Du 2 au 13 février 2010, 20h
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AbymeAbyme ou (La situation est complexe, Paul)

Texte librement inspiré du film No Man’s Land de Danis Tanovic
Texte et mise en scène de Mariflore Véronneau
Avec Geneviève Bélisle, Delphine Bienvenu, Guillaume Cyr, Alexandre Dubois, Benoît Drouin-Germain et Alexandre Leroux

Imaginez un instant une tranchée où un homme est couché sur une mine qui risque d’exploser au moindre mouvement. Ajoutez-y deux autres hommes, un ami, un ennemi, prisonniés eux aussi dans cette tranchée. Imaginez une journaliste en quête d’émotions fortes qui raconte leur histoire en direct à la télévision. Et finalement, un frère et une soeur qui, de leur appartement de Montréal, assistent en direct à ce drame de guerre, assis bien au chaud dans leur salon. Six solitudes qui se côtoient, qui s’entrechoquent, qui se questionnent sur la guerre et sa raison d’être.

Qui a commencé? Qui a raison, qui a tort? Qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal? Pourquoi se battre et surtout, pourquoi tant de violence? Ces questions, nous nous les sommes toutes déjà posées et jamais nous n’avons pu nous en tirer avec une réponse claire. ABYME ou (La situation est complexe, Paul) soulève ces questionnements qui nous renvoient à nos peurs, mais surtout à notre humanité imparfaite et parfois animale. Nous sommes tous submergés par une certaine violence; mais existe-t-il une bonne raison de franchir LA limite et de commettre l’irréparable?

Musique originale : Dmitri Marine
Décor : Loïc Hoy-Lacroix
Éclairages : Julie Brosseau-Doré
Assistanat : Maude Laurendeau

Une création Le Vaisseau d'or

Théâtre de l'Esquisse
1650 Marie-Anne Est
Billetterie : 514-934-1964

par David Lefebvre

Des conflits armés de toutes sortes font rage partout sur la planète depuis que le monde est monde. On pense au Vietnam, à la Corée, à l’Afghanistan, à l’Espagne, à l’Irlande. Le film No Man’s Land, du réalisateur Danis Tanović, long-métrage primé à Cannes et aux Golden Globes au début des années 2000, raconte l’histoire de trois ennemis lors de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine. Dans une tranchée entre deux lignes de feu, deux Bosniaques se terrent avec un Serbe. Situation explosive, si elle en est… de plus qu’un d’entre eux est allongé sur une mine bondissante. S’il se lève, tout le monde y passe. Des militaires, membres de la Force de protection de l'ONU (Forpronu), tentent d’intervenir, talonnés par une meute de journalistes. Le monde regarde.

La pièce Abyme ou (la situation est complexe, Paul), de Mariflore Véronneau, s’inspire largement de ce film puissant et profondément humain. Les personnages se divisent en trois blocs. D’une part, on reprend les grandes lignes de ce huis clos singulier, en nous présentant ces trois hommes, tapis, qui attendent les secours, interprétés par Guillaume Cyr, Benoît Drouin-Germain et Alexandre Leroux. Ailleurs, dans leur appartement confortable de Montréal, il y a Jonathan (Alexandre Dubois) et Jeanne (Delphine Bienvenu), frère et sœur, qui assistent aux événements en direct à la télé. Puis, dans le rôle de la journaliste Jane Livingston, renommée ici Joane, Geneviève Bélisle joue la reporter aux méthodes peu orthodoxes en quête de sensationnalisme, qui pense révolutionner sa profession.

La jeune auteure et metteure en scène propose ici plusieurs pistes de réflexion très pertinentes et généralement bien amenées. D’un côté, elle se sert des trois guerriers comme déclencheurs des débats. Par le couple, on aborde toutes les questions que nous nous posons en tant que spectateurs permanents, blindés par notre liberté et notre confort, loin de ces conflits meurtriers. Mariflore Véronneau  aborde des sujets intéressants : la violence sourde et animale qui sommeille en nous, la défense de nos idéaux, de nos valeurs et son prix, le sentiment d’impuissance devant l’incompréhension. On s’interroge sur les forces armées canadiennes, les frustrations de la vie quotidienne, ainsi que sur nos sentiments face à ce qui se passe dans le monde; des propos, finalement, dans lesquelles on se reconnaît, tous et toutes. L’auteure, en évacuant l’idée originale du film qui traite de la puissance des médias lors des conflits, pose plutôt un regard critique sur l’information spectacle, sur le besoin des journalistes d’en montrer encore et encore, d’être « au cœur de l’action », jusqu’à dénaturer l’information en tentant de la rendre paradoxalement plus humaine. 

La scénographie de Loïc Lacroix-Hoy est virtuellement séparée en deux : côté jardin, les trois hommes, côté cour, Jonathan et Jeanne, installés sur leur sofa. Les éclairages, de Julie Brosseau-Doré, découpent l’espace tout en étant cru, mais sans agresser la scène. 

Plusieurs qualités émanent de ce projet assurément personnel, mais on sent que la pièce n’en est qu’à ses balbutiements. On perçoit, en fait, tout le potentiel de certains moments humoristiques qui pourraient être plus satiriques et mordants. Le suspens et le sentiment de confinement dans la tranchée pourraient être encore plus étouffants, plus intenses. On aimerait être assis sur le bord de notre siège, transporté par la situation tout aussi absurde que dangereuse. On voudrait plonger davantage dans les pensées plus philosophiques sur la prise de position et le pacifisme, ainsi que sur la place et la responsabilité des médias. Mais les transitions entre les nombreuses scènes manquent souvent de punch, ce qui cause plusieurs ralentissements dans le rythme général de la pièce. De plus, à partir de la quatrième rangée, on perçoit difficilement ce qui se passe lorsque l’action se situe au sol, situation qui arrive malheureusement fréquemment.

Abyme ou (la situation est complexe, Paul) est une pièce à découvrir, tant par la qualité d’écriture que par le jeu des comédiens. Le spectacle évoluera assurément, et corrigera ainsi certaines lacunes rapidement.

05-02-2010

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