C'est la fin du monde.

Là-haut, en surface, un cataclysme se déchaîne. Sous terre, quelque part, dans un abri de fortune, deux survivants.

Jean : un intellectuel raisonneur, assis confortablement sur sa " culture ", un être imbu de lui-même, qui croit tout savoir, qui se targue de tout expliquer par son intelligence et ses références culturelles, qui estime avoir droit à la part du lion, une tête " pensante ".

Et Jacques : un esclave-né, un être naïf, candide, innocent, toujours prêt à s'humilier, à rendre service, un " estomac " qui sans cesse crie famine.

Mais quand on a pour toute nourriture que quelques boîtes de petits pois impossibles à ouvrir et des gâteaux qu'on refuse de partager, la subsistance doit faire l'objet de négociations sérieuses. Et, dans ces circonstances, c'est bien sûr la " faim " qui justifie les moyens. Qui triomphera? Le loup ou l'agneau? La raison du plus fort est-elle vraiment toujours la meilleure?

Voilà un sujet très très très sérieux que Victor Lanoux traite avec un humour savoureux qui décape allègrement toutes les idées reçues sur le partage des biens de ce monde.

L'Ouvre-boîte, une satire féroce et immensément drôle de l'égoïsme humain, une vision décapante des aléas de la "
mondialisation " de l'existence.

Jean : Moi, je fais tout pour t'aider…
Jacques : Non, tu fais pas tout… y a une chose que tu fais pas.
Jean : Partager mes gâteaux avec toi?
Jacques : Oui… toi tu manges et moi je crève.
Jean : C'est la vie ça, mon vieux!

Texte de Victor Lanoux

mise en scène de Martine Beaulne

avec

Normand Chouinard et Rémy Girard

 

 

 

par David Lefebvre

J'ai une relation très particulière avec la pièce de Victor Lanoux, L'Ouvre-boîte, dont le titre original, d'ailleurs, est Le Tourniquet, puisque c'est la toute première pièce de théâtre que j'ai étudiée et jouée au secondaire. J'étais très heureux de revoir enfin cette pièce, de retrouver ces mots, ces calembours, bref, d'être en terrain connu.

J'ai grandi, j'ai pris de l'expérience, et c'est fou comme ce texte je le comprends autrement. Le propos ne s'est pas démodé. Au contraire, il est d'actualité avec la mondialisation qui frappe à nos portes et les guerres partout.

L'histoire est simple: deux pauvres hommes, Jean (l'intellectuel) et Jacques (le simple d'esprit), sont dans un sous-sol et attendent que le cataclysme se calme. Ils ont des conserves (des petits pois Le Sieur, qu'on compte, puisqu'ils recevront de la compagnie 25 cents à chaque fois qu'ils diront "les petits pois Le Sieur"; deux compteurs à chaque extrémités de la scènes font le décompte, comme un téléthon. Les petits pois remplacent d'ailleurs la soupe Campbell de la pièce d'origine, autrefois défendue par Yvon Deschamps et Jean-Louis Roux), quelques biscuits, mais, oh! Drame... l'ouvre-boîte disparaît, perdu supposément par l'innocent de Jacques... De ce fait, nos deux comparses vont discuter, pour passer le temps, de philosophie sociétale et freudienne, d'économie, de pouvoir et essayeront même de méditer (moment hilarant) et de s'entretuer...


Sur cette photo, Rémi Girard joue Jacques et Normand Chouinard, Jean.

Pour ce faire, deux comédiens qui se connaissent comme des frères : Normand Chouinard et Rémi Girard. Quel duo! Mais justement, leur trop grande complicité jouera quelques fois contre eux. Pour casser la routine, et pour (se) surprendre, ils ont décidé d'organiser un tirage au sort à chaque début de représentation, pour savoir qui jouera Jean et qui fera Jacques. Bien sûr, le «casting» nous dicte tout de suite qui serait le meilleur dans tel ou tel rôle. Il est donc amusant d'essayer d'imaginer le contraire. Pour la première médiatique, on a joué le jeu : Rémi Girard interprète Jean et Normand Chouinard, Jacques. Un contraste intéressant.

D'emblée, tout va bien. On arrive à croire au personnage de Jean. Celui de Jacques est plus long à assimiler, comme s'il paraissait plus bête qu'il ne l'est vraiment. Comme si Normand Chouinard devait l'exagérer pour bien l'interpréter. Les dialogues sont fluides, passent bien, mais on sent qu'ils ne sont peut-être pas tout à fait à l'aise dans ces rôles. Ils les défendront toutefois avec brio jusqu'à la fin : Rémi Girard un Jean plein d'assurance, Normand Chouinard un Jacques fragile, soumis. On sent aussi la grande confiance qu'ont les comédiens l'un envers l'autre, et ça enlève quelques fois une certaine dose d'audace, de surprise, d'inattendu. C'est un peu dommage.

La mise en scène exploite le sens catastrophique de la situation de nos deux amis: le sable qui fuit par le plafond, les décombres, la saleté. On joue nerveusement, on se promène et on occupe l'espace avec aisance. Martine Beaulne a fait un bon travail, même si on perçoit quelques adaptations au texte, comme d'avoir remplacé "can opener" par le terme "ouvre-boîte"; comme pour le personnage de Jacques, qui représentait, avec Yvon Deschamps, l'ouvrier des années 50-60, sans éducation et un peu simple (imaginez le personnage de Deschamps qu'il fait souvent dans ses monologues, et vous verrez de qui je parle) pour le remplacer par un vrai simplet, légèrement attardé. Plus près de la réalité d'aujourd'hui? Peut-être. Mais un sens de moins pour le contexte social.

Une bonne pièce, des propos mordants, de bonnes blagues qui s'étirent par contre malheureusement quelques fois trop longtemps, des solutions plein le "bunker" pour ouvrir leurs satanées boîtes de conserves qu'ils ne voient pas et des passages philosophiques intéressants (surtout vers la fin, avec le "nous cosmique"). À voir.


Sur cette photo, Rémi Girard joue Jean et Normand Chouinard, Jacques.