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Du 6 au 24 novembre 2007
Jeudi 15 novembre à 19 heures, samedi 17 novembre à 17 heures

Le problème avec moi
précédé de Le déclic du destin

Texte de Larry Tremblay
Mise en scène de Francine Alepin, assistée d’Isabelle Gingras
Avec Carl Béchard et Larry Tremblay

Deux courtes pièces pour un seul personnage, Léo. Mais quel personnage ! Léo nous invite à un voyage intérieur au pays de son corps, pierre angulaire des deux pièces présentées. Le problème avec lui, c’est qu’il vit des transformations kafkaïennes. Dans Le déclic du destin, il suffit d’un éclair au chocolat pour déclencher la métamorphose : Léo voit son corps se disloquer, se désagréger, il ira même jusqu’à en perdre et la langue et les dents et la tête. Dans Le problème avec moi, Léo rencontre son double, un clone qui est l’antithèse de lui-même, un clown psychotique avec qui il faut bien composer, puisque Léo ne peut vivre sans Léø.

Proposition dramaturgique originale non réaliste, inspirée des principes et du vocabulaire gestuels du mime et du kathakali (danse-théâtre classique de l’Inde), cette invitation au dépaysement amène à des questionnements métaphysiques traités avec humour et profondeur. En explorant une gestuelle « extra-quotidienne » fictive et poétique, Francine Alepin place l’art de l’acteur au centre de la pratique théâtrale. La rencontre de Larry et Carl, Tremblay et Béchard, virtuoses du verbe et du corps, promet une véritable joute burlesque, dans un univers où la perception et les repères habituels sont troublés par les jeux de lumière et d’ombres de la scénographe Anick La Bissonnière.

Décor et lumières : Anick La Bissonnière et Martin Gagné
Costumes : Véronique Borboën
Musique : Jean-Frédéric Messier

Le problème avec moi est publié aux Éditions Lansmann
Le déclic du destin est publié chez Leméac

Une création Omnibus

Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

 

 

par Mélanie Viau

Un corps disloqué, dédoublé, clivé. Un corps objet se dissociant du moi dans une étrangeté somme toute inquiétante, un corps symptôme, psychotique et perdu dans les profondeurs de sa névrose déclenchée par une pâtisserie… une simple pâtisserie fourrée de crème. Une fois engloutie, Léo ouvre grand les yeux et son identité n’a plus de substance : ses membres le quittent un à un, le castrent et deviennent un autre, à l’idéal d’un autre, un personnage de fiction d’horreur, au destin des plus tordus. Issu d’une œuvre adolescente de Larry Tremblay, le personnage traverse l’écrit du Déclic du destin, se retrouve et se confronte à lui-même dans Le problème avec moi, s’incarne dans deux corps, devient objet malléable. L’immense mérite de la mise en scène proposée par Francine Alepin tient à cela : unifier les deux textes et les ficeler si fort au travers de la partition corporelle et de sa dynamique avec l’espace qu’ils deviennent immanquablement une seule et même trame, un mariage parfait du verbe et du geste qui conduit Léo aux confins d’une panique scopique. Indubitablement, Alepin signe un spectacle des plus impressionnants, articulé avec le plus grand soin, nous exposant avec force le pouvoir du corps sur scène, le pouvoir immensément dramatique que possèdent ici les deux acteurs en totale maîtrise de leur propre sémiotique. Stupéfiante dérision d’une angoisse névrotique qui vous tient du début à la fin dans une tension inébranlable.

Les premières images du spectacle installent les grandes lignes directrices : un geste calqué d’un film culte, geste-panique d’un bras derrière un rideau de douche, l’ultime finalité… Léo (Larry Tremblay) entre dans sa chambre, pièce construite en symétrie, suivi de Léø (Carl Béchard) qui entre à son tour, portant la moitié manquante du costume de l’autre. Au centre de la scène, un lit, foyer de l’inconscient du personnage au ton monotone, dépressif, au discours partagé entre les deux instances vocales, à la diction impeccable, irréelle. Les jeux d’entrées et de sorties des deux acteurs au physique étonnamment très semblable imposent un rythme étourdissant au monologue, créant des échos, des dédoublements à la pensée confuse, des images cauchemardesques pour l’œil effrayé de celui qui se pose en témoin de sa propre « mort ». Le décor, chambre sombre et stérile, constitue un médium parfait pour les éclairages, qui viennent à la fois moduler l’ambiance sinistre et accentuer les traits grossiers et épouvantés des visages aux yeux ronds. En deuxième partie, la salle de bain, suggérée préalablement derrière les deux portes de la chambre, apparaît matériellement au premier plan : un immense rideau de douche devient le fond sur lequel se détachent les deux Léo qui se rencontrent dans la rue, en allant au bureau. Enfin, le décor et les costumes (ceux-ci travaillés avec une justesse implacable par l’illustre Véronique Borboën) assurent le passage sans anicroches des personnages entre les deux pièces, dont la fin à la Hitchcock se pose inévitablement comme la conclusion logique des premières manifestations hystériques. Entourée d’une équipe dont la virtuosité n’est plus à prouver, Francine Alepin possède définitivement les outils pour créer un objet d’une intelligence remarquable, à l’esthétique soignée et au rendu dynamique des plus divertissants.

En plus de cette certaine teneur psychanalytique, où le physique, en maître, se détache du psychique pour le contrôler, il importe de bien mentionner que le spectacle dans son entier se pose avant tout comme une véritable partie de plaisir, où le public s’esclaffe de rire à tous moments devant un personnage auquel il est difficile, malgré nous, de ne pas s’identifier. Un moment de théâtre d’une profonde singularité. Enlevant. Cathartique.

08-11-2007