![]()
26, 27, 28 et 29 mai
Théâtre Prospero
Espagnol : 1h20 Surtitres F
Coproduction : Teatro General San Martin (Buenos Aires) / Theaterformen 2002 (Hanovre)Théâtre mythique
Un arbre sec, quelques plantes, des pots de terre cuite, un fauteuil, du sable, un pull et un vieux tourne-disque. Une jeune fille élevée comme une plante rare et fragile par un père jardinier qui la transplante de vase en vase, à la recherche du terreau qui lui permette de s’épanouir. Une mère absente. Un frère dérouté. Une terre sèche qui ne donne plus de lait. Fille de Buñuel autant que d’Euripide, Beatriz Catani appartient à cette génération d’artistes argentins qui ont vécu l’assèchement progressif du pays, depuis le péronisme jusqu’à la débâcle économique des derniers mois. Nourrie aux seins des mythes et de la tragédie, elle signe avec Ojos de ciervo rumanos une oeuvre curieuse, une fable étonnante et belle qui vous restera dans la mémoire longtemps.
TEXTE ET MISE EN SCÈNEBeatriz Catani ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNEJazmín García Sathicq SCÉNOGRAPHIEBeatriz Catani, Andrea Schvartzman LUMIÈRESGonzalo Córdova MUSIQUECarmen Balliero TECHNIQUEMargarita Dillon DISTRIBUTIONRicardo González
Paula Ituriza,
Blas Arrese IgorBeatriz Catani
Fille de Buñuel autant que d’Euripide, Beatriz Catani puise dans les mythes la matière de son oeuvre théâtrale, qui passe sans cesse de l’hyperréalisme au surréalisme. Née à la Plata, près de Buenos Aires, elle appartient à cette génération de créateurs argentins qui ont vécu de l’intérieur la déroute du pays, depuis le péronisme jusqu’à la débâcle économique des derniers mois. Ojos de Ciervo Rumanos pourrait être une métaphore de l’assèchement de l’Argentine, une allégorie sur ce pays qui ne parvient plus à nourrir convenablement ses fils et ses filles. Sans jamais prendre parti, la metteure en scène se contente de nous livrer, à l’aide d’un arbre sec, de quelques pots de terre cuite et de plantes, avec un fauteuil, du sable, un pull et un vieux tourne-disque, un conte sans morale, un univers empreint de mystère et de poésie, laissant pleine liberté à l’imagination du spectateur.
![]()
Crédits photos:
Photos du spectacle: Guillermo Arango
Retour à la page des critiques FTA
par David Lefebvre
Ojos de ciervo rumanos, qui nous vient d'Argentine, est une pièce peu banale pour de multiples raisons, mais surtout parce qu'elle est au départ complètement irrationnelle.
Un homme qui cultive les oranges, et qui a perdu vraisemblablement sa femme, s'occupe de sa fille (qui a maintenant 35 ans) comme si c'était une plante. Il la déplace de pot en pot, met de la terre, la nourrit avec celle-ci... Mais elle vieillit, et elle est une femme. Elle s'entiche d'un jeune homme qui vient la voir de temps à autre, un garçon qui lui fait écouter des disques.
À priori c'est une pièce relativement difficile d'approche. Mais les Argentins sont comme ça: ils font du théâtre (et du cinéma) avec des symboles, avec un côté social engagé, même si c'est non-avoué. Tout est image : on y parle souvent de (ou on fait référence aux) dieux mythologiques, aux cerfs (souvent image de fertilité), de terre, de musique... Le père a de la difficulté à nourrir sa fille et à s'occuper d'elle, en la nourrissant de jus d'oranges qu'il écrase sur son bras, à l'image de cette Argentine dévastée qui arrive à peine à nourrir ses enfants et qui essaie présentement tant bien que mal de sortir d'un marasme économique. Ce même père qui s'est ouvert la cuisse pour mettre le bébé naissant, à l'image de la naissance de la déesse Athéna. Cette pièce déborde de symboles comme ceux-là. Même le titre est un jeu de mot, en espagnol, au premier degré, elle signifie "Les yeux des cerfs roumains", mais, dit rapidement, sir humanos, elle signifie "Les yeux des humains".
Beaucoup de place aussi à ce qui est essentiellement humain: le désir et la sexualité. Elle sera tant attiré par ce jeune homme qu'elle en produira du suc, comme dira son père, qui essaiera d'éponger le tout, voyant cela comme une anomalie. Elle mûrit, dit-il. Cet amant apportera des questions à la jeune fille qui les posera ensuite à son père. Le rythme est cyclique: elle fait revenir le jeune homme en chantant bizarrement (en bégayant en fait). Et son oeil deviendra de plus en plus vert, comme sa mère, qu'elle voudra arracher.
La mise en scène est en vase clos, se passe uniquement dans une espèce de serre (avec ce bruit de ventilateur, les lampes, les orangers), et tourne autour de l'histoire de cette famille peu ordinaire. Les murs rouges se démarquent complètement des plantes vertes (et rend visuellement tous les contrastes que l'on découvre dans le texte), l'espace scénique est petit, puisqu'on utilise qu'une partie de la scène, ce qui rend la pièce plus intimiste. Les comédiens jouent très bien, et rendent leurs personnages crédibles malgré l'illogisme.
Malgré le grand nombre de symboles, de significations, d'images, qui nous poussent à la réflexion, à la tentative de comprendre même si beaucoup de choses nous échappent (un élément positif de ce genre de spectacle), la pièce nous laisse sur notre faim. Elle n'arrive pas vraiment à captiver notre attention et à nous pousser à sauver cette fille que l'on transplante, à s'investir totalement dans la pièce.
À voir, pour les amateurs de la culture de ce pays. Vous vous y retrouverez beaucoup plus que les autres.