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L’enfant terrible du théâtre londonien de la fin des années 90 et la tragédienne française célèbre pour ses interprétations de femmes au bord de la folie sont réunies par Claude Régy dans sa production de la cinquième et dernière pièce de Sarah Kane. Description du paysage intérieur d’une psychose suicidaire, 4.48 Psychose est un texte choc, tant par ce qu’il transmet que par ce qu’il dit. Durant deux heures, debout immobile, bras tendus, poings serrés, où seule l’extrémité de ses doigts semble chercher une respiration, Isabelle Huppert entame un monologue et annonce son suicide à 4h48, l’happy hour dit-elle. Moment où les confusions de la grande psychose semblent s’évaporer jusqu’à la psalmodie du silence. Une performance théâtrale rare.
Metteure en scène et écrivaine, Sarah Kane parvient immédiatement à la célébrité faisant les gros titres de la presse qui l’a qualifiée de « mauvaise fille du théâtre britannique » avec Blasted, sa première oeuvre qui a déchaîné les passions. Cependant, « la mauvaise fille » proche du punk et de la culture rock, va révolutionner en peu de temps et pour longtemps le théâtre moderne. Blasted, Phaedra’s Love, Cleansted et Crave seront montées et jouées à travers toute l’Europe. Sarah Kane, s’est donné la mort à Londres le 20 février 1999, à l’âge de 27 ans.
Directeur des Ateliers contemporains, le grand homme de théâtre Claude Régy, aujourd’hui âgé de 80 ans, a conquis les plus grands plateaux européens. On lui doit des lectures fascinantes de maints auteurs et dramaturges qu’il a souvent aidé à faire connaître dont Jon Fosse, Edward Bond ou Tom Stoppard.
La célèbre comédienne Isabelle Huppert, en plus d’une feuille de route cinématographique impressionnante (Godard, Schroeter, Hanecke, Chabrol…), a incarné au théâtre plusieurs rôles illustres dans la Médée de Jacques Lassalle, l’Orlando de Bob Wilson et le Mary Stuart de Howard David au Royal National Theatre de Londres.
“ La création en France de 4.48 Psychose… constitue un événement littéralement inouï. Cela n'a jamais été entendu, cela n'a jamais été vu ". Jean-Pierre Léonardini, L'Humanité, 2002
Production Les Ateliers Contemporain
Texte
Sarah KaneMise en scène
Claude RégyAvec
Isabelle Huppert, Gerard WatkinsDu 3 au 12 novembre 2005
Billetterie : 521-4493
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par David Lefebvre
Libère-moi de ce doute corrosif...
Putain.
Maintenant revenu dans mon petit appartement aux heureuses vibrations, je repense à cette expérience théâtrale. Du genre qu'on s'ennuie pendant, et qu'on arrive à apprécier certains aspects après réflexion. Mais quel sentiment guidera mon souvenir de 4.48 Psychose?
Parlons tout d'abord de Sarah Kane. Née en 1971, cette auteure, bad girl du monde culturel anglais des années 90, connaît un succès retentissant. Après cinq pièces plus frappantes les unes que les autres, dénonçant la cruauté, le mal à l'âme, elle se donne la mort par pendaison dans les toilettes de l’hôpital psychiatrique londonien où elle était soignée. 4.48 Psychose est son dernier «texte», adaptation d’écrits poétiques, se situant entre la complainte, le monologue, la prière et le poème moderne. Elle nous plonge, par cette division entre la conscience et le corps, dans le centre-même de la douleur, de la cruauté, de la panique psychotique, de l'appel à l'aide. 4.48, l'heure de la désillusion, de la mort. C'est d'ailleurs le seul texte qu'elle n'aura pas vu monté.
Le metteur en scène Claude Régy, grande figure de théâtre en France, a voulu, à première vue, ne faire qu'un entre la forme et le contenu. On a tout déconstruit, en commençant par le décor, remplacé par une toile scintillante, séparant la jeune femme (Isabelle Huppert) et son jeune médecin (Gerard Watkins) ; un mur psychologique entre le monde extérieur et le sien. L'éclairage se résume en quelques projecteurs, qui changent d'angles et d'intensité selon les scènes. Quelques fois, des chiffres ou des mots apparaissent sur cette toile, que la femme répétera inlassablement. L'économie de mouvement et d'énergie est au maximum : la comédienne ne bouge pas, restant debout, les poings serrés, tout le long de la pièce. Mis à part quelques soubresauts, leur ton de voix est monocorde et monotone à mourir, l'incarnation parfaite de la catatonie. Dit comme cela, ça peut sembler fameux, audacieux, novateur. Peut-être. Mais 1h45 d'inaction, d'hébétude, de silence qui n'en finissent plus peuvent rendre mal à l'aise, déplaire ou ennuyer royalement, ou, tout au contraire, fasciner. La mise en scène presqu'anti-théâtrale nous rapproche de ce que Sarah Kane a voulu exprimer dans son dernier texte-testament, nous propulsant dans des zones de maladie et de folie inexplorées. Mais ce n'est pas tout le monde qui peut faire le voyage, loin de là.
Sans le talent fou d'Isabelle Huppert, qui ne bronche pas d'une semelle de ce rôle (ou état) dysfonctionnel, exigeant, qui nous semble pourtant assommant, aidé par la présence de Gerard Watkins (qu'on voit peu souvent, au travers le voile) la pièce pourrait être une épreuve terriblement difficile, insupportable. L'intonation uniforme de la pièce peut nous rendre introspectif, introverti, et nous faire perdre facilement le fil des mots que l'on voudrait comprendre, s'approprier, et en souffrir. Une scène, à mon avis, se détache de tout le reste (en faisant exception du dernier dialogue), celle où elle énumère les drogues qu'elle doit prendre et les effets secondaires. Le ton fonctionne à merveille, donnant l'impression d'une lecture de faits, soulevant quelques réactions dans la salle.
On attendait depuis plusieurs années Isabelle Huppert à Montréal. Après le miracle d'avoir pu admirer Denis Lavant deux fois sur scène en deux ans, voilà que l'unique comédienne nous rend enfin visite, pour défendre 4.48 Psychose. Tout ce que j'espère, c'est qu'elle puisse revenir bientôt pour nous faire découvrir d'autres registres que la folie et la psychose.
05-11-2005