Supplémentaires 2, 3, 11, 12 et 13 mars 2004

Reprise du 7 au 18 décembre 2004

16 novembre 2005, Th. Outremont
19 novembre 2005, Maison de la culture Frontenac
23 novembre 2005, Maison de la culture Maisonneuve

" Esther Greenwood, dix-neuf ans, est à New York avec d'autres lauréates d'un concours de poésie organisé par un magazine de mode. De réceptions en soirées passées pour tuer le temps, ce sont quelques jours d'une existence agitée et futile que vit la narratrice. En même temps, elle se souvient de son enfance, de son adolescence d'étudiante américaine, des amours qu'elle a connues. Tout bascule lorsque Esther quitte New York. Tentatives de suicide, traitements de choc, guérisons, rechutes, et, pour finir, l'espoir, Esther est à la fois patiente dans l'univers hospitalier et observatrice au regard aigu de ce monde qui a pour toile de fond l'Amérique des années 50. "

Tel est le résumé que l'on peut découvrir à l'endos du roman de Sylvia Plath paru aux éditions Gallimard. À celui-ci, il faut ajouter qu'Esther, tout au long de sa souffrance, est torturée par son incapacité à écrire le roman qu'elle porte. Pendant féminin du Claude d'Impératif Présent, Esther est traumatisée. Sa main est pétrifiée par les blessures et les ravages de sa solitude, figée par les mouvances insupportables de sa mère. Fille et mère, mère et fille. Une douleur immense, silencieuse, autiste qui sera la seconde étape de cette saison où l'artiste paraît au centre d'une tribu qui ne le reconnaît pas

Texte
Sylvie Plath

Mise en scène
Brigitte Haentjens

Assistance à la mise en scène et régie
Colette Drouin

Avec
Céline Bonnier

Une coproduction du Théâtre de Quat'Sous et Sybillines

Du 26 janvier au 6 mars 2004
Supplémentaires 2, 3, 11, 12 et 13 mars
Reprise du 7 au 18 décembre 2004
16 novembre 2005, Th. Outremont
19 novembre 2005, Maison de la culture Frontenac
23 novembre 2005, Maison de la culture Maisonneuve

par David Lefebvre

"I have experienced love, sorrow, madness and if I cannot make these experiences meaningful, no new experience will help me". (J'ai expérimenté l'amour, la tristesse, la folie et si je ne peux pas faire de ces expériences quelque chose de significatif, aucune nouvelle expérience ne m'aidera) -- Sylvia Plath, 15 novembre 1959

Qu'elle suscite l'hostilité, le scandale, ou l'admiration, ni la personnalité de Sylvia Plath, ni sa poésie, ne peuvent laisser indifférent. Cette jeune femme qui choisit de mourir à 31 ans (en 1963) fut considérée, selon les cas comme relevant simplement de la psychiatrie - toute son oeuvre étant réduite à des fantasmes de névrosée - ou comme la figure emblématique du génie féminin écrasé par une société dominée par les hommes.

Née aux États-Unis, près de Boston, le 27 octobre 1932, de parents enseignants, émigrés allemand et autrichien, Sylvia Plath a huit ans, lorsque son père meurt à la suite de l'amputation d'une jambe gangrenée. Elle a eu ces mots: "je ne parlerai plus jamais à Dieu". Ce premier drame l'a marquée et ce père hante beaucoup de ses poèmes. Souvent trop exigeante pour elle-même et pour les autres, brillante élève, très précoce en poésie, Sylvia avait décidé très tôt de devenir écrivaine. Elle poursuit de brillantes études à l'Université Smith, publie des poèmes, s'occupe d'une revue, participe aux fêtes et aux bals de la vie étudiante. Sa beauté et son humour lui valent de nombreux soupirants et quelques liaisons. Mais elle se pose des questions sur son avenir et sa vocation, son humeur oscille de la plus grande joie au plus profond découragement; elle est prise entre le conformisme ambiant et le besoin de liberté et d'indépendance qui est en elle.

Les soucis financiers, les besognes alimentaires et le surmenage déclenchent une dépression nerveuse qui aboutit à une tentative de suicide (elle a 20 ans) et à une perte temporaire de la mémoire. Les soins et l'amitié d'une jeune psychiatre lui permettent de reprendre une vie normale et ses études à l'Université. Elle continue à publier poèmes et nouvelles où l'angoisse est toujours sous-jacente. Elle obtient en 1956 une bourse Fullbright pour étudier en Angleterre, à l'Université de Cambridge où elle va faire la connaissance de Ted Hugues, un jeune poète anglais. Rencontre fulgurante. Mariés quelques mois plus tard, Ted et Sylvia vivent à Londres. Sa vie d'épouse, ses tâches ménagères, les soucis financiers, la dactylographie des manuscrits de Ted occupent plus Sylvia que sa propre carrière. Ils décident alors d'aller vivre deux ans aux États-Unis et tentent de subsister de leur plume, mais Sylvia doit occuper de petits emplois temporaires, notamment dans un hôpital psychiatrique.Puis ils retournent à Londres, où ils vivent en symbiose et s'aident mutuellement dans leur travail. Frieda, leur premier enfant, naît en 1960, et leur fils Nicholas en 1962. Ils vivent alors à la campagne.

Sylvia découvre que Ted a une liaison ; elle brûle des lettres et des manuscrits de Ted. Paradoxalement, cette période de colère et de désespoir est la plus productive pour Sylvia. C'est la rupture. Elle va bientôt s'installer à Londres avec les enfants, mais cet hiver 1963 est rude, Sylvia et ses enfants sont fréquemment malades, elle trouve difficilement le temps d'écrire. Son médecin lui prescrit somnifères et anti-dépresseurs. Le 5 février elle écrit un dernier poème, Le Bord. À l'aube du 11 février, après avoir mis ses enfants à l'abri, elle absorbe des somnifères et ouvre le gaz de la cuisine... *

En fait, quoiqu'un peu longue, cette biographie était nécessaire pour vous présenter la femme qu'était Sylvia Plath et l'ambiance qui règne dans la pièce La Cloche de verre, mise en scène par Brigitte Haentjens, au Quat'Sous, inspirée du seul roman que Plath a écrit (qui est sensiblement autobiographique), qui a pour titre La Cloche de détresse (The Bell Jar).

C'est un décor assez "clinique" qui nous attend, une sorte de grande tente aux parois lisses, qui mènent tout au fond à une porte de fourneau (vous connaissez maintenant la signification). À part quelques accessoires (souliers, chaise, cendrier sur patte, dactylo et les fameux gants noirs) la scène est vide.

Il aurait été de toute façon inutile d'ajouter quoi que ce soit : la présence de Céline Bonnier est plus que suffisante. Et encore une fois, elle nous prouve qu'elle est une des plus talentueuses actrices du Québec. Menant à bout de bras toute la pièce, avec un texte quand même difficile et relativement littéraire (elle raconte en fait la vie d'Esther), elle rend son personnage attachant, et le spectateur devient sensible à la douleur de celui-ci. Ses mimiques sont inspirées des mouvements des femmes des années 50, comme dans les vieilles téléséries américaines, quand les femmes au foyer se devaient être parfaites, droites, habillées convenablement, bien coiffées et maquillées, attendant l'homme de la maison... Avec les sourires forcés, les gestes copiés de vieilles pubs, l'aspect esthétique et symbolique de la pièce n'en est que plus renforcé.

Mais paradoxalement, c'est là que réside la faiblesse du spectacle : par sa force symbolique de représenter le personnage dans un environnement qui le coince, prisonnier de son tempéramment, de ses craintes, respirant le même air, la pièce devient tellement hermétique qu'on étouffe. Le monologue n'aide pas non plus : on vascille alors entre l'état hypnotique et la contemplation. Même le contenant dans lequel est le programme de la soirée (un petit plat style Tupperware) évoque ce fait. Encore là, par son jeu, Céline Bonnier sauve la mise. Par des moments forts (qui viennent contraster le reste de la pièce) comme quand elle casse un verre, raconte ses expériences sexuelles, ses électrochocs ou se dénude à moitié pour justement essayer de sortir du moule de la femme parfaite des années 50, nous voyons en chair une Sylvia Plath qui tente de sortir de son corps, de s'échapper de tout ce qui lui fait obstacle mentalement pour enfin vivre et s'épanouir. Mais il est si difficile de s'échapper de cette cloche de verre...

La Cloche de verre est criante de douleur, et nous fait connaître une auteure qui aurait pu devenir une très grande écrivaine. Si l'ambiance hermétique ne vous fait pas peur, c'est assurément une pièce à expérimenter.

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* Source : Club des Poètes
Crédit photos : Pascal Sanchez