de Katherine Kressmann Taylor - texte français Michèle Lévy-Bram
Mise en scène Pascale Henry

Bien que la nouvelle soit extrêmement simple, elle est comme impossible à résumer. On voudrait dire tout ce qu’elle touche, tout ce qu’elle soulève du particulier à l’universel, tout ce qu’elle réussit à embrasser au travers de cette correspondance imaginaire entre deux amis. Et la formidable puissance des mots, pour le meilleur et pour le pire, qu’elle met en scène. C’est à partir, sait-on, de quelques lettres réellement écrites que Kressmann Taylor imagine cette correspondance entre Max Eisenstein et Martin Schulse. Nous sommes en 1932. Max Eisenstein, un juif américain et Martin Schulse, un Allemand, sont marchands de tableaux en Californie. Ils sont unis par une de ces amitiés indéfectibles, chaleureuses et fraternelles. Ils ont une affaire commune, et Martin on le comprendra plus tard, a été très amoureux de la soeur de Max. Martin décide de rentrer en Allemagne. Ils se séparent donc. La nouvelle de Kressmann Taylor est constituée de la correspondance qu’ils entretiennent alors. L’un resté en Amérique, l’autre ayant regagné l’Allemagne. L’Allemagne à cette époque est dans l’état qu’on sait, humiliée de sa défaite et dans un état de grande décomposition. Martin en fait part à Max dès son arrivée. Au début les lettres ne se départissent pas d’une vision commune de l’existence, de confidences intimes et d’inquiétudes partagées. C’est au fil des lettres que l’on commence à entrevoir comment le discours nazi, qui fait son apparition, vient petit à petit séduire Martin, même s’il l’effraye en partie. Le séduire dans ce qu’il offre pour faire redresser la tête à un peuple aux abois. Et comment alors le fossé se creuse entre les deux hommes à des milliers de kilomètres l’un de l’autre. On entend toute l’incrédulité de Max à admettre que son ami défende des idées où il ne parvient plus à le reconnaître. On entend l’étrangeté qui vient s’immiscer entre eux lentement. Comment les mots que l’autre prononce les éjectent pas à pas, l’un et l’autre, de cet espace commun de l’amitié. Martin, enflammé par la toute puissance qu’elle propose, va épouser la cause nazie au mépris de tout ce qui le lie à Max. Comme si l’homme disparaissait proprement au profit de la logique du discours à laquelle il s’est identifié. Martin demande bientôt à Max de cesser de lui écrire. Et de le compromettre. Et l’on assiste atterrés, aux conséquences implacables de cette logique au travers du personnage de la soeur de Max. Celui-ci, très inquiet de sa présence en Allemagne, où elle joue au théâtre, demande à Martin de la protéger dans une lettre qu’il s’autorise à lui envoyer malgré l’interdiction de Martin. Elle est un soir conspuée par la foule qui découvre qu’elle est juive. Après avoir échappée de justesse à ses poursuivants, elle vient, après des jours de fuite, chercher refuge chez Martin devenu un dignitaire nazi. Lorsqu’elle sonne, les SA sont tout près. Martin lui refusera l’entrée de sa maison, craignant pour lui et sa famille et la laissera abattre. Max recevra une nouvelle lettre de Martin à cette occasion, lui annonçant froidement l’événement et la mort de sa soeur, comme une évidence. Quelque temps, après, Max se met à envoyer des lettres à Martin. Comme si c’était des lettres codées au sujet d’affaires qu’ils traiteraient ensemble et les signant toujours affectueusement de son nom juif. Arrive alors chez Max une lettre affolée de Martin, en proie à la panique d’être accusé de trahison envers le régime nazi, puisqu’on ouvre son courrier, le suppliant de cesser au nom de leur amitié.
Max ne cessera pas.

Jeu
Stéphane Czopek (Max)
Catherine Monin (l’auteur)
Thierry Otin (Martin)
Décor
Daniel Martin
Lumière
Léo Van Cutsem
Musique
Patrick Najean
Création sonore et régie son
Frantz Parry
Costumes
Anne Jonathan
Maquillage
Cathy Kuhn
Régie générale
Éric Proust
Administration de production
Catherine Grisard

STEPHANE CZOPEK
Il a joué au théâtre avec Chantal Morel (Frankenstein), Thierry Mennessier (Elvire-Jouvet 40), Bernard Falconnet
(L’oeuf, Un conte, La fièvre, Le grenier), Jean-Vincent Brisa, Luisa Gaillard, Philippe Garin… Il participe également à des spectacles de théâtre de rue avec Trio mineur (Boucherie) et Compagnie Cacahuète (Turbo Cacahuète).
Par ailleurs, il intervient comme lecteur à Troisième Bureau (Comité de lecture de théâtre contemporain) et
AnaGramme (Lieux dits).

CATHERINE MONIN
Après une licence des sciences de l’éducation-option théâtre, elle étend sa formation d’actrice au chant, à la
danse et à la technique de l’accordéon diatonique. Comme comédienne, sa présence est essentiellement centrée autour du festival d’Avignon : en 1997, elle est La femme seule dans Paroles de femmes de Dario Fo et Franca Rame mis en scène par Prosper Diss, puis en tournées nationales et internationales (120 dates jusqu’en 1999). En
1999, toujours sous la direction de Prosper Diss, elle joue Carmen dans Le café des patriotes de J.-M. Piemme. On
a pu la voir en 2000 dans Du désordre, montage de textes d’auteurs contemporains, mis en scène par Luc
Chareyron, en 2001 dans La nuit des rois, mis en scène par Agnès Regolo et récemment en 2002 à la Chartreuse de
Villeneuve-lez-Avignon dans Paroles de la pierre d’Ahmed Kalouaz mis en scène par Michèle Adbala.

THIERRY OTIN
Après le Conservatoire national d’art dramatique d’Avignon (1994-1997) sous la direction de Louis Beyler,
Pascal Papini et Antoine Selva, il suit différents stages de formation : danseur/acteur/chanteur des Hivernales ;
stage IGTS sur et avec Jean-Yves Picq. Au théâtre, il a travaillé avec J.-Y. Picq (Cité de verre), Jean-François
Matignon (rôle de Woyzeck dans Woyzeck), R. Simonet (rôle de Vladimir dans En attendant Godot). En 1999, il
participe au Festival In d’Avignon avec Lalla (ou la terreur) de D.-G. Gabily, mis en scène de J.-F. Matignon et en
2000, avec Hotel Europa collectif européen Theorem Est/Ouest.

Production compagnie Les voisins du dessous
Coproduction Théâtre Jean-Vilar, scène Rhône-Alpes, Bourgoin-Jallieu et Dôme
Théâtre, scène conventionnée d’Albertville.
La tournée 2004 au Canada francophone a été rendue possible avec le soutien de
l'AFAA-Association Française d'Action Artistique - Ministère des affaires étrangères ;
la DRAC Rhône-Alpes ; la Région Rhône-Alpes et la Ville de Grenoble.
Avec le concours du Réseau Scènes/Les voyagements.

Première à Montréal
20 janvier 2004
en présence de la presse
et des professionnels
21 et 22 janvier
Théâtre d’Outremont à Montréal

Tournée au Québec
25 janvier Théâtre Lionel-Groulx, Sainte-Thérèse
31 janvier Centre culturel de Beloeil
3 février Théâtre de Baie-Comeau
10 février Théâtre Hector-Charland, L’Assumption
12 février Salle Pauline-Julien, Sainte-Geneviève
13 février Théâtre des Deux rives, Saint-Jean-sur-Richelieu
14 février Salle Albert-Dumouchel, Salaberry de Valleyfield

__________________________________
Crédit photo : Jean-Pierre Maurin
Affiche : Illustration Barelli

par David Lefebvre

1932. Martin Schulse, Allemand, et Max Eisenstein, juif Américain, ont une galerie à San Francisco et vivent très aisément. Mais ils sont surtout deux amis fervents, deux frères. Malgré l'installation de Martin à Munich, où il acquiert un domaine pour un prix dérisoire (l'Allemagne est toujours en reconstruction, 14 ans après la guerre 14-18) ils poursuivent leur amitié à travers des lettres chaleureuses, passionnées. En juillet 1933 pourtant, les doutes et le malaise de Martin face aux remous du gouvernement allemand font vite place à un antisémitisme où ne transpire plus la moindre trace d'affection. D'une grande cruauté, sa décision tombe comme une sentence : "Ici en Allemagne, un de ces hommes d'action énergiques, essentiels, est sorti du rang. Et je me rallie à lui." Bien sûr, on parle de la montée d'Hitler au pouvoir. Max est incapable de se résoudre à cette révolution, politique et sentimentale.

Inspirée de quelques lettres réelles, cette courte nouvelle publiée en 1938 par Katherine Kressmann Taylor, une "mère au foyer" américaine, surprend. Par sa forme diabolique superbement maîtrisée d'abord et son aspect visionnaire ensuite : en soixante pages à peine, l'auteure parvient en effet à capter avec justesse l'Histoire en marche et à nous faire saisir, à travers le drame intime des deux personnages, toute la tragédie qui se joue outre-Atlantique.*

La pièce, traduite par Michèle Lévy-Bram et mise en scène par Pascale Henry, reprend littéralement le propos du livre; c'est à dire que nous voyons l'auteure (jouée par Catherine Monin) sur scène, dans un petit bureau, affectée par les acclamations de la foule pour Hitler à la radio qu'elle s'empresse de fermer. Puis, après un long moment, elle se décide à écrire. Ses deux personnages (soit Martin - Thierry Otin - et Max - Stéphane Czopek -) entrent alors en scène et dictent les lettres qu'ils s'écriront en ces années 1933-34. Les lettres changent au fur et à mesure que Martin adère au parti national-socialiste. Il demande à Max d'arrêter d'écrire. Celui-ci, ayant une soeur qui a eu une liaison avec Martin et qui n'a plus de nouvelles d'elle, depuis qu'elle a joué une semaine sur une scène de Berlin, s'empresse d'appeler au secours son ami... Le mouvement antisémite est violent et sans scrupule. Le reste est bouleversant.

Par des jeux de lumières sobres, souvent froides sur les personnages mais chaudes sur l'auteure, des jeux d'ombre, des espaces bien séparés entre les deux personnages, un décor simple, avec une rampe sur lesquels ils entrent en scène et qui passe devant l'auteure, le visuel est drôlement efficace. La trame sonore appuie les acteurs adéquatement, sans trop faire dans le flafla. Czopek et Otin jouent d'une façon convaincante; on croit au départ à leur grande amitié et au déclin de celle-ci. Leurs gestes sont minutieux, et ceux de Max sont souvent en accord avec ceux de l'auteure, comme si elle se voyait en lui. Le jeu s'intensifie jusqu'à la fin brutale.

"Nous sommes futiles et malhonnêtes parce qu'il faut triompher des personnes futiles et malhonnêtes". Plusieurs petites phrases comme celles-là sont soulevées dans le texte très bien rédigé. On y parle de la vie, de l'amitié, et on en vient à la politique, puis de la futilité du libéralisme "qui ne fait que chiâler en restant assis sans rien faire d'autre...". La guerre qui s'en suivit restera la plus meurtrière et abobinable du XXe siècle. On se doit de revenir et de comprendre les événements qui ont eu lieu avant et pendant, pour ne pas répéter le passé. Et le génie de ce texte est de décrire de l'intérieur ce genre d'événement et de l'avoir rédigé en 1938!

La troupe d'Inconnu à cette adresse ne sera pas là pour longtemps; courrez assister à une pièce toute en finesse, retenu jusqu'au dénouement cruel, qui décrit d'une façon si juste, avec art et subtilité, ce qui s'est sûrement passé entre amis séparés par l'hystérie et la démence d'un chef démentiel et d'un peuple révolté.

"Tu es un libéral, Martin. Tu vois les choses à long terme. je sais que tu ne peux pas te laisser entraîner dans cette folie par un mouvement populaire qui, aussi fort soit-il, est foncièrement meurtrier."

_____________________________________
Description du livre librement inspirée d'une critique de Laure Anciel