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3 et 4 juin
Place des Arts
Théâtre Maisonneuve
Allemand : 4h50 avec entracte
Surtitres F & A
Coproduction : Wiener Festwochen
Coprésentation : Place des Arts
Théâtre en zone de turbulences
Pour en découdre avec la logique totalitaire de Big Brother, Frank Castorf applique la recette du roman-savon, version hard. Au programme de ce loft-story allemand, le premier grand roman de Dostoïevski, Humiliés et offensés, écrit à son retour d’exil en Sibérie pour subversion. Le décor en impose, arsenal hollywoodien pivotant sur lui-même avec écrans et musicien live intégrés, découvrant côté pile, sa maison de verre, et côté face, sa baraque. Devant, une terrasse et une piscine prise dans les glaces. Glisse, dérape et craque cette histoire sordide de pouvoir, de sexe et d’argent. Fichés, filés et traqués par des micros et caméras dissimulés jusque sous les oreillers, les personnages s’agitent comme des mouches prises dans le filet de l’intrigue. En surplomb, un écran géant déverse son flux de publicités entrelardées de films XXX. Hypnotisés par autant d’éclats de rire noir, on danse avec les loups.
DEFiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski ADAPTATION ET MISE EN SCÈNEFrank Castorf SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMESBert Neumann MUSIQUESir Henry VIDÉOJan Speckenbach LUMIÈRERainer Casper DRAMATURGECarl Hegemann DISTRIBUTIONKathrin Angerer
Hendrik Arnst
Susanne Düllmann
Henry Hübchen
Astrid Meyerfeldt
Milan Peschel
Irina Potapenko
Bernhard Schütz
Jeanette Spassova
Joachim Tomaschewsky
Martin WuttkeFrank Castorf et la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz
La Volksbühne, théâtre du peuple
Fondée en 1914 par une association de travailleurs, la VOLKSBÜHNE AM ROSA-LUXEMBURG PLATZ est un des symboles de Berlin. En 1992, à la suite des Max Reinhardt, Erwin Piscator et Beno Besson, Frank Castorf prend la direction du théâtre, renouant avec la tradition révolutionnaire et avant-gardiste des lieux. Encensé et controversé, il cristallise désormais les passions, avec des spectacles provocants, politiques et fort populaires qui suscitent un vif intérêt chez les Berlinois, toutes générations confondues.
Le passage bref mais fracassant de la VOLKSBÜHNE AM ROSA-LUXEMBURG PLATZ, l’an dernier à Théâtres du Monde avec Enstation Amerika, a mis en appétit. L’anticonformiste du théâtre allemand Frank Castorf revient en force au Festival de théâtre des Amériques avec une libre adaptation du premier grand roman de Dostoïevski, qualifié par l’auteur d’oeuvre sauvage. Cinq heures d'un spectacle total, subversif, jubilatoire et festif à souhait!
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photographe: Thomas Aurin (toutes les photos du spectacle et celle de Frank Castorf)
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Retour à la page des critiques FTA
par David Lefebvre
C'est au grand Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts qu'on nous avait convié à voir le spectacle haut en couleur de Frank Castorf et sa troupe, Humiliés et offensés. Comme il était attendu ce spectacle...
Je me rappelle d'avoir vu il y a quelques temps, quand cette troupe était venue à Montréal, leur fameux Endstation Amerika, inspiré d'Un tramway nommé désir, de Tennesse Williams. Tous les médias en avaient parlé tellement ce spectacle innovait, et frappait par son intelligence et sa construction scénique. La barre était haure pour Humiliés et offensés.
Ils ont donc misé gros, puisque ce texte de Dostoïevski n'est pas nécessairement le plus connu ici (j'oserais dire que ce serait plutôt des titres comme Crimes et châtiments, Les frères Karamazov, ou L'Adolescent...). Mais Castorf ne fait pas dans la facilité. Il ose et va le plus loin possible, brisant des barrières. Il transforme donc ce récit, écrit en 1861, en un espèce de loft story-reality show-théâtre-téléroman savon. Difficile de définir exactement le spectacle. Difficile aussi d'y pénétrer, comme pour le texte de Dostoïevski. On a donc remanié le texte de plusieurs façons, pour l'actualiser. Le décor est d'une simplicité et d'une complexité exemplaire: une maison fermée par quatre murs, en trois "parties" (pièces), une patinoire et des chaises. Sur le toît, un écran géant nous montre des images de toutes sortes: allant de pubs télé à des images de paysages, mais surtout des images captées par les caméras qui sont à l'intérieur de cette maison (qui peut tourner sur elle-même à 360 degrés). Du coup, nous sommes voyeurs. Nous entrons directement dans leur "intimité" et ils le savent et jouent avec. Il regarderont souvent la caméra. Voilà qui nous amène à un autre point: le jeu des acteurs. Ils sont vraiment tous et toutes excellents. Pour ma part, c'est la première fois que je vois ce genre de jeu: ils jouent à jouer, à interpréter sur scène. Ils savent pertinemment qu'ils sont comédiens. On le voit bien, mais ils se fondent dans leurs personnages si aisément que ça en devient déroutant. Toute la pièce est déroutante; cela prend un certain temps à s'habituer au rythme, au choc de ce genre de spectacle, aux sur-titres... La première partie nous plonge directement dans la folie. La deuxième sera plus sensible, plus humaine.
Par contre, le fait que l'auditoire en général ne comprenne pas l'allemand a joué en défaveur de la pièce. Les réactions étaient quasiment nulles. Les sur-titres, haut perchés, faisaient en sorte qu'on manquait une partie de l'action, et ils arrivaient soit en retard ou en avance, ce qui défaisait tout le rythme (comique ou tragique) qu'avaient monté les comédiens. Selon une journaliste allemande qui était sur place, pour voir justement comment allait être accueillie la pièce ici, le spectacle là-bas est joué et joué, et on pleure et on rit... Ce qui ne fut pas le cas ici, malheureusement. Les pubs aussi montrées durant la pièce dérangent au départ: on est porté à donner plus d'attention à celles-ci qu'à la pièce en tant que telle (mais est-là justement un coup de génie, pour nous signifier combien les pubs peuvent être accaparentes dans nos vies?). La longueur de la pièce a aussi été un désavantage: plus de la moitié de la salle (sur 1 453 fauteuils) a quitté durant l'entracte. Certains peut-être découragés par la complexité de la pièce, parce qu'ils n'arrivaient pas à la comprendre (mais ça fait partie du plaisir...), d'autres pour ces raisons (le temps et la langue).
Plusieurs très bons moments par contre ont rempli le spectacle: par exemple, une scène entre Vania et sa protégée, sous la pluie, à courir les bonbons sur la patinoire. Ou un autre de patinage artistique. La musique, de Sir Henry (qui est Montréalais) souvent hétéroclite, et drôle (on a même droit à du Phil Collins, Cindy Lauper, Lionel Ritchie et Bruce Springsteen "live" sur synthétiseur avec un faux accent russe, c'est tout dire..) est une pure merveille.
On se déchire, on se questionne, on philosophe, on gueule, on se débauche, on raconte des histoires tristes... Un spectacle complètement "timbré", fou furieux, qui sort vraiment de l'ordinaire. Un spectacle "heavy", mais qui mériterait quand même un resserrement parce que, franchement, 4 heures 50, c'est quand même un peu long...