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Du 24 mars au 30 avril 2011
RonfardRonfard nu devant son miroir
Texte et mise en scène : Daniel Brière et Evelyne De La Chenelière
Avec : Daniel Brière, Evelyne de la Chenelière, Claude Despins,  Julianna Herzberg, Daniel Parent et Isabelle Vincent

Dans une période trouble où les intégrismes menacent de toute part, un message téléphonique qui appelle à la délinquance devient la source d’une fantasmagorie paranoïaque et poétique. Manifestement, il se prépare un complot, un dérapage, peut-être une révolution. Personne ne parvient à trouver l’identité du locuteur; il semble être tantôt français, pied-noir, québécois, allemand… Certains prétendent même qu’il s’agit d’une adolescente en crise. Les interprétations se multiplient, avec le désir secret de décoder le message, et d’empêcher le pire.

La pièce est une étude d’un véritable message téléphonique laissé par l’homme de théâtre Jean-Pierre Ronfard, peu de temps avant sa mort. Avec la précieuse collaboration d’un dramaturg invité, le Docteur Hans Kührmeyer, ils ont décortiqué ce document sonore pour en révéler les sens cachés. La démarche s’apparente à l’autopsie, la dissection d’un message comme fondement d’une dramaturgie.

 
 
 

Éclairages : Nicolas Descôteaux
Régie : Jean Gaudreault
Conception de mouvements : Estelle Clareton
Production : Nouveau Théâtre Expérimental

Du mardi au samedi à 20 h
Jeudi 31 mars à 19 h, suivi d'une discussion
Vendredi 1er avril à 18 h 30
Samedis 9, 23 et 30 avril à 16 h seulement

Production Nouveau Théâtre Expérimental

Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191
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 Critique
Critique
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par Olivier Dumas


Crédit photo : Michel Ostaszewski

Pour de nombreux passionnés de théâtre, le nom de Jean-Pierre Ronfard résonne comme un modèle d’audace, de délinquance et d’intransigeance à repousser les frontières réconfortantes du mériter d’artiste. L’idée de lui rendre hommage dans un spectacle laissait présager deux pièges : soit une apologie complaisante ou, encore, une démonstration exploratoire sans queue ni tête. Heureusement, les créateurs derrière Ronfard, nu devant son miroir nous livre une pièce déroutante, mais qui fraie tranquillement son chemin pour atteindre des moments sublimes.

Le canevas demeure un véritable message téléphonique laissé par Jean-Pierre Ronfard, peu de temps avant sa mort. L’initiateur du Théâtre expérimental de Montréal, devenu le Nouveau théâtre expérimenta (NTE), exprimait la tristesse de ne pas avoir, selon lui, assez osé transcender les discours préconçus, de ne pas être allé au bout de sa liberté créatrice. Dans leur mise en scène, le tandem Evelyne de la Chenelière (également actrice et auteure des très bonnes pièces Désordre public et Le pied des anges) et Daniel Brière (codirecteur artistique) ont décortiqué ce document sonore jusqu’à l’extrême dans son essence en utilisant différentes technologiques.

Durant la première demi-heure de la représentation (d’une durée totale de près de deux heures avec entracte), une impression similaire s’est ressentie lors de la visite l’an dernier à Montréal de Tragédies romaines au Festival TransAmérique. Dans Ronfard…, quatre comédiens (Claude Despins, Julianna Herzberg, Isabelle Vincent et Daniel Parent) performent dans une succession de séquences en apparence décousue. Un sentiment d’ennui se dégage à ce moment. Au mieux, se dégage peut-être une volonté des concepteurs de questionner la pertinence de l’acte théâtral en lui-même. Entre des projections vidéo sur le mur de l’Espace libre, les explorations sensorielles du message emménagé sur l’espace scénique et les propos anodins des artistes, les spectateurs prennent leur mal en patience.

Pourtant arrive un moment, un éclair de génie qui allume la ferveur et le doute espérés depuis le début, d’où l’allusion à la troupe d’Amsterdam qui a mis le feu aux poudres lors d’une scène précise. À l’Espace libre, Isabelle Vincent s’avance sur le plateau en récitant un texte poétique touchant. À cet instant, Ronfard, nu devant son miroir prend tout son sens entre l’exploration, l’émotion et la réflexion organique sur l’art et la société.

Fidèle à son habitude (comme pour Naissances l’automne dernier), le NTE démantibule la notion traditionnelle d’entracte. Des pointes d’humour émergent pour se moquer de fausses critiques assassines (vive la dérision!) et de la provocation sur la sexualité gratuite dans les productions contemporaines (une déclaration assez hilarante d’Évelyne de la Chenelière).


Crédit photo : Michel Ostaszewski

La deuxième partie est tout simplement phénoménale, alors qu’après de belles tirades royales, les acteurs revêtissent chacun une tête géante en carton de Ronfard, une allégorie à des personnes âgées en perte d’autonomie dans un centre spécialisé. L’image pousse aussi l’idée de l’enfermement du génie de Ronfard dans une structure plus rigide, qu’on gaze pour mieux le contrôler. Deux jeunes interprètes, tous de blanc vêtu (Victoria Diamond et Nicolas Labelle), rebelles et protecteurs de la génération précédente, déploient leur énergie grâce à une expression corporelle près de l’esprit de la danse contemporaine. Entre deux mouvements, ces enfants ronfardiens délaissés au Madrid évoquent, par des cris du cœur, des artisans importants de l’histoire (les écologistes, les felquistes, les féministes, les anarchistes… et même René Lévesque). Comme quoi la modernité et la tradition peuvent s’unir admirablement.

À la sortie du théâtre, un sentiment nous habite, soit celui d’avoir finalement assisté à une soirée déroutante et rebelle qui nous a tendu un incontournable miroir de la nécessité de l’art. Jean-Pierre Ronfard ne risque pas de se retourner dans sa tombe… ou peut-être avec un grand sourire.

29-03-2011
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