteur en scène parisien. Les raisons de cet entêtement à cultiver ces liens viscéraux sont certes liées à l’idée que se fait Alain Françon de sa responsabilité en tant qu’artiste et directeur d’un théâtre national voué au répertoire contemporain. Car saurait-il y avoir de création vivante sans une attention toute particulière aux auteurs vivants? Et de quoi pourrait donc parler le théâtre si ce n’est de son temps?
UNE CHANSON DE GESTE DE NOTRE TEMPS
Après les massacres, les bombardements et l’errance, les Métis, guidés par le roué Dadagobert, sont autorisés à s’installer sur des terres sous la juridiction du maire Blackburn. Mais ce n’est là que le squelettique résumé de e, ce récit théâtral qui puise sa forme et sa force à même l’épopée antique et la chanson de geste pour raconter la vie de J’il, fils du roué, fils aimé de cette nation de Métis, héros dont les épreuves et les exploits sont mis en langage avec l’émerveillement terrible des grands récits fondateurs, ceux sur lesquels s’élabore et se vit l’Histoire. Au-delà des frontières de la paix et de la guerre, e retrace le parcours tragi-comique de J’il «l’archiflèche», de J’il «l’infigurable», à la tête d’un convoi d’humains engagés dans une marche intérieure jusqu’à questionner leur propre légitimité terrestre.QUAND LA LANGUE S’EMBALLE
Au Québec comme en France et en Allemagne, où ses pièces (Celle-là, Cendres de cailloux, Le Chant du dire-dire, Le Langue-à-langue des chiens de roche) sont fréquemment portées à la scène, l’écrivain saguenéen Daniel Danis s’est imposé avec une dramaturgie qui, selon ses propres termes, questionne la «culture du dialogue». Ses pièces, traversées par la question fondamentale de l’exclusion, témoignent d’une affection pour les originaux et les détraqués, pour ceux que les collectivités rejettent, expulsent, nient. Nourri par l’accablante vérité des rêves et par les énigmes qui bruissent au coeur du sacré, son théâtre fait entendre ce qui s’évanouit dès que s’en empare le langage. Daniel Danis laisse sa langue crapahuter de néologismes en inventions, d’archaïsmes en dérivations, de jeux de mots en déformations toujours plus déstabilisantes et jouissives, permettant ainsi à son écriture d’approcher ce point sans cesse mouvant où le conscient émerge du subconscient.
LE THÉÂTRE EN TRANSES
Danis est l’un des manieurs de langue les plus étonnants de la scène actuelle. Sa langue est tordue par l’exigence et la difficulté de dire, ses phrases, brèves, déchaînent des retournements inattendus. Liée à l’oral plus qu’à l’écrit, sa langue est d’abord matière. Par elle, avec elle et en elle, il a la sensation de toucher au sacré, aux zones du corps sacré «où le corps de la parole devient théâtre sacré». Le rêve est aussi devenu pour lui une zone de travail. Chaque jour, il l’enrichit. Il y injecte des pans entiers d’enfance. «Je vis dans le rêve. Il me donne accès à la matière imaginaire.» Danis évoque et invoque les autochtones. Ils savent eux aussi combien le rêve est dangereux. En interminables plongées, les rêves ont dicté e. Ils ont rêvé les noms des personnages et leur nombre impressionnant. «e raconte ce qui se passe lorsqu’on vous enlève la terre que vous vous êtes constituée, et que vous tentez de la recréer. Comme les Tchétchènes et tous les déportés.»
Texte : Daniel Danis;
Mise en scène : Alain Françon;
Scénographie : Jacques Gabel; Lumières : Joël Hourbeigt;
Costumes : Patrice Cauchetier;
Maquillage : Dominique Colladant;
Conseil chorégraphique : Caroline Marcadé;
Univers sonore : Gabriel Scotti;
Dramaturgie : Guillaume Lévêque.
Distribution : Stéphanie Béghain, Yoann Blanc, Fred Cacheux, Éric Challier, Gilles David, Valérie De Dietrich,
Grégory Gadebois, Pierre-Félix Gravière, Guillaume Lévêque, Julie Pilod, Gilles Privat, Caroline Proust, Catherine Vinatier
Production : Théâtre National de la Colline.
Avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts du Canada, de l’Association
Française d’Action Artistique – Ministère des affaires étrangères.
1er, 2 et 3 juin à la Salle Ludger-Duvernay du Monument-National (Montréal)
Également présenté du 19 au 28 mai au Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa
par Geneviève Germain
Un peuple de métis est chassé de son territoire par des militaires. Lors de leur périple au travers des bombardements, naît l’enfant qui sera chéri par cette population : J’il. Déracinés, les métis trouvent refuge dans une forêt qui leur est octroyée temporairement par l’Organisation de Défense Internationale des Petits Peuple, sous la juridiction du Maire de la ville voisine. C’est dans ces lieux que douze ans plus tard, J’il commet un acte qui le forcera à purger douze années dans la prison des juvéniles. À son retour, il découvre que les terres temporaires sont devenues un pays. Toutefois, le conflit reprend lorsque son père, le Maire de Sein-Azzède de Tableau, perd le territoire lors d’un jeu de cartes avec le maire de la ville voisine. C’est alors que se dresse un combat non seulement entre ces hommes et ces peuples, mais également entre la volonté de faire la guerre et celle d’accéder à la paix.
Avec e (un roman dit), l’auteur saguenéen Daniel Danis (Le Langue-à-langue des chiens de roche) signe un récit qui s’apparente à une véritable épopée : mélangeant ce qui est vrai et ce qui relève du rêve, avec un héros torturé par ses propres interrogations et dualités. L’auteur manie les mots avec aisance, suscitant des images fortes, telle la guerre qui est qualifiée de « guerre mémoricide » ou encore de « guerre humide », celle qui « ronge les os ». L’acte langagier occupe une place centrale dans la pièce, où l’on aperçoit peu de l’action et des conflits qui s’y déroulent, mais où tout est soigneusement évoqué et décrit par les dialogues.
La mise en scène dynamique d’Alain Françon (Directeur du Théâtre National de la Colline, Paris) est largement soutenue par un décor qui offre des ouvertures multiples, par lesquelles les personnages entrent et ressortent. Ainsi, un panneau se lève pour laisser passer l’un, l’autre émerge d’un panneau mobile, tandis que certains disparaissent et réapparaissent par des trappes au plancher, favorisant les déplacements des nombreux personnages et apportant un caractère surprenant et original à la présentation.
Les acteurs évoluent avec aisance dans cet univers sobre et grisâtre, où l’accent est mis sur les personnages et les multiples péripéties qu’ils sont amenés à vivre au sein de ce récit tragique, où le comique trouve parfois sa place.
Riche en subtilités, l’histoire peut devenir déroutante à certains moments avec ses nombreux évènements et personnages, ainsi qu’avec ses mots souvent issus d’une histoire et d’un contexte plus complexes qu’il peut y paraître à première vue. D’ailleurs, un feuillet est glissé dans la brochure de la pièce contenant les explications de l’auteur sur certains termes et images.
La pièce comporte certaines longueurs, mais se distingue par son originalité, notamment au niveau du langage et du décor, et par des acteurs qui offrent un jeu solidement et efficacement dirigé.
01-06-2005