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Supplémentaire 3-4-5 octobre 20h
Ajout supplémentaire 6 octobre 20hJe t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Marguerite est une fleur dont on arrache les pétales un à un, une fleur vénéneuse, une fleur du mal et pourtant pure, d’une pureté corrompue au contact du monde et des hommes. Avilie par ses amants, rejetée par eux, marguerite, cette courtisane immortalisée à l’opéra sous les traits de la traviata, rêve de se réhabiliter par l’amour et croit pourtant que le destin ne l’a vouée qu’aux plaisirs frivoles. A la fois ange et démon, sublimement généreuse, femme à la fois séduisante et mortelle, la dame aux camélias aime. Passionnément, confusément, absolument. Aime jusqu’à en mourir.
La dame aux camélias fit scandale lors de sa création en 1852. Aux yeux des bien-pensants, Alexandre Dumas fils s’y livrait à la glorification romantique de l’adultère, lui qui pourtant croyait qu’il fallait mettre le théâtre au service des grandes espérances de l’âme. Le roman avait arraché les larmes, la version pour le théâtre fit de lui un immortel. Aujourd’hui on ne meurt plus de la tuberculose, mais l’amour tue encore : cela s’appelle le sida, cela s’appelle l’amour à mort. Et le drame de cette marguerite fanée et pourtant belle et pure nous va droit au coeur. Anne-Marie Cadieux qui, dans tant de ses rôles, a l’élégance majestueuse du crépuscule, devient Marguerite Gautier, l’hirondelle insaisissable frôlant de son aile brisée le monde qui est le nôtre, ce monde qui a oublié ce qu’est le véritable amour. Rencontre au sommet de deux icônes d’une fragilité bouleversante.
De
René de CeccattyD'après le roman de
Alexandre Dumas filsMise en scène de
Robert BellefeuilleAsst. mise en scène et régie
Diane FortinAvec
Anne-Marie Cadieux, Bénédicte Décary, François-Xavier Dufour, Geoffrey Gaquere, Aubert Pallascio, Sébastien Ricard, Paul Savoie, Monique SpazianiConcepteurs
Jean Bard, François Barbeau, Étienne Boucher, Louise Beaudoin, Angelo BarsettiDu 5 au 30 septembre 2006
Supplémentaire 3-4-5 octobre 20h
Ajout supplémentaire 6 octobre 20h
Billetterie : 514-866-8668
par David Lefebvre
"Regardez ce corps qu'on payait si cher..."
Au cours de l'hiver qui débutait le nouveau millénaire, l'écrivain français René de Ceccatty fut approché par l'agent d'Isabelle Adjani pour concevoir une adaptation théâtrale, à la demande express de l'actrice, de La Dame aux camélias, d'Alexandre Dumas fils. Replongeant dans la pièce que l'auteur avait écrit lui-même, tiré de son roman (et dont on avait tiré par la suite l'opéra La Traviata), de Ceccatty s'aperçut qu'il "serait impossible de la jouer actuellement", du moins selon l'idée qu'il se faisait du théâtre. Il décida donc de reprendre du début, c’est-à-dire du roman.
Alexandre Dumas fils (bâtard reconnu d'Alexandre Dumas père et d'une modeste couturière, Catherine-Laure Labay) se fait connaître et applaudir dans le monde littéraire grâce à un livre titré La dame aux camélias, publié en 1848. Dumas est fou d'amour d'une courtisane, nommée Marie Duplessis, dont il est l'amant. Il s'en inspire pour créer Marguerite Gauthier, héroïne mourante. Il connaît un grand succès avec ce bouquin, mais comme son père, Alexandre Dumas fils a une existence mondaine ruineuse, mais est un auteur prolifique. Il est très marqué par son statut d'enfant naturel, et il devient alors l'avocat des "enfants sans parents" et des "filles-mères". Il est très attentif aux sujets de société : adultère, divorce, drames familiaux, prostitution, condition féminine… ce qui lui vaut la réputation "d'auteur à scandales".
C'est en toute liberté que René de Ceccatty travaille à l'adaptation du roman, ne retenant du livre que ce qui le touche et l'intéresse. Il retire les éléments trop anecdotiques, quelques personnages, mais en invente aussi (Charles en est le fruit, un narrateur neutre, une conscience, un double d'Alexandre Dumas fils et de lui-même). Il redéfinit certains caractères de deux personnages secondaires (Prudence, moins cynique et vulgaire, et le père d'Armand, plus jeune, moins moralisateur et puritain que dans le livre et qui a à coeur les affaires de son fils), donne un aspect plus physique au duc et se concentre sur l'amour passionnel, la maladie et la mort, thèmes centraux, intemporels et névralgiques du roman.
Marguerite Gauthier, courtisane qui fait fondre tous les coeurs des hommes aux alentours, se laisse séduire par un jeune riche (Rodolphe De Nevers - inspiré de Varville dans la pièce et du comte de N. du roman) et se fait entretenir par un vieux fortuné (le duc de Bassano) . Un soir, à l'opéra, alors qu’elle se trouve en compagnie de son amie Prudence, un dénommé Gustave Vernon s'approche d'elle et lui présente un jeune avocat, du nom d'Armand Duval. Armand, sous le charme, est piqué par les propos amers de Marguerite, mais il ne renonce pas pour autant. Marguerite, malade, est souvent au lit, et lui profite de cet état pour lui rendre visite et s'enquérir de ses nouvelles sans se présenter. Un jour, il lui avoue tout l'amour qu'il lui porte. Touchée, elle se laisse prendre par cette passion, offrant pour la première fois son corps gratuitement, et son âme. Mais elle a un train de vie qui coûte cher, et Armand n'a pas les moyens de payer pour ses besoins. Armand est jaloux ; il ne peut concevoir qu'elle soit dans les bras d'un autre pour de l'argent. Deux rangs sociaux différents, un amour flamboyant, une destruction inévitable. De plus, l'entourage des deux amants est contre cette union, qui coûte à l’un comme à l’autre...
Crédit photos : Yves RenaudL'adaptation de René de Ceccatty est intime, contemporaine, et presque cinématographique: comme cité plus haut, on y parle d'amour, de mort, de maladie incurable, de relations écono-amoureuses. La base de cette histoire pourrait prendre place au Japon avec les geishas, ou encore aujoud'hui. Robert Bellefeuille donne un ton classique, victorien, mais onirique, sans que l'espace ne soit défini : le décor symbolique de Jean Bard est d'un somptueux esthétisme. Un immense mur avec trois portes, cinq chaises dispersées sur la scène, un plancher noir et luisant, des bouteilles et des flacons : l'espace représente la grande solitude et la fragilité des personnages et des relations qui les lient. La pièce débute plutôt lentement, après la mort de Mme Gauthier, puis flash-back : on découvre toute l'histoire, au rythme temporel romanesque et élastique. La pièce prend finalement son envol lors du premier vrai échange entre Marguerite (Anne-Marie Cadieux) et Armand (Sébastien Ricard). Leur passion dévorante est jouée si intensément sur scène que les autres personnages semblent pratiquement inanimés, neutres. Ricard interprète un Armand passionné, impulsif, violent, même parfois naïf. Marguerite est plutôt enjôleuse, lucide, à l'esprit vif, mais aussi fatiguée, malade, perdue, brisée. Une hirondelle qui ne vole plus très haut. Leur amour se bâtit sur une illusion, aussi belle soit elle. D'ailleurs, le mot "aimer", conjugué ou non, revient si souvent qu'il devient un châtiment, une condamnation plutôt qu'une libération. Tous les comédiens sont à la hauteur de leur talent, et même si Bénédicte Décary n'a qu'une toute petite scène, en tant qu'Olympe, jeune courtisane, elle est rafraîchissante, belle et ingénue. Nanine (Ginette Chevalier), qui se veut une présence plus émotionnelle et maternelle dans le texte, joue pourtant ici d’une façon très austère, au service de sa maîtresse, et n'est pas d'accord et ne comprend pas les agissements de Marguerite depuis qu'Armand est entré dans sa vie et sa chambre.
Les costumes de François Barbeau sont tout simplement magnifiques : les robes rouges flamboyantes de Prudence (intrigante Monique Spaziani) et Marguerite sont d'une grande élégance ; les hommes ne sont pas en reste avec des habits bien découpés, très chics. Les éclairages d'Étienne Boucher, jouant beaucoup avec le côté lumineux et sombre des personnages et de ce qu’ils dégagent, et la musique de Louise Beaudoin viennent admirablement appuyer le spectacle.Même si on y parle de la dame aux camélias, ne cherchez pas les fleurs : ce sont plutôt les acteurs qui forment un bouquet coloré et singulier. Mais le parfum qu'il dégage sera perçu différemment par chaque spectateur : certains seront sous le charme du pouvoir romantique et charnel de cette histoire, d'autres resteront simples témoins d'un mélodrame prévisible, mais consternant.
12-09-2006