Supplémentaires les 8 et 9 juin 2005, 20h
La mise en scène décapante, audacieuse, risquée et pleine d'humour de ce chef-d'oeuvre du docteur Tchekhov, que signe Wajdi Mouawad, magnifie la Russie et nous procure un véritable plaisir théâtral! Dans une petite ville de campagne, trois soeurs rêvent à leur prochain retour à Moscou, la ville de leur enfance bienheureuse. Lentement mais sûrement, leur vie s'étiole alors que les drames et petits bonheurs quotidiens des uns et des autres se succèdent au gré des saisons. Sous l'apparante banalité des dialogues, transparaît la tragique d'une vie sans joie. Créée au Théâtre du Trident, à Québec, en 2002, cette production a obtenu un immense succès national et international.
Production Théâtre du Trident
Texte de
Anton TchekhovTraduction de
Anne-Catherine Lebeau
en collaboration avec
Amélie BraultMise en scène de
Wajdi MouawadAssist. à la mise en scène et régie
Hélène RheaultAvec
Nancy Bernier, Jean-Jacqui Boutet, Lise Castonguay, Vincent Champoux, Marie Gignac, Benoît Gouin, Ginette Guay, Paul Hébert, Steve Laplante, Michèle Motard, Anne-Marie Olivier, Richard ThériaultLes concepteurs
Isabelle Larivière, Éric Champoux, Wajdi Mouawad, Robert Caux, Florence Cornet, Jacques DallaireDu 19 mai au 4 juin 2005
Supplémentaires les 8 et 9 juin 2005, 20h
par David Lefebvre
Nous vivons notre vie quoi qu'il arrive...
Il s'est dit beaucoup, beaucoup de choses sur cette pièce. Il m'est difficile d'ajouter quoi que ce soit de vraiment nouveau. Mais soyons franc : avec un tel succès international, on ne peut que clamer le génie de Wajdi Mouawad, le travail fantastique des concepteurs et le talent indéniable des comédiens et des comédiennes en scène.
Entendons-nous tout d'abord sur un truc : jamais je n'aurais imaginé rire si franchement pendant une pièce de ce cher Tchekhov, maître des dialogues banals cachant tragédies et drames humains. Et rarement je n'ai été si touché par une finale percutante, bercée par la magnifique voix de Michèle Motard.
Dans un petit village de la campagne profonde de la Russie, trois soeurs, Olga (Lise Castonguay), Macha (Marie Gignac) et Irina (Anne-Marie Olivier) ne rêvent que de retourner à Moscou, ville de leur jeunesse et avenir de leur vie. Mais l'accumulation de petits bonheurs et malheurs donnent une banalité certaine à leur vie maintenant sans péripéties (ou presque) et les cloue sur place. En exil psychologique, les trois femmes souffrent terriblement, intérieurement. C'est l'épuisement total, mais elles semblent comprendre petit à petit que la réalisation du rêve tuerait celui-ci. Elles vivent entourées de leur frère Andreï (Jean-Jacqui Boutet), un homme qui se fond dans son entourage, délaissant peu à peu le violon et la science; de la femme-bourreau du frangin, Natalia (Nancy Bernier), du mari de Macha, Koulyguine (Vincent Champoux), du voisin et ancien amoureux déçu de leur mère, Tchéboutykine (Paul Hébert), d'un charmant soldat (Benoît Gouin), du prétendant d'Irina, Tousenbach (Steve Laplante), de son ami Solioni (Richard Thériault) et de la servante de 80 ans, Anfissa (Ginette Guay).
On les voit déblatérer, se vider le coeur, philosopher, chialant et prêchant pour le travail, eux qui ne font absolument rien. Et on voit la vieille qui transporte mille et un trucs (des moments fort drôles) sans broncher. On les voit souffrir, danser, boire, boire et boire, souvent d'une rapidité à se donner une tendinite et cela parfois en parfait synchronisme. Ce texte pourrait paraître dépassé, démodé, mais la mise en scène sublime de Wajdi Mouawad a dépoussiéré et a donné un souffle étonnant au texte de Tchekhov. Utilisant avec justesse la notion de temps fissuré et des sous textes, les douleurs et les désillusions des personnages, on pousse à l'extrême, on exagère certaines scènes et situations. La scène est un véritable terrain de jeu où les acteurs jouent, littéralement. L'endroit représente une immense salle de débarras, où l'on décape des portes, où l'on se rencontre sans subtilité. Certaines scènes sont carrément jouées dans les coulisses, et on entend les échos des discussions. Un piano rouge, droit, désaccordé, se trouve au fond de la pièce, et quelques longs bancs sont entassés. La porte du fond ferme mal, comme une porte battante, sans loquet, et les murs sont gris et verts...
C'est une pièce sur la théâtralité, sur les relations entre les personnages. Tout est grossi, du geste anodin de retirer un manteau jusqu'au caractère de certains personnages. La scène de fête est d'un grand comique, remplaçant une chanson à la mode du XIXe siècle par une mélodie des plus modernes et une danse "familiale" digne de ce nom. Malgré la longueur et le désespoir qui règne, ce qui dans certaines mains pourrait allourdir le spectacle, on ne s'ennuie pas et on passe au travers des Trois soeurs avec un plaisir étonnant, captivé par le travail totalement éclaté de Mouawad et ces comédiens et comédiennes qui réservent aux spectateurs plus d'une surprise.
20-05-2005