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Du 4 au 22 septembre 2012, du mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h
GrainsGrain(s)
Texte Annabel Soutar
Traduction Fanny Britt
Mise en scène Chris Abraham
Assistance à la mise en scène Camille Robillard
Avec Christine Beaulieu, Bruce Dinsmore, Marie-Josée Gauthier, Mariah Inger, Alex Ivanovici, Cary Lawrence et Guy Thauvette

Percy Schmeiser, un fermier de Saskatchewan, a travaillé toute sa vie. À l’aube de la retraite, la multinationale Monsanto accuse l’homme de 70 ans d’avoir cultivé sans autorisation du canola porteur d’un gène dont elle détient le brevet. Vol ou pollinisation ? Ce théâtre documentaire nous raconte une bataille juridique qui dura quatre ans, un véritable « David contre Goliath » des temps modernes. Interpellé par les témoignages d’avocats, de scientifiques, d’agriculteurs ou de représentants de Monsanto, le spectateur est confronté à un important débat environnemental et social : l’avenir de la vie elle-même est-il dans notre assiette ?

Tiré d’une histoire vraie et internationalement médiatisée, Grain(s) se base sur des entrevues menées en 2004 par l’auteure Annabel Soutar, ainsi que sur des retranscriptions de procès ou d’écrits médiatiques reliés à l’affaire Percy Schmeiser. La pièce soulève une multitude de réflexions sur les dangers des OGM, sur les luttes entre agriculteurs et multinationales, sur le silence qui naît de la peur de représailles et sur la recherche effrénée de profit.

À la barre de la compagnie de théâtre documentaire Porte Parole, la dramaturge montréalaise Annabel Soutar présentait en 2011 Sexy béton, un documentaire théâtral salué par la critique qui revisitait avec pertinence l’effondrement du viaduc de la Concorde. Grain(s), créée en anglais sous le titre Seeds, sera présentée pour la première fois en français à Montréal dans une traduction de Fanny Britt. Chris Abraham, directeur artistique du Crow’s Theatre de Toronto, collabore ici pour la première fois avec la compagnie Porte Parole.


Décor, costumes et accessoires Julie Fox
Éclairages Ana Cappelluto
Musique Richard Feren
Vidéo Elysha Poirier
Photo Maxime Côté

Tête-à-tête : Le jeudi 13 septembre

Une production Porte-Parole


La Grande Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge

 « À qui appartient la vie? »

La pièce de théâtre-documentaire d'Annabel Soutar, Seeds, présentée lors de l’édition 2012 du FTA, mais également en 2005 dans sa version initiale, nous revient ici dans une traduction francophone de Fanny Britt. La production conserve tout de même une portion anglophone de sa distribution ainsi que son metteur en scène, Chris Abraham

Basé sur une récolte minutieuse d'informations par l'auteure, d'entrevues et d'extraits du procès lui-même, Grain(s) nous propose un face-à-face perturbant sur un des plus célèbres procès canadiens des dernières années. Percy Schmeiser, fermier d'un village de Saskatchewan, est poursuivi par la firme biotechnologique Monsanto pour avoir soi-disant délibérément volé des grains de canola modifiés génétiquement par Monsanto.

Bien qu'elle ne soit pas la première à s'intéresser aux débâcles de la multinationale (pensons notamment au documentaire Le monde selon Monsanto), Annabel Soutar prouve ici la pertinence de son travail grâce à une plume maîtrisée et à un talent certain pour partager au public une histoire judiciaire aussi complexe sans qu'elle en ait l'air, le tout présenté avec une grande humanité. Les différents personnages sont colorés, sans toutefois tomber dans une caricature facile et trop marquée. Le bilinguisme de la distribution, bien que certains soient visiblement moins à l'aise avec le français, ajoute une certaine part de réalisme à cette histoire qui a transporté l'auteure dans tout le Canada et même bien au-delà. Le côté local du petit village de Saskatchewan nous paraît plus évident lorsque Percy nous parle dans ce français familier, tandis que la relationniste de Monsanto (excellente Cary Lawrence) profite de son accent anglophone pour ajouter une distance méprisante à son personnage déjà hautain.

La mise en scène de Chris Abraham joue sur l'étourdissement des détails de la situation exposée et nous offre une scène chargée de multiples objets et éléments techniques. À la fois, nous avons devant les yeux un laboratoire scientifique, une cuisine, un studio d'enregistrement, un bureau, etc. Le tout est au final si bien orchestré que cet étourdissement initial ne fait que nous garder en haleine et éveillé intellectuellement afin de bien saisir toute la complexité de l'enjeu. Un autre apport important à cette mise en scène est la présence vidéo dans la scénographie. Des caméras captent certaines scènes en direct, mais surtout la présence du public. À cela s'ajoute une conception vidéo et sonore d'une grande qualité et pertinence, qui nous situe dans le monde, nous transmet des informations sur les personnages et ajoute un aspect qui rappelle une conférence qui cherche à être vulgarisée.

En prélude à la pièce, des « pseudo-scientifiques » (selon leurs propres termes) se présentent à chaque spectateur, le questionnent sur sa perception de la vie, mais aussi sur son avis sur les organismes génétiquement modifiés et sur leur présence dans notre alimentation. Car si la pièce semble au départ ne parler que d'un procès, rapidement elle s'interroge également sur de grandes questions éthiques. Comment se fait-il, par exemple, qu'on ne puisse savoir exactement dans quel produit se trouvent des OGM? Cette introduction, sous forme de conférence comique et qui se différencie complètement du reste de la pièce, permet un certain rattrapage sur des éléments scientifiques qui pourraient manquer à la foule présente et avec laquelle on s'affaire à créer un beau contact. 

Autre point intéressant de cette production, à aucun moment on ne tente de cacher la démarche derrière la représentation finale de cette pièce. Les techniciens présents sur scène nous le rappellent bien, mais surtout cette façon qu'Annabel Soutar explique, par la voix du personnage de l'auteure, le déroulement d'une recherche pour créer un théâtre-documentaire.

Rapidement, le public suit la pensée du personnage de l'auteure et accuse sans gêne la multinationale, blâme la triste impuissance du pion qu'est Schmeiser dans toute cette histoire, mais le récit nous prend par surprise. Un des points forts de la pièce se trouve à ce moment précis où simultanément le doute s'empare du personnage de l'auteure, mais également (et surtout) de la pensée du spectateur. D'un coup, alors que les arguments nous semblaient solides et indiscutables, l'innocence du fermier Schmeiser ne semble plus si évidente. Jusqu'à la fin de la pièce, et encore à la sortie du théâtre, il n'en revient qu'à nous-mêmes de nous demander qui est réellement coupable dans cette histoire non seulement juridique, mais carrément éthique et environnementale. Aucune réponse préfaite ne nous est remise, le public est pris au piège avec sa propre réflexion. N'est-ce pas exactement le rôle du théâtre-documentaire?

Sans se laisser prendre par le côté parfois trop sérieux de la science, c'est à notre plus grand plaisir que ce théâtre-documentaire vient nous rappeler l'importance du questionnement bien nourri, aux points de vue multiples. Avec un aspect humain souvent oublié de cette affaire, Soutar et Abraham rendent accessible une histoire d'une complexité étonnante et ramènent au premier plan des questionnements d'une actualité criante : la  responsabilité des multinationales, la propriété intellectuelle de découvertes scientifiques, l'impact de ces découvertes sur nos vies et nos traditions, etc. Grain(s) rapporte les faits avec une exactitude remarquable, mais laisse au spectateur le soin de faire sa propre réflexion. La production nous retourne la question initiale, posée en prélude de la pièce, « À qui appartient la vie? »

08-09-2012