Supplémentaire le mardi 20 janvier 2004 à 20h.

«En ces temps fort lointains du premier Lendemain, les hommes pouvaient encore entendre, porté par les cieux, l'écho faiblissant de la voix des dieux.» Sur l'île du Sud, Tristan, un jeune homme dont la beauté et la bravoure suscitent l'admiration, devient rapidement le favori de Marc'h, le chef régnant. À la demande de ce dernier, Tristan est envoyé à la Grande Île Verte afin d'obtenir, pour le chef, la main de Yseult la Blonde. Au cours de la traversée de retour, Tristan et Yseult boivent un philtre d'amour destinés aux futurs époux. Le mariage a lieu, mais les deux amants continuent de se voir. Les épreuves se multiplient, mais n'entame pas la force de leur passion. Dès lors, le trio plonge au coeur d'une folie amoureuse dont la logique inéluctable ne peut que conduire à la mort. Le mythe de Tristan et Iseult est un chant magnifique, où l'amour puise ses images dans la splendeur des sentiments.

Version de
Piere-Yves Lemieux

 

Mise en scène
Alice Ronfard

Avec
David Boutin MARC’H
Stéphane Gagnon TRISTAN
Jacinthe Laguë L’ENFANT
Dominique Leduc YMIR
Evelyne Rompré YSEULT

Du 9 au 20 décembre 2003 et du 6 au 17 janvier 2004

 

Supplémentaire le mardi 20 janvier 2004 à 20h.

par David Lefebvre

La sempiternelle histoire d'amour et du trio amoureux... Comment (re-re-re-re)jouer cette histoire sans tomber dans le cliché? Surtout celle de Tristan et Yseult, connue partout au monde. Conte médiéval, d'un roi d'une île, puissant, qui doit se marier et envoie son chevalier parcourir les autres terres pour trouver la femme aux cheveux dorés. Arrivé sur une autre île, le preux héros doit combattre des monstres pour finalement tomber dans le piège de l'amour et succomber à la belle qu'il doit livrer à son roi et ami... Pour ensuite que les deux amants meurent de tristesse. Plusieurs histoires merveilleuses puisent leurs idées dans ce récit, comme les Roméo et Juliette de Shakespeare par exemple. Tout sembait pourtant réuni pour nous offrir le spectacle du mois de décembre au TNM : Alice Ronfard à la mise en scène, des acteurs doués comme David Boutin, Stéphane Gagnon et Évelyne Rompré, Pierre-Yves Lemieux à l'écriture... mais qu'est-ce qui a cloché?

D'entrée de jeu, la plupart de mes collègues, moi inclus, disions «ce sera beau». Les premières minutes nous ont donné raison : par un habile jeu de lumière, la vue est impressionnante : le faisceau sort d'une fosse remplie d'eau. Puis l'enfant narratrice sort et nous explique à sa manière fantastique comment le monde est monde et comment il tourne. Elle est la créatrice de cette histoire, et nous présente les principaux acteurs. La scène, en pente, déstabilise. Les lignes par terre donne un ton primal. Les couleurs utilisées pour les éclairages (souvent du vert, du orange, rouge, ou très sombre) provoquent les émotions, ou nous indiquent du moins vers quelle direction aller. L'eau aura son rôle, soit par la naissance, la purification ou l'expression de la distance (les mers à traverser).

Les costumes sont aussi magnifiques : par un mélange savant de tissues et de métal (des chaînes de pupitres par exemple), le concept rend hommage tant à l'époque médiévale par ce mélange brut et dur, et à la "mode" d'aujourd'hui de superposition de plusieurs matériaux. Le costume de David Boutin est impressionnant, s'inspirant des conquérants romains et des celtes.

Le spectacle commence, Tristan apparaît et veut se mettre sous la gouverne de Marc'h. Un combat tribal initiatique s'en suit, donnant plus dans la chorégraphie que dans la lutte en tant que telle. Marc'h, voyant les talents de Tristan, le prend sous son ailes. Des années passent, puis Marc'h se voit obligé de prendre femme. Comme il ne désire pas se marier, jouissant de sa liberté de mâle, il flanche finalement et donne comme condition qu'il épousera la propriétaire d'un cheveu d'or qui vient de se déposer sur son épaule. Le conseil de l'île, qui veut se débarasser de Tristan, oblige Marc'h à envoyer son protégé sillonner les autres îles à la recherche de cette perle.

Voilà que le voyage de Tristan s'amorce. Il combattra deux personnes, dont un gardien déguisé en monstre (qui au premier regard semble terrifiant mais qui par la suite, gêné par le costume devient risible, au point qu'il faut relentir les mouvements du combat), qui mènera une lutte à l'allure d'Excalibur, puis un monstre cracheur de feu, qui, s'ii est tué, le héros se verra accorder la main d'Yseult. Mais Tristan avait déjà vu la belle avant. Il finit par acquérir sa main, pour la mener à Marc'h. Elle est trahie, vendue. Mais Tristan l'aime, et elle aussi... La mère d'Yseult lui fournit un philtre d'amour qui fera de Marc'h l'époux parfait et aimant. Et ils partent ensemble vers l'île du Sud...

Plusieurs détails du récit est changé ou n'est pas dans le spectacle. Ce qui est tout a fait normal lors d'une adaptation. Par exemple, le philtre n'est pas pris par accident par les deux amants, mais ils le font exprès, pour sceller leur amour. Le philtre fait ici office de symbole, soit l'acte sexuel. La première partie, malgré le bon vouloir, se perd. Les symboles sont trop présent, on ne vit pas les moments de passion, on les interprète. Lemieux s'est réapproprié le mythe pour lui faire dire des choses plus actuelles, plus modernes. Mais l'amour en tant que tel est universel. Même si la réécriture connaît parfois de bons moments (comme quand il parle du crépuscule de l'abstinence ou que l'amour est comme une brume) le reste reste très littéraire et l'action n'avance pas rapidement.

Par contre, la première moitié de la deuxième partie donne un second souffle à la pièce. Par une prestance et un jeu magnifique, David Boutin porte cette partie sur ses épaules, impose le rythme et joue un Marc'h très humain, spirituel (il fait souvent référence aux dieux), qui connaît l'histoire qui se trame entre Tristan et Yseult. L'homme est jaloux, mais cette jalousie reste ambiguë : est-ce envers Tristan qui est aimé d'Yseult ou envers Yseult qui lui vole son ami? Même ces deux derniers reprennent du poil de la bête, et le conte prend tout son sens. Puis encore, le fil de l'histoire d'allonge pour arriver à une longue fin tragique et attendue. Trop peu trop tard. Certains passages, comme quand Yseult s'en veut à mourir d'avoir laissé partir Tristan, passe un peu mal. Les gestes sont un peu caricaturaux, et on s'éloigne du romantisme établi pour arriver à "chienne de vie" et "prends-moi et dompte-moi", qu'elle criera à Marc'h...

Un personnage fort intéressant mais peu exploité (à mon goût), la lavandière, qui lave le linge (et l'âme) des guerriers (avant de mourir). Elle donne un ton très fatastique et intrigant au récit, même si la fin du dialogue de sa première apparition n'en finit plus (Allez vole! court ma belle! vole, vole! Vole...).

Un beau spectacle avec une facture visuelle incroyable, mais le manque d'intensité handicape le jeu. En espérant qu'au fil du temps, Tristan et Yseult arriveront à s'apprivoiser et à s'approprier les mots pour qu'ils ne fassent vraiment qu'un...