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Du 18 mars au 5 avril 2008

Antilopes

Texte : Henning Mankell
Mise en scène : Carmen Jolin
Avec Gabriel Arcand, Paul Doucet et Danielle Lépine

Un couple suédois dans la quarantaine vit depuis quatorze ans en Afrique dans le cadre d’un programme d’aide internationale. Au dernier soir de leur séjour là-bas, l’homme et la femme accueillent le nouvel ingénieur venu les remplacer. Ce dernier assiste malgré lui au règlement de compte de ses prédécesseurs et au constat de leur échec. Mankell nous fait entrevoir une Afrique fantasmée par le regard des blancs, une Afrique complexe et sans fard.

Antilopes traite, de façon subversive, de l’état d’esprit d’européens bien intentionnés.
Les personnages de Mankell ont tenté de se dévouer à l’amélioration des conditions de vie du continent africain, mais leur rapport ardu avec ce qui les entoure, leurs frustrations existentielles, humanitaires et personnelles nous renvoient à La danse de mort de Strindberg, tant par la structure de la pièce que par l’intensité et la tension qui règnent entre eux.

Né en 1948 en Suède, Henning Mankell est mondialement connu pour son œuvre policière, traduite en plus de 25 langues. Depuis longtemps, il partage sa vie entre son pays natal et l’Afrique où d’ailleurs il dirige, depuis 1985, un théâtre au Mozambique, pour lequel il écrit et met en scène. Parmi ses romans policiers, notons Meurtriers sans visage, La cinquième femme, Les morts de la Saint-Jean et parmi ses autres romans, Comédia infantil, Le fils du vent.

Concepteurs Jean-François Labbé, Marie-Michèle Mailloux et Euterke

Crédit: Le Groupe de La Veillée.

Théâtre Prospero
1371, rue Ontario Est
Billetterie : 514-526-6582

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Dates antérieures

Du 16 janvier au 10 février 2007 - salle principale Prospero

 

par David Lefebvre

Henning Mankell est un véritable poids lourd du roman policier mondial. Vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde, traduit dans 27 langues, tout cela surtout grâce à l’immense succès des récits de son personnage fétiche, le commissaire Kurt Wallander, enquêteur désabusé et de plus en plus déprimé face aux crimes sordides sur lesquels il travaille. Méconnu au Québec, il est surtout apprécié par les lecteurs de polar. Ses livres Meurtriers sans visage, Les chiens de Riga, L’homme qui souriait, Les Morts de la St-Jean, Le retour du professeur de danse  et Avant le gel sont sûrement ses romans les plus connus. Mais le Suédois d’origine a aussi écrit pour les enfants (quatre bouquins) et pour le théâtre, l’une de ses grandes passions, outre la littérature. À 17 ans, il écrit déjà des pièces et, trois ans plus tard, il obtient même la direction d’une scène de Scanie (comté au sud de la Suède).

L’Afrique est une autre des ses passions. Il visite le continent africain pour la première fois à 24 ans : c’est le coup de foudre. D’abord la Guinée Bissau, puis la Zambie. Il s’installe, en 1985, à Maputo, au Mozambique. Depuis maintenant 11 ans, il dirige et écrit gratuitement pour le Teatro Avenida, la seule troupe de théâtre professionnelle du pays. Il fait fréquemment l’aller-retour entre l’Afrique et la Suède, pour s’occuper de sa maison d’édition Leopard Forlog dont il utilise les revenus de ses romans policiers pour publier des auteurs africains.

En 2006 paraît la pièce Antilopes avec un autre texte théâtral, Ténèbres. Ces deux récits sont de véritables diptyques de par leurs histoires sur l’Afrique et le départ de son pays natal. Montée pour la première fois au Théâtre du Rond-Point de Paris par Jean-Pierre Vincent, avec Jacques Bonnaffé, Luce Mouchel et Jean-Charles Dumay, Antilopes est découverte, au Québec, par Téo Spychalsky, dans une revue polonaise consacrée aux nouveaux textes.
 
À première vue, on se trouve devant un appartement dégagé, meublé sobrement, avec une lourde porte verrouillée à triple tour et un escalier qui monte à l’étage ; un « décor typique » de maison de banlieue de Suède, qui pourrait appartenir à une personne aisée. Mais nous sommes loin du froid scandinave : c’est en plein milieu de l’Afrique que cette histoire se joue. La maison est occupée depuis 11 ans (ou serait-ce 14?) par un couple dans la quarantaine, fatigué, tourmenté. L’homme travaille dans le domaine humanitaire, à construire des puits. Cinq cents en chantier pour être plus précis, deux cents forés, mais seulement trois fonctionnels. Une frustration démoralisante qui est palpable. Cette nuit, ils attendent avec impatience leur successeur, un compatriote. C’est aussi leur dernier soir sur ce sol africain, le soir des bilans, des souvenirs, des règlements de compte entre eux et l’Afrique qu’ils n’ont jamais comprise. Malgré le bunker supposément impénétrable, protégé de toute part, le bush africain avance, les termites envahissent la maison, les vers se logent dans les pieds des individus et le son des grenouilles semble venir autant de l’intérieur que de l’extérieur.

Véritable cauchemar éveillé, latent, les trois personnages dérivent de plus en plus dans une folie burlesque et délirante. Comédie noire, onirique, fantasmatique, les principaux personnages, comme le dit Mankell “sont des Noirs mais on ne les voit pas” – représentés par des faisceaux de lumière. Lutte entre mensonge et vérité – l’homme et la femme ont plusieurs querelles sur la véracité de certains souvenirs et celle-ci invente carrément certains événements – le texte est une véritable critique envers ces nouveaux Blancs en Afrique, pris entre leur volonté d’aider et une peur agressive d’un peuple et d’une culture qui leur échappe totalement et un regard acéré mais un tantinet surréaliste sur la vie de couple qui déraille complètement. En découle une incohérence bordélique qui brouille les trois personnages (car le remplaçant, qu’il le veuille ou non, est entraîné malgré lui dans cette tempête). Au départ, le texte de Mankell nous semble superficiel, absurde, mais plus on avance dans le récit, plus il est dense et riche. La peur, l’incompréhension, les trous de mémoire s’expliquent après un long moment, le délire de ce couple est plus complexe qu’il n’y paraît, et le retour au pays ne se fera pas sans heurt.

Carmen Jolin nous propose une mise en scène posée, sans précipitation. L’aspect psychologique dépasse largement l’action. Donc, autant le rythme est plutôt lent et réfléchi, autant il s’avère lourd. Le jeu des trois acteurs et leur prononciation (en français international) sont irréprochables. On sent, par leur panique, à quel point cette maison surprotégée devient une prison pour ses habitants et comment l’extérieur, menaçant, mais jamais visible, est un véritable danger : le troisième homme arrivera de l’aéroport le visage griffé. Les trois individus ont des secrets, des états d’esprit qu’ils voudraient bien garder, sans succès. La mort violente obsède chaque personnage et une question lancinante rôde dans les esprits : doit-on aider les Africains à mourir ou à vivre ? « Car on ne peut pas faire les deux. » Et inévitablement, l’Afrique reprend ses droits.

Fort bien joué, le suspense que nous devrions ressentir se fait, par contre, attendre longtemps. Le rythme du rêve éveillé plonge le spectateur dans une lassitude dont il aura une récompense qu’à la toute fin de la pièce. Il serait fort judicieux, après ce spectacle, que le Théâtre Prospero monte Ténèbres, question de boucler la boucle de ce diptyque mankelléen.

20-01-2007