Ça circule sur Ontario comme personne peut imaginer, jours de pluie et jours de tempête de neige. Quand tu sais regarder juste au-dessus du volant, droit dans leurs yeux jusque dans leur queue, n'importe où, à n'importe quelle heure, les autos s'arrêtent à Montréal.
Du 1er au 19 juin prochains, la cellule lumière rouge, collectif issu de l'organisme Mise au jeu, convie le public à une expérience de théâtre déambulatoire qui sort des sentiers battus. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, un docu-fiction théâtral, porpose aux spectateurs une dérive au coeur du quartier Centre-Sud, là où vivent, aiment, travaillent, consomment, rient et rêvent les travailleuses (eurs) du sexe.
Munis d'un baladeur, les spectateurs arpenteront les lieux réels fréquentés par ces femmes et ces hommes marginalisés : de la rue Ontario (entre Wolfe et De Lorimier) où ils recrutent, en passant par les bars, les maisons de chambre, les parcs et les piaules. Sur leur chemin, en se laissant conduire par l'audio-guide, on percevra l'univers intime de Marilyne, Valérie, Jinny et de la petite ado à la crème glacée, des personnages fictifs créés à partir des témoignages et rencontres faites par la cellule lumière rouge.
Cette incursion poétique «guidée» dans le quartier Centre-Sud va au-delà de ce que l'information nous a rapporté sur la prostitution de rue. Je ne sais pas si vous êtes comme moi c'est un moyen sensible pour s'imprégner de la complexité et l'intensité de la vie de ces femmes et de ces hommes; une façon de voir sa ville avec le regard d'un autre.
Le scénario de Je ne sais pas si vous êtes comme moi a été conçu et écrit par les artistes de la cellule lumière rouge, Marie-Claude Gamache, Martine Laliberté et Nancy Roberge après deux ans de recherches, de rencontres, d'entrevues avec les gens du quartier. La rencontre de Marianne Matte, courtisane à vie, jadis intervenante dans des organismes qui travaillent avec les prostituées de rue, fut une étincelle déterminante pour le projet. En se joignant à l'équipe, Marianne Matte amène sa lucidité, sa créativité et une authentique connaissance du milieu, indispensable dans ce genre d'exercice.
La cellule lumière rouge a également sollicité des professionnels de la scène. Sonia Auger-Guimont, Frédéric Gagnon et Claudine Paquette aborderont le spectateur lors du parcours. Issu du groupe Farine orpheline, Éric Forget Lapointe a conçu la bande son de l'audio-guide avec trafiquage de sons ambiants et captations de témoignages. Catherine Gauthier se charge de la scénographie et des costumes.
Conception et textes : Marie-Claude Gamache, Martine Laliberté, Marianne Matte et Nancy Roberge
Conception sonore : Éric Forget Lapointe
Scénographie et costumes : Catherine Gauthier
Interprètes : Sonia Auger-Guimont, Frédéric Gagnon et Claudine Paquette
Interprètes audio : Marie-Claude Gamache, Martine Laliberté, Marianne Matte, Nancy Roberge et Gwenaël Guyot et travailleuses du sexe, passants, résidants du quartier Centre-SudDu 1er au 19 juin 2004
Départ aux 15 minutes, entre 19h30 et 21h30
Représentation spéciale le dimanche matin 13 juin entre 9h et 11h
Réservation obligatoire 514.871.1020
par Julie Lacasse (avec la participation de David Lefebvre)
18 ans et +
Nous sommes à l’ère de la télé-réalité et l’expérience que j’ai vécu hier soir, dans le fameux quartier des travailleuses du sexe (Ontario près de Papineau) me semble s’approcher de ce concept.
Je parle d’ « expérience » parce que c’est vraiment le cas. Le concept de ce groupe est fort original et fort bien fait aussi. Une paire d’écouteurs sur les oreilles, on se balade dans un des quartiers chauds de Montréal en suivant les indications d’une femme qui nous invite à entrer dans des endroits qu’on ne fréquenterait pas en temps ordinaires. Quelques personnages hauts en couleur, joués de façon très naturelle par des comédiens, parsèment notre itinéraire, nous laissant le choix de la rencontre.
C’est dans l’arrière d’un camion-cube stationné, assis sur un divan et en regardant un album de photos que commence le périple. La première plage du cd commence et on entend une jeune femme raconter comment elle était amoureuse de son père étant enfant et jusqu’où est allé cet amour. C’est cette voix qui nous guidera à travers le quartier, avec des fonds sonores toujours bien choisis et avec quelques anecdotes racontées par d’autres personnages « audio ». Le montage sonore est tout à fait remarquable, de l’enregistrement des voix jusqu’au montage des «sonorités d’ambiance». Même si on nous remet une carte au début du parcours, les indications sur la bande son sont claires et précises et arrivent à point, si on marche à une vitesse normale.
La «montée de la misère» se fait très tranquillement pour finir en un gros malaise duquel on cherche à s’enfuir. D’abord, on rencontre Marilyne, résidente du quartier qui nous parle des rénovations de son balcon et du voisinage, qui nous fait une leçon d’entraide aussi… Et on continue notre chemin, suivant la voix de la bande sonore, passant par des parcs sombres et par des stationnements douteux. À chaque endroit d’arrêt, nous avons droit à une histoire de prostitution. Celle du douteux parking est assez troublante car par nos oreilles, on se retrouve en direct dans la voiture d’un client qui s’achète une pipe. On entend tout, du début à la fin… Avis aux âmes prudes!
On rencontre aussi un jeune travesti au nom de Jenny, qu’on peut accoster sur le trottoir et qui nous demande de lui acheter des sous-vêtements sexys, les clients sont rares et il a besoin d’argent! Et puis on entre dans une boutique de tatouages, dans un hôtel de passe, on s’assoie sur le perron d’une église en regardant les automobilistes emprunter le pont au-delà d’un terrain vague pour se rendre dans leurs banlieues…
Plus on avance dans le parcours, plus l’atmosphère devient troublante et glauque. En finale, on a droit d’entrée dans un squat qui nous fait ressentir toute la morbidité de la misère d’une vie déchue. Je vous réserve la surprise. Mais disons que j’ai ressenti un profond malaise qui m’a incitée à sortir rapidement de cet endroit, même si je savais pertinemment que j’avais devant moi une comédienne et que tout ça n’était qu’un jeu.
Je tiens à mentionner que le sujet de la prostitution y est traité d’une façon originale et diversifiée. On entend des personnages mais aussi des discussions, des tables rondes avec des hommes et des femmes qui donnent leur opinion sur le sujet. Nous sommes interpellés à regarder, à prendre le temps d’observer, à réfléchir et même, à jouer le jeu de la séduction de la rue.
Personnellement, je n’ai rien appris de nouveau mais j’ai été imprégnée d’une façon inattendue à ce monde si loin de moi.
Maintenant, côté sécurité, plusieurs personnes coiffées d’un chapeau de cowboy circulent en vélo et en patins pour s’assurer que chaque participant soit en sécurité. Entre autres, vous aurez sûrement la chance de rencontrer Marianne, une charmante et dynamique jeune femme qui est très impliquée dans le projet puisqu’elle devait être au départ qu’une consultante et qu’elle fait finalement partie du périple. On nous a aussi expliqué que lorsqu’une personne vient faire la visite seule, on la fait accompagner par un des surveillants. Personnellement, je vous suggère fortement d’y aller en groupe, ou au moins à deux. Et si possible, surtout si vous utilisez le transport en commun pour retourner à la maison, de vous faire accompagner d’un homme si vous êtes une femme. Je ne veux pas paraître dramatique mais j’ai vécu une fin de parcours plutôt choquante après les émotions vécues plus tôt. En effet, en attendant mon collègue David qui était à la salle de bain du bar où se termine le parcours, je me suis faite accoster par deux hommes dont l’un d’eux m’a offert avec insistance 100$ pour lui faire une pipe! Je vous avoue que j’étais fort heureuse et soulagée de voir David revenir et m’accompagner jusqu’au métro Papineau…
Malgré tout, l’expérience vaut le coup (coût?!?), c’est tout à fait hors de l’ordinaire et fort bien organisé. On en sort un peu bouleversé et c’est bien. On peut peut-être s’interroger sur la pertinence de certains propos émis dans le scénario, comme le débat sur la séduction et la différence entre la prostituée et la femme de maison… Mais ce n’est pas un documentaire, c’est un parcours d’observation-réalité!
Bonne marche!
Réservation obligatoire 514.871.1020