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Du 2 au 19 avril 2014
Les mains de mon pèreLes mains de mon père
pour les jeunes de 7 à 12 ans
Texte : Serge Marois
Mise en scène : Denis Lavalou
Avec Éric Forget et Jean Harvey

Comme chaque année, Émile se rend à son rendez-vous annuel sur la plage avec sa mère et son frère jumeau. Chemin faisant, il reçoit un message inattendu de son père. Parti depuis longtemps, celui-ci lui manque. Émile imagine alors le lieu d’une rencontre : un restaurant, au milieu de la route, où les deux hommes pourraient reprendre le fil de leur relation interrompue.

Dans cette pièce à l’écriture en cascade, les dialogues ricochent et les scènes, colorées et pleines de fantaisie, s’emboîtent rondement. On sent l’urgence de rattraper le temps perdu alors que défilent, sous la forme de projections vidéo ou à l’intérieur de tableaux vivants, les moments clés du passé dont se sert Émile pour reconstituer l’image de son père. L’autre père, le vrai, sera-t-il le même que celui qui s’est assis ce jour-là à la table d’Émile ? Qui d’entre nous n’a jamais vécu dans ses rapports humains la confrontation entre le réel et l’imaginé ?

Sortant des sentiers battus depuis 1976, L’Arrière Scène, centre dramatique pour l’enfance et la jeunesse en Montérégie, propose à un public, dont elle respecte la créativité, des environnements où s’unissent divers langages artistiques. Confondant images, musiques, gestes et paroles, elle sollicite l’engagement émotionnel de son spectateur et cultive avec lui son goût pour les arts. Avec Les mains de mon père, L’Arrière Scène nous offre le deuxième volet de la trilogie familiale de Serge Marois. Le premier volet, La robe de ma mère, a été présenté en 2009 à la Maison Théâtre, qui a aussi accueilli d’autres spectacles de la compagnie, dont Pacamambo, de Wajdi Mouawad (2011) et Stanislas Walter LeGrand, de Sébastien Harrisson (2008).


Section vidéo
une vidéo disponible


Assistance à la mise en scène et régie : Martin Boisjoly
Scénographie : Paul Livernois
Conception musicale : Pierre Labbé
Éclairages : Stéphane Ménigot
Costumes : Anne-Séguin Poirier
Vidéo : Frédéric St-Hilaire
Tableaux en projection : Nicolas de Staël
Crédit photos : Suzane O’Neill

Rencontre avec les artistes : 6 avril

Durée 50 minutes

Une création de l'Arrière Scène


Maison Théâtre
245, rue Ontario Est
Billetterie : 514-288-7211

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Dates antérieures (entre autres)

29 avril 2012 - Les Gros Becs (Québec)

 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre

- Envie d’être grand-père.
- Faut d’abord être un père.


Crédit photo : Suzane O'neil

En route vers la plage, Émile reçoit un message de son père sur son cellulaire. Après avoir échangé quelques mots, l’homme imagine la discussion qu’il aurait avec son paternel, absent depuis son adolescence, lors d’un souper dans le décor d’un restaurant de son enfance. Par des objets, des paroles, des gestes, Émile replonge alors dans ses souvenirs heureux et moins heureux, à 4, 5, 10, 12, 15 ans. Des bobos au pied qui ne partent pas en soufflant dessus, des bisous qu’on ne peut plus donner avant le coucher parce qu’on est rendu trop vieux, des journées de camping à vouloir rester seul avec son père, des Halloweens à se faire gronder parce qu’on veut porter une robe comme déguisement… Leur vie est une relation interrompue, brisée, mais qui pourrait bien se recoller en trouvant les bons mots pour en parler, ensemble.

Après avoir abordé le thème de la mère dans La robe de ma mère (2008), l’auteur Serge Marois propose, avec Les mains de mon père, la suite de cette superbe création en réfléchissant cette fois-ci sur la paternité, plus précisément sur le manque, ou plutôt les profondes marques laissées par l’absence du père chez l’enfant et son héritage, passant ici par les mains, « fortes, douces, qui construisent, caressent, protègent, qui font peur et qui disparaissent ». On renoue donc avec l’un des jumeaux de La robe de ma mère, en route vers l’océan pour le pique-nique annuel mère-fils. On retrouve aussi cette langue minimaliste, au rythme hachuré, qui va directement à l’essentiel, sans s’embourber de verbes ou de pronoms. Les silences entre les répliques laissent la place au malaise, à la nostalgie ou à toute autre interprétation que l’imagination du spectateur veut bien leur octroyer.

Alors que La robe touchait au thème de la famille de façon plus onirique, la présente création s’avère, dans sa forme narrative, un peu plus terre-à-terre, moins poétique, mais tout aussi ludique, sensible et tendre. Le propos y est aussi plus dur : entre deux bouts de discussion à table en attendant le repas, on voit, en flashback, le père (Jean Harvey) qui tente d’inculquer à sa progéniture (Éric Forget) la force, la droiture, alors qu’elle est beaucoup trop jeune, ou qui instaure une certaine distance entre son fils et lui par crainte que la tendresse devienne un signe de faiblesse. La pièce souffre alors des défauts de ses qualités : la culpabilité du père s’immisce partout, teintant totalement la mise en scène de Denis Lavalou (qui jouait d’ailleurs l’un des jumeaux dans La robe), imposant bien malgré elle une certaine sévérité presque froide créant une distance entre le spectacle et son auditoire. Pourtant, la pièce n’en est pas lourde pour autant. Certaines scènes ne sont pas dénuée d’humour ou de poésie : revoir le petit Émile se faire mal ou chausser ses grosses pantoufles font bien rigoler les petits et les grands, et entendre le père avouer à son fils qu’il aurait bien aimé être comme lui, artiste, parce qu’il n’est « pas ennuyant », vient jeter un baume sur le cœur d’Émile, même si cette réunion ne se passe que dans sa tête. L’une des belles réussites de la mise en scène se trouve dans le superbe équilibre entre le réel, l’irréel et l’absurde ; avec une belle aisance et une grande efficacité, on nous transporte du présent au passé, d’une discussion à un jeu de balle, d’une fête à un pique-nique, et ce, tout en demeurant dans le restaurant.

Au centre de la scène trône la réplique de la Jeep d’Émile, qui diffuse sur son pare-brise des séquences vidéo, captées sur une route réelle, du jeune homme en pleine conduite, qui s’arrête sur le bord du chemin pour prendre le message de son père. La vidéo vient créer un contraste fort intéressant entre la réalité et le fantasme : la scène devient le théâtre de l’imagination d’Émile, où son double prend place avec son père, dans une scénographie (de Paul Livernois) reproduisant l’environnement immédiat - la route de campagne-, tout en faisant référence aux jouets dédiés habituellement aux garçons, dont la fameuse Jeep, puis un bout de gazon synthétique et une route, peinte par terre, rappelant celles des tapis de jeu pour les petites voitures. La bâche du véhicule tout-terrain vient même se transformer en tente de camping, et le capot avant en table à manger. Sur le grand écran qui ferme l’arrière-scène sont projetés des tableaux abstraits de Nicolas De Staël, appuyant de belle manière, par leurs textures et leurs couleurs, les différents retours dans le passé, une signature reconnaissable de Lavalou.

Qu’est-ce que la paternité ? Combien de temps ça prend devenir père ? Qu’est-ce que ça veut dire exactement être père ? Comment peut-on éviter d’être un mauvais père ? Des questions bien sérieuses que Serge Marois explore par les yeux d’Émile devenu à son tour adulte, tout en évitant le piège de la confrontation père-fils pour embrasser le thème de la réconciliation. Une réconciliation tout en fantaisie, en profondeur et en tendresse masculine, avec ses forces et ses faiblesses.  

03-04-2014