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Du 12 janvier au 6 février 2016
Pelléas et Mélisande
Texte Maurice Maeterlinck
Mise en scène Christian Lapointe
Avec Sylvio Arriola, Marc Béland, Lise Castonguay, Sophie Desmarais, Éric Robidoux, Paul Savoie, Gabriel Szabo

Fasciné par les sentiments extrêmes, l’audacieux metteur en scène Christian Lapointe a choisi l’une des plus envoûtantes histoires d’amour jamais écrites pour faire son entrée dans notre théâtre. Cet absolu chef-d’oeuvre du théâtre symboliste, énigmatique comme un rêve, n’a cessé depuis sa création en 1893 d’inspirer les compositeurs et les peintres, tant les profondeurs insondables de la vie, de la passion et de la mort y sont exprimées de façon saisissante.

Alors que le royaume d’Allemonde s’enfonce dans les ténèbres et la mort, le prince Golaud, égaré en forêt au cours d’une chasse, découvre au bord d’une fontaine une jeune femme en pleurs. Impossible de savoir d’où elle vient ni ce qu’elle a fui. Elle ne peut dire que son nom : Mélisande. Il la ramène au château, l’épouse. Mais entre l’insaisissable Mélisande et Pelléas, le demi-frère de Golaud, naît une attirance secrète qui éveille chez Golaud une monstrueuse jalousie.

Pour nous faire entrer dans ce mystère du théâtre qui se fait, Sophie Desmarais et Éric Robidoux deviendront sous nos yeux les amants d’Allemonde.


Conseillère dramaturgique Andréane Roy
Scénographie Geneviève Lizotte
Costumes Elen Ewing
Éclairages Martin Sirois
Musique Nicolas Basque
Conception vidéo Lionel Arnould
Conception des accessoires Claire Renaud
Assistance à la mise en scène et régie Alexandra Sutto
Visuel Jean-François Gratton

Production Théâtre du Nouveau Monde, en coproduction avec le Théâtre Blanc


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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Critique

Crédit photo : Yves Renaud

Au Théâtre du Nouveau Monde, la vision éclatée de Christian Lapointe bouscule les conventions théâtrales dans Pelléas et Mélisande. Pourtant, l’exécution scénique ne nous convainc qu’en partie.

Curieusement, le texte du Belge Maurice Maeterlinck est rarement monté à la scène. Son adaptation comme livret de l’opéra du même nom a marqué l’art lyrique du 20e siècle. Outre Claude Debussy, d’autres compositeurs dont Arnold Schoenberg et Gabriel Fauré ont été inspirés par les deux amants imaginés par le poète symboliste, tout comme le bédéiste P. Craig Russel. 

Puisant ses sources dans le mythe de Tristan et Yseult, la pièce raconte une histoire d’amour et d’envie entre Pelléas, Mélisande et Golaud. Perdu en forêt lors d’une partie de chasse, ce dernier fait la connaissance d’une craintive et mystérieuse Mélisande qui menace de se suicider après avoir jeté sa couronne. Il l’entraîne au château familial où se trouve son demi-frère Pelléas. Entre celui-ci et la séduisante étrangère s’esquissent les premiers soubresauts d’une passion qui restera chaste, en raison des convenances sociales. Pourtant, la mort rôde, tout comme la vengeance qui imbibe l’âme et l’esprit de Golaud.  

Pendant près de deux heures, nous assistons aux sentiments émanant de la plume du dramaturge hanté par les affres du silence, du deuil et de l’angoisse. Dans ce théâtre abstrait, tel que l’a qualifié Alfred Jarry, le metteur en scène s’amuse avec habileté à reprendre des éléments visuels présents dans l’univers de l’écrivain. Par exemple, les références médiévales (comme les tours et autres parties du château) sont exposées sur le plateau en reproductions miniatures comme des jouets d’enfants ou projetées sur écran. La scénographie traduit ainsi, avec une efficacité parfois surprenante, l’atmosphère onirique de Maeterlinck.


Crédit photo : Yves Renaud

Dès les premières secondes de l’amorce du spectacle, le bruit d’une aiguille d’un phonographe apporte une couleur nostalgique à un ensemble qui tranche, autrement, par sa relecture plutôt contemporaine. De plus, Christian Lapointe rend un hommage assez touchant aux premières décennies du cinéma en salle, alors que nous voyons en lettres blanches la mention du début de chacun des cinq actes et des lieux où se déroulent les scènes tout au long de la production.

Les admirateurs du metteur en scène, reconnu pour sa préférence aux partitions denses et métaphoriques, retrouveront avec plaisir des traces de sa signature. Quand les interprètes se placent en position frontale pour s’adresser directement au public, nous reconnaissons l’influence du déstabilisant Oxygène d’Ivan Viripaev, précédemment dirigé au Théâtre Prospero. Brisant le quatrième mur, le procédé donne quelques fois des résultats intéressants (surtout lors des interventions de Lise Castonguay). Par contre, il entraîne davantage une distanciation lorsque Sophie Desmarais et Éric Robidoux sortent de leurs personnages du couple d’amoureux. De telles ruptures de ton nous empêchent d’adhérer pleinement à la tragédie sentimentale. C’est dommage, car l’écriture de Maeterlinck se démarque par ses plongées dans les abîmes et les énigmes du cœur humain. À trop vouloir souligner explicitement les enjeux ou montrer certains accessoires comme sous une loupe grossissante, l’effet d’étrangeté perd de sa puissance, et même de son audace.

La distribution ne brille que très rarement de tous ses feux. En Golaud, Marc Béland livre une prestation honnête, mais il manque à sa composition la dimension perfide et cruelle à cet amoureux repoussé. Paul Savoie et Sylvio Arriolo paraissent pour leur part plutôt effacés sous les traits respectifs du roi Arkel et du médecin. La Geneviève de Lise Castonguay démontre au fil de ses apparitions une belle sensibilité. Yniold, le fils de Golaud, devient, par contre, une marionnette caricaturale dans les intonations et les gestes de Gabriel Szabo. Les deux comédiens principaux demeurent crédibles, mais pas inoubliables dans le témoignage de leur affection.

Robidoux s’imprègne bien de la fougue de son Pelléas. Sa partenaire de jeu personnifie quant à elle une poupée de cire, inhumaine et inexpressive, à l’opposé d’un être de chair et de sang. Dans la lecture du metteur en scène, l’héroïne est perçue comme la victime de la passion des hommes.


Crédit photo : Yves Renaud

La conception sonore de Nicolas Basque fusionne des extraits du magnifique opéra de Debussy et des morceaux plus rock. Le mélange des genres ne donne ici malheureusement pas un résultat aussi heureux que prévu, surtout quand les deux acteurs-vedettes se dépouillent de leurs costumes. Mélisande et l’objet de son affection (dont la voix ressemble à celle du chanteur Daran) se métamorphosent brièvement en performeurs. La séquence détonne davantage qu’elle transgresse la linéarité du récit.

L’une des autres faiblesses de la proposition de Christian Lapointe concerne l’intégration malhabile de différents niveaux de langage. L’emploi d’une prononciation plus relâchée, voire d’un vocabulaire plus québécois, à la place du registre sans accent du texte de Maeterlinck, se justifie difficilement.  

Malgré les accrocs au chef d’œuvre du mouvement symbolique, la production de Pelléas et Mélisande  au TNM parvient, dans ses moments les plus forts, à façonner des fragments d’une beauté grandiose et frémissante.   

19-01-2016