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Du 7 au 23 mars 2013
L'augmentationL'Augmentation
Texte Gorges Perec
Mise en scène Ariel Ifergan
Avec Stéphanie Crête-Blais, Frédéric Desager, Christian E. Roy, Vicky Bertrand, Chantal Dumoulin, Christophe Rapin et Philippe Noireaut au piano.

À partir d’un organigramme que lui confie un ami, l’auteur Georges Perec, éminent membre du groupe littéraire l’Oulipo, acrobate linguistique, cruciverbiste et grand champion de l’écriture à contraintes, élabore un texte qui cherche à explorer toutes les manières possibles pour un salarié d’aborder son supérieur hiérarchique afin d’obtenir une augmentation de salaire.
 
Sur scène : un pianiste et six comédiens. Six employés, six salariés de la même entreprise, six personnalités ou six facettes de la même personne, mais un seul objectif : obtenir une augmentation de salaire.

Les Productions Pas de Panique
En 2005, Les Productions Pas de Panique remportent le Masque des Enfants Terribles pour le pièce « T’as aucune chance » présenté devant plus de 30 000 jeunes,  en plus d’être boursiers de la Fondation du Maire de Montréal (FMMJ), du SAJE – Montréal-Centre et récipiendaire du premier prix pour la région de Montréal au Concours qué­bécois en entrepreneuriat.
Après le succès de la pièce « Z comme Zadig », une adaptation libre d’un conte de Voltaire présenté à travers le Québec, le Centre Segal de Montréal fait appel aux Productions Pas de Panique afin de poursuivre et accentuer le développement de son public francophone.


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Concepteurs Alexandre Frenette, Jonas Veroff-Bouchard, Marie-Aube St-Amant Duplessis, Noémi Poulin et Philippe Noireaut

Tickets starting at 18$

Une production Pas de Panique


Studio du Théâtre Segal
5170 Cote St. Catherine Rd
Billetterie - Box Office: 514-739-7944

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Productions Pas de Panique

Associé au mouvement littéraire de l’Oulipo, l’écrivain et verbicruciste français Georges Perec semble à priori être éloigné des questions sociales. Pourtant, sa pièce L’Augmentation écrite en 1970 traite des difficultés et des enjeux spécifiques reliés au monde du travail. Souvent méconnue du public québécois, elle hante régulièrement les scènes françaises. À Montréal, la compagnie Pas de panique a eu l’heureuse initiative de remonter ce texte grave, cauchemardesque et loufoque qui n’a pas pris une ride.

L’auteur du célèbre roman La Disparition (où la voyelle e n’apparaît une seule fois) aime les contraintes et les contorsions grammaticales. Pour cette Augmentation, il a pris l’organigramme d’une compagnie pour exploiter toutes les manières et astuces possibles pour un salarié d’aller cogner à la porte de son patron afin de demander une augmentation de salaire. Chacun des personnages représente six personnalités ou six facettes de la même personne, soit «la proposition», «l'alternative», «l'hypothèse positive», «l'hypothèse négative», «le choix» et «la conclusion». Alors que certains metteurs en scène aiment jongler sur le nombre d’acteurs sur scène, l’actuelle production a privilégié le choix d’associer un trait de caractère à un seul interprète.

Le spectacle de 90 minutes bénéficie dès ses premiers instants d’un atout majeur dans sa manche, contribuant beaucoup à sa réussite. Sur le plateau, s’avance et s’installe assis derrière un bureau, un musicien remarquable. Il s’agit du pianiste Philippe Noireault qui a par le passé accompli quelques miracles, comme celui d’accompagner la magnifique Renée Claude sur son album en hommage à Léo Ferré (On a marché sur la l’amour, récipiendaire du prix Charles Cros). Sa présence contribue à créer une atmosphère aux nombreuses couleurs, oscillant sans cesse entre l’absurde, l’ironie grinçante, le quotidien loufoque, l’angoisse et le désespoir. Lorsqu’il interprète La Marche nuptiale de Mendelssohn, La Marche funèbre de Chopin ou tout autre extrait musical, les frissons nous parcourent la peau.

Sans véritable progression dramatique, l’histoire expose toutes les craintes, tous les paradoxes et effets comiques d’une situation banale en apparence, mais qui risque de toucher toute personne salarié aux prises avec les aléas et soubresauts du travail. Mais le talent de l’auteur se démarque également par son regard à la fois engagé et détaché qui souffle sans cesse le chaud et le froid.

Comme toute œuvre focalisant sur les mécaniques du langage, la pièce accorde une place prépondérante aux mots et à leurs sens véritables ou latents. Les répliques deviennent en quelque sorte une créature à part entière qui s’écoute avec délectation. Le texte rappelle de belle manière l’intelligence de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute qui avait conquis plusieurs spectateurs en janvier dernier. Perec tord la langue française pour démontrer l’impuissance du vocabulaire à transformer ou transcender le réel. Lors de la création de la pièce, les notions de délocalisation d’emploi, de néolibéralisme ou de mondialisation ne faisaient pas autant les manchettes qu’aujourd’hui, d’où l’aspect prophétique et visionnaire du propos de l’auteur plus d’actualité que jamais en ces années 2010. 

Une partition aussi exigeante nécessite des acteurs doués, à la fois dynamiques et humbles. Les six interprètes s’acquittent admirablement de leur tâche et se complètent dans une chorégraphie aux allures volontairement cacophoniques. Stéphanie Crête-Blais, Frédéric Desager, Christian E. Roy, Vicky Bertrand, Chantal Dumoulin et Christophe Rapin expriment toute la palette d’émotions aussi graves que risibles vécue par ces pauvres créatures prises dans un étau comme des rats de laboratoire.

La mise en scène d’Ariel Ifergan (le comédien de l’excellent solo Z comme Zadig d’après les écris de Voltaire) saisit bien l’urgence et l’enfermement de l’univers concocté par Perec. Comme des marionnettes ou de simples exécutants de la machine infernale, les comédiens amorcent le spectacle en rangée sur le mur, chacun sur un petit tabouret. Ils reviennent se positionner de la même manière lors du dénouement, témoignant de la non-évolution d’une situation ou de la résolution d’un conflit.

À la création de la pièce, certains sceptiques s’interrogeaient sur l’intérêt de décliner sur scène les ramifications d’un algorithme par la bouche d’acteurs. Un tel matériau peut-il susciter un quelconque sentiment de rire ou d'angoisse? Presque un demi-siècle plus tard, la pensée féconde de Georges Perec continue d’interpeller avec L’Augmentation, ne serait-ce qu’à entendre la réaction enthousiaste de l’assistance lors des applaudissements après la représentation. Le monde n’évolue pas nécessairement vers un avenir plus radieux, mais le théâtre peut nous consoler ou nous faire rigoler temporairement devant certaines de ses réalités affligeantes.

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