coproduction avec UBU, compagnie de création et le Centre national des Arts d’Ottawa.

Mise en scène de Denis Marleau

Avec Gabriel Gascon

Concepteurs: Daniel Fortin, Stéphane Jolicoeur, Stéphanie Jasmin

Dans une chambre obscure, encombrée de boîtes poussiéreuses, puant la crasse, la banane rancie et la bouteille mal vidée, le vieux Krapp est assis à une table sur laquelle trône un monstrueux magnétophone. Il fouille dans une boîte, en sort une bobine (« Sinistres, ces exhumations », commente-t-il) et écoute, ou plutôt s’écoute, lui, tel qu’il était, tel qu’il parlait, trente ans auparavant. Dans cette mise en présence d’un homme avec son passé, se révèle le terrifiant échec de toute vie humaine, avec ses renoncements, ses abandons, ses oublis.

EN SUPPLÉMENTAIRE LE DIMANCHE 22 SEPTEMBRE À 16H.

 

(Cette critique décrit certaines scènes avec détails. Pour ceux qui ne veulent rien savoir à l'avance, vous êtes avertis)

La première pièce, dite hors-saison, du Théâtre du Rideau Vert est une "reprise" de "La dernière bande" de l'Irlandais Samuel Beckett (écrite en 1958 et traduite par Beckett lui-même), par le même metteur en scène et le même comédien qu'il y a huit ans au Quat'Sous, Denis Marleau et Gabriel Gascon.

C'est un décor assez noir qui nous attend lorsqu'on entre dans la salle: pas beaucoup d'accessoires; un bureau de bois avec deux tiroirs à l'avant, des boîtes de métal style "boîtes à biscuits et chaussures", un magnétophone à bobines magnétiques (vous savez les vieilles bobines rondes?) et une lampe suspendue. N'ayant pas vu la pièce il y a huit ans, et sachant que M. Gascon avait beaucoup joué en France, je m'attendais à un jeu plus intellectuel. Au contraire, le spectacle commence avec quelques "pitreries". Krapp, (c'est le nom du personnage - voyez l'allusion immédiate, qui nous fait comprendre tout de suite le personnage. Krapp (crap) pourrait être traduit par rebut, déchet, quelque chose qui n'a pas d'importance ou qui est complètement inutile), donc, entre, s'assoit, croise les bras sous sa nuque et attend. Premier choc; on s'aperçoit tout de suite le chemin que veut prendre le metteur en scène: revenir à l'essentiel du théâtre, c'est-à-dire au jeu physique, aux silences extrêmement longs (qui pourraient être pénibles pour certains) au monologue dit et non-dit. Il regarde sa montre, des cartes et ses clés, des objets qui s'acquièrent au fil du temps. L'homme se lève, ouvre un des tiroirs et y sort une bobine. Puis il la remet à sa place, ouvre un autre tiroir et y sort une banane, la hume, retire la pelure doucement et la laisse tomber à ses pieds. La mange avec délectation. Fait quelques pas, revient au bureau, glisse sur la peau de banane par terre. Il la balaie du pied. Puis, il sort une deuxième banane. Il refait le même manège à une exception: il lance la pelure loin devant lui. Belle métaphore pour dire que durant sa vie, il aura appris à ne pas répéter ses erreurs. Cette scène se fait toutes lumières allumées dans la salle. Nous ne sommes pas spectateurs mais témoins.

Puis la pièce en tant que telle commence. Les lumières s'éteignent. Il s'écoute, sur une bobine qu'il retrouve avec peine, vieille de 30 ans. Il arrête la bobine quelques fois, réfléchit à ce qu'il a entendu. Ce manège peut sembler très long, puisque tout est "auditif", Krapp ne bouge pas ou peu. Il sort une ou deux fois pour aller boire un verre ou aller chercher le dictionnaire pour trouver la définition de quelques mots (par exemple "vituité") qu'il a dicté lors de l'enregistrement. Un enregistrement qui sera, au départ, difficile à suivre puisque ce ne seront que des mots un après l'autre, qui conduiront à un certain fil narratif philosophique sur sa vie à ce moment. Puis il parlera d'une rencontre avec une femme. Une rencontre qui semblera terriblement importante et qui débouchera sur des remords de conscience de ne pas avoir profité sûrement plus du moment. Puis il s'enregistre, maintenant vieux, se traite de "petit con qu'il était", s'enrage, et repense aux yeux de sa belle... Mélancolie, remords, regrets... On perçoit même que la même personne devient deux entités différentes par leurs âge et différences. Beckett joue avec les aspects sordides de la vie, mais c'est 'pire', puisqu'il s'attaque aux aspects les plus essentiels de la condition humaine.

Si Gabriel Gascon, je dois dire, n'avait pas été si profond, avec sa voix grave et rayée, et si bon acteur, plusieurs spectateurs auraient pu s'endormir tellement la pièce est statique, sans action ni mouvement, avec un seul acteur. On entendait très souvent le bruit des bancs qui grinçaient dans la salle, quand les gens se replaçaient. Donc une excellente performance à mes yeux, qui a sauvé la pièce d'un ennui potentiel. Mais il faut aimer le style pour bien y pénétrer, s'y abandonner et en ressortir satisfait.

Et selon ce que j'ai entendu de spectateurs qui avaient vu la pièce il y a huit ans, la mise en scène et le jeu de la présente pièce serait plus "humain", plus sensible. Croyons-les sur parole.