Supplémentaires du 28 mars au 1er avril 2006

L’auteur des Belles-Sœurs, le plus connu de nos dramaturges, également romancier prolifique, est de retour au TNM. Un classique de notre dramaturgie : surgi du début des années 70, le duo implacable, l’improbable couple imaginé par Michel Tremblay, remonte sur les planches — sur le ring ! — pour un combat à mots nus, crus et durs, où la haine et la trahison, l’amour et le sacré s’entrechoquent !

Au retour d’une soirée éprouvante, Hosanna le travesti, obnubilé par son idole Elizabeth Taylor en Cléopâtre, et Cuirette, le faux dur vieillissant, se retrouvent face à face, confrontés à tous les faux-fuyants. Sous le maquillage et les déguisements, derrière les insultes et les injures, au-delà des émotions exacerbées, lentement paraît la fragilité de deux hommes déchirés dans leur identité.

Serge Denoncourt, qui a mis en scène de redoutables Belles-Sœurs (L’Escale, 2003–2004), revient au TNM pour donner sa vision de cette œuvre métaphore sur l’ambiguïté identitaire où l’on a pu lire l’hésitation politique, la dualité du peuple québécois. Nul doute que ce créateur éclectique saura insuffler la puissance de sa signature, bousculant les conventions et le public, à cette extraordinaire partition pour deux grands acteurs, Benoît Brière et Normand D'Amour, dont le talent a été maintes fois consacré.

Une œuvre dont chaque lecture se révèle différente, telle une nouvelle création.

Texte de
Michel Tremblay

Mise en scène de
Serge Denoncourt

Assist. mise en scène
Régie
Geneviève Lagacé

Concepteurs
Guillaume Lord
François Barbeau
Martin Labrecque

Avec
Benoît Brière
Normand D'Amour

Du 28 février au 25 mars 2006
Supplémentaires du 28 mars au 1er avril 2006
Billetterie : 866-8668

 

par David Lefebvre

Dans une autre critique, celle de Encore une fois..., je parlais du Printemps Tremblay imprévu. Hosanna est donc la deuxième pièce de l'auteur québécois, en ce mois de mars, à être proposée au public.

Claude Lemieux est coiffeur le jour sur la rue St-Hubert. Le soir, il est Hosanna, la plus grande folle de Montréal. Travesti, il voit enfin sa chance d'incarner l'idole de ses rêves se réaliser pour un party d'Halloween dans un cabaret gai. Mais les autres travestis, avec l'aide de son chum Cuirette, lui réservent une surprise. Humilié, de retour dans son appartement que Cuirette définit comme une "boîte à parfum cheap", les deux amoureux reviennent sur la soirée, leur relation, leurs illusions.

Hosanna est probablement une pièce qui a choqué lors de sa première création, en 1973. Parler si ouvertement d'une relation homme-homme, des travestis, utiliser un langage cru, un pas à côté du joual, c'était quand même innovateur. Mais aujourd'hui, quand est-il de tout ceci? Bien sûr, la pièce ne choque plus, habitués maintenant que nous sommes de voir et de côtoyer ces hommes-personnificateurs, dans le Défilé de la Fierté Gaie ou le Village par exemple, ou dans les médias. Il suffit de penser à la télésérie Cover Girl, au film CRAZY ou à Mado Lamothe. Du coup, out, ce côté qui pourrait être scandaleux. On arrive alors à l'essentiel : le texte parle de la relation d'un couple vieillissant, d'un amour loin d'être évident, du rôle des protagonistes dans ce couple, du moins ceux qu'ils jouent, du problème identitaire, de la dualité entre le masculin/féminin. Dans la caricature des personnages, Cuirette est le faux-dur, le motard tendre, et Hosanna est un homme qui se déguise en une femme qui se déguise (Élizabeth Taylor/Cléopâtre). Ce dernier n'a jamais pu accepter complètement sa condition d'homme et tente de se cacher dans la peau d'une femme. La soirée humiliante lui donnera la chance, malgré tout, de voir qui il est vraiment, de l'accepter et de comprendre qui ils aiment : Hosanna aime-t-il Cuirette ou Raymond? Et Cuirette, Hosanna ou Claude? La pièce parle aussi de ce qui fut et n'est plus : Cuirette déplore que le Parc Lafontaine soit maintenant tout illuminé ; lui n'est plus ce qu'il était, bedonnant, vieillissant, déchu, tout comme Hosanna, qui n'est plus la grande folle de jadis.

Pour interpréter tout ceci, il fallait des comédiens d'expérience, qui ne tomberait pas justement dans la caricature ou la facilité, pour rendre ces deux personnages humains, accessibles, crédibles. Normand D'Amour joue un Cuirette sans trop de flafla mais solide. Benoît Brière réussit encore une fois à étonner : son jeu est d'une grande justesse, car la ligne qu’il suit sans broncher est mince entre le ridicule et l'exagération. Brière a été très méticuleux dans sa personnification : ses manières, ses mouvements, ses déhanchements, jusqu’au ton de sa voix et au langage caractéristique très rond en bouche. La grande force de ce duo, c'est qu'on y croît vraiment à leur histoire d'amour. Qu'il est possible et crédible. Chapeau!

Serge Denoncourt nous propose une relecture actuelle, intime, de ce récit qui date de plus de trente ans. Le décor est rectangulaire, comme une grande boîte dans laquelle on retrouve l'appartement d'Hosanna. Hyperréaliste, il est chargé, comme le serait un logement de ce genre. Lorsqu'on arrive au moment du retour sur la soirée par Hosanna, seul, l'effet scénique est magnifique : la "boîte" recule, comme si l'appartement rapetissait, devenant en arrière-scène une maison de poupée géante, laissant Brière sur une scène nue, éclairé par un projecteur.

En bout de ligne, l'histoire ne m'a pas entièrement touché comme je l'aurais souhaité. Est-ce justement à cause de la banalisation récente du phénomène d’éonisme, de la longueur de l'explication de la fameuse soirée, ou du punch de celle-ci qui semble tomber un peu à plat après tant d'attente? Par contre, la finale, où Hosanna se met finalement à nu, physiquement et psychologiquement, arrivé au bout de son trajet terrifiant et de la nuit, est très réussie.

Le jeu est impeccable, la mise en scène est soignée, et le propos sur la recherche identitaire, la décrépitude ou la décadence de deux individus mais surtout d'un couple, ici homosexuel (qui aurait pu tout aussi bien être hétéro), est toujours actuel et passionnant

05-03-2006