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Du 1er au 11 février 2017, 20h
suie
Projet initié par Anne Le Beau
Chorégraphe Dave St-Pierre
Interprètes Anne Le Beau, Bernard Martin, Hubert Proulx

L’impétueux chorégraphe Dave St-Pierre s’inspire de l’héroïque Jeanne d’Arc dans une oeuvre lumineuse sur la quête d’absolu, la force de l’instinct, le courage et la foi. Épreuve et dépassement sont au coeur du trio explosif, intime et engagé qu’il crée avec les danseurs Anne Le Beau et Bernard Martin et le comédien Hubert Proulx, guerriers de l’impossible qui deviendra possible. Tous sont animés par la même rage de vivre. Devant évoluer sur un plan incliné, ils ont aussi pour partenaires terre, gouache et eau. Leur peau s’habille des tatouages numériques de l’artiste Alex Huot, qui modèle les corps et convoque sur scène une nature déchaînée, un monde surnaturel. Les éclairages enveloppants de Marc Parent et la composition musicale de Stéfan Boucher donnent à la pièce une réelle volupté. Une aventure initiatique, une épopée urbaine, une mythologie nouvelle.


Projet initié par Anne Le Beau.
Composition musicale Stéphan Boucher
Conception des éclairages Hubert Leduc-Villeneuve
Imagerie numérique et projection sur les corps Alex Huot
Scénographie et costumes Dave St-Pierre

Durée 1h15

Tarif : à partir de 38$

Rencontre post-spectacle avec les artistes
Vendredi 3 février 2017
Vendredi 10 février 2017

Production Anne Le Beau / Compagnie Dave St-Pierre Inc. - Facebook

Danse Danse


Section vidéo


Cinquième salle de la Place des Arts
Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112 - placedesarts.com
 
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Critique

Rien n’est pire que l’indifférence

Dire que suie s’adresse à un public averti est un euphémisme. Lorsque l’on s’attarde à tous les remous que le spectacle a provoqués depuis sa création mercredi dernier, force est de constater que Dave St-Pierre continue de brasser le public et d’éveiller les consciences. Devant une création aussi éclatée, inutile de résister. Dans les circonstances, il vaut mieux s’abandonner à l’univers du chorégraphe et se laisser intriguer par cet objet étrange que de tenter de trouver un sens à tout ce qui est représenté sur scène.




Crédit photos : Romain Guilbault

La scénographie du spectacle rappelle une salle d’attente glauque, avec ses chaises de plastique jaunies, son prélart abîmé et sa machine distributrice à boissons gazeuses. Le plancher est incliné de manière à déstabiliser les interprètes qui sont constamment dans un état de déséquilibre. Cette caractéristique scénographique est d’ailleurs particulièrement bien exploitée par Dave St-Pierre dans l’élaboration de sa chorégraphie. L’absence de coulisses laisse voir différents costumes, mais également des membres de l’équipe de création qui supervisent le spectacle, intervenant à l’occasion pour effectuer certaines tâches techniques comme essuyer le plancher mouillé, prendre quelques photos de la représentation ou faire cesser les aboiements d’un (vrai) chien un peu trop bruyant.

Dans son « mot de bienvenue », une missive revendicatrice et sarcastique remise aux spectateurs à leur arrivée à la Cinquième salle de la Place des Arts, Dave St-Pierre explique qu’il avait envie de « fucker le chien » avec suie. Si tel était son objectif, on peut dire que le spectacleatteint parfaitement sa cible. Après plusieurs années d’absence en sol montréalais, le chorégraphe amène cette fois la non-danse à son paroxysme en prônant l’authenticité plutôt que la virtuosité, et le conceptuel plutôt que le chorégraphique. On retrouve peu de passages réellement « dansés » dans suie : nommons une scène très exigeante durant laquelle Anne Le Beau se hisse vers le haut de la scène à l’aide d’une corde avant de se laisser glisser sur le sol mouillé, ainsi qu’un trio durant lequel les trois interprètes chutent au ralenti à répétition et se fracassent bruyamment sur le plancher.

L’idée à la base de suie consiste à déconstruire le mythe de Jeanne d’Arc à le mettant « à la sauce Dave St-Pierre ». Ainsi, la jeune pucelle révolutionnaire de 17 ans est incarnée tout à la fois par la danseuse cinquantenaire Anne Le Beau, l’acteur Hubert Proulx et le danseur Bernard Lavoie. Dans les faits, cette trame traverse le spectacle de manière plutôt allusive : la projection vidéo d’une allumette sur le plancher incliné de la scène, une armure imposante et contraignante portée par la danseuse, ou encore deux bidons d’essence remplis d’eau qu’elle se verse sur la tête.

Plus qu’une histoire à raconter, c’est une ambiance subversive que cherche à créer Dave St-Pierre avec son spectacle, autant sur la scène que dans la salle. Le chorégraphe interroge l’idée même de représentation : ses possibilités, ses limites et ses tabous. Le spectacle débute d’ailleurs de manière inversée, par la présentation et le salut des interprètes et d’une partie de l’équipe de création par Dave St-Pierre, qui se font applaudir par le public. À l’inverse, suie se termine avec les directives habituelles concernant la fermeture des cellulaires et le repérage des sorties de secours.

La liberté totale que s’accorde le chorégraphe n’a pas son pareil dans l’univers de la danse contemporaine québécoise. Il met le politically correct aux ordures pour faire éclater le cadre dans lequel beaucoup d’artistes se contraignent. Si certains passages de suie peuvent sembler vulgaires ou déplacés, d’autres font apparaître la lourdeur des constructions sociales. Le meilleur exemple réside dans la présence d’un enfant sur scène (Victor Proulx), qui assiste les trois principaux interprètes dans le déroulement du spectacle. L’enfant se tord de rire lorsque Bernard Lavoie se coince la main dans la machine distributrice en hurlant, ou encore lorsqu’il se plaint d’être « pris sous le prélart ». Il regarde d’un air curieux son père (Hubert Proulx), complètement nu, accroché par des harnais à une croix de bois rappelant la posture du Christ. Il attend patiemment que deux des interprètes déshabillent Anne Le Beau et la lavent consciencieusement. Alors que le public se tortille dans la salle, mal à l’aise de voir un enfant assister à des performances aussi subversives, Victor Proulx semble amusé, sinon indifférent devant ce qui est représenté sur scène, alors que les spectateurs constatent leur propre inconfort.

La conception vidéo d’Alex Huot est très intéressante, principalement lorsqu’il travaille la superposition des images sur les corps des interprètes, créant ainsi des tatouages numériques fascinants. Il mélange des formes abstraites avec des images figuratives, souvent volontairement provocatrices : un œil, une bouche et un oiseau, mais aussi un pénis qui pénètre un vagin ou une épée qui perfore un corps nu. C’est peut-être d’ailleurs dans les projections vidéos que se trace le fil conducteur du spectacle.

Tout en admettant le caractère hermétique et chaotique de suie et le fait que cette nouvelle création de Dave St-Pierre peut être difficile à apprivoiser, il n’en reste pas moins que le spectacle a le mérite de faire réagir un public habitué à des œuvres plus (trop ?) consensuelles. Terminons en mentionnant qu’il aurait d’ailleurs été appréciable que Danse Danse assume ses choix artistiques et appuie l’audace de cette création. La décision d’offrir à ses abonnés la possibilité d’échanger ses billets pour un autre spectacle est déplorable de la part d’un diffuseur reconnu pour son caractère innovateur et visionnaire.

04-02-2017