Enfermé pour trahison envers sa patrie, Lorko, jeune Serbe, s’écrie : Ne frappez plus. J’irai me battre. Je n’ai pas peur. Les Croates doivent mourir, les Musulmans, mourir. La Grande Nation Serbe ! Puis, incapable de tirer sur quiconque, il désertera laissant derrière lui Elma son amour sa femme musulmane, son petit frère Jovan, son meilleur ami Alexandre et ses parents, qui assisteront impuissants à cette guerre qui s’infiltre lentement au travers des murs de leur famille. Oscillant entre le monde réel et celui du rêve, Le Diable en partage dépeint les marques laissées sur ceux qui choisissent délibérément de prendre le parti de la guerre, comme celles laissées sur ceux qui la fuient, mais demeure avant tout un chant d’amour dans les guerres de tous les temps.
PROPOSITION THÉÂTRALE
Évoquer. Tel est le mot d’ordre du metteur en scène Reynald Robinson. Notre monde contemporain, suffisamment bombardé d’une pléthore d’images plus crues les unes que les autres, réclame la douceur des mots, souvent plus forts à eux seuls qu’une photo à la une. Sur scène, un piano, quelque part, d’où s’échappent quelques notes, bouffées d’espoir dans la grisaille, puis un arbre, imperceptiblement vert. Et dix acteurs, tous animés par une seule fièvre : que jaillisse la puissante poésie de Melquiot, celle qui révèle leur peur de l’aliénation, leur phobie de la haine cachée chez chacun d’entre nous, véritable diable que les hommes se partagent.L’AUTEUR – Fabrice Melquiot est une figure de proue de la nouvelle génération de dramaturges en France. Il a publié plus d’une vingtaine de pièces chez l’Arche Éditeur, dont une dizaine destinée à un jeune public. En 2003, pour Le Diable en partage, il reçoit le prix « Nouveau Talent Radio » de la SACD (Société des auteurs et des compositeurs dramatiques) ainsi que deux prix du Syndicat National de la Critique : « Meilleure création d’une pièce en langue française » et « Révélation de l’année ». Ses textes sont joués et traduits partout à travers le monde, et Du Bunker est fier d’être la première compagnie québécoise à porter sa voix sur la scène au Québec.
LA COMPAGNIE – C’est en 2004, rêvant ensemble de sortir du sous-sol sans fenêtre où ils ont reçu leur formation (Conservatoire d’art dramatique de Montréal), que les acteurs de Du Bunker se sont unis. Depuis, ils se font un devoir de prendre la parole afin que tous, jeunes et moins jeunes, sortent eux aussi de leur « bunker » en préférant le rassemblement à l’isolement, l’inconnu au connu. En 2006, ils défendent sur la scène de Fred-Barry une adaptation théâtrale du Songe de l’oncle de Dostoïevski, conçue et mise en scène par Igor Ovadis. Au Théâtre de la Ville de Longueuil et au Gésu, ils livrent Route 1 de Carole Fréchette dans une mise en lecture de Lise Vaillancourt.
Texte
Fabrice MelquiotMise en scène
Reynald RobinsonScénographie
Jean BardCostumes
Sarah BalleuxÉclairages
Claude AccolasMusique originale
Yves MorinDistribution
Francesca Bárcenas, François Bernier, Charles-Olivier Bleau, Anne-Valérie Bouchard, Evelyne Brochu, Monia Chokri, Catherine De Léan, Hubert Lemire, Véronique Pascal et un autre comédienLe texte est publié chez L’Arche Éditeur.
Production Du Bunker
Codiffusion Espace LibreDu 7 au 24 mars 2007
du mardi au samedi à 20h
Soirées des lève-tôt : mardis 13 et 20 mars à 19h
Billetterie : 514-521-4191
par David Lefebvre
“La mort? J’y pense même plus tellement j’y pense!”
Un nom : Fabrice Melquiot. Si vous ne le connaissez pas déjà, ça ne saurait tarder. L'homme est dans la mi-trentaine, avec déjà plus de 25 pièces à son actif traduites dans plusieurs langues. Il est, comme l’a décrit un de mes collègues, “l’une des voix les plus exigeantes et les plus originales de la scène théâtrale en France”. Le diable en partage est possiblement la plus renommée et récompensée de son répertoire, ayant raflé en 2003 le prix du Syndicat national de la critique pour la meilleure pièce de l’année. Écrivant dans l’urgence, comme il le dit lui-même, il s’est inspiré, pour cette pièce, d’un fait divers (un déserteur qui a fui la Serbie par l’Italie pour arriver en France) et de deux enfants de Sarajevo qu’il a rencontrés, Lorko et Elma. Il reprend d’ailleurs les deux noms, en leur honneur, dans cette histoire, humaine, d’amour, sur fond de guerre, animale, civile.
Lorko (Hubert Lemire), jeune Serbe, est amoureux d’Elma (Francesca Bárcenas), belle musulmane. Mais la guerre civile éclate, et Lorko est fait prisonnier, torturé et remis au front. Gaspillant ses balles sur les oiseaux et l’obscurité, il déserte le pays. Elma reste alors avec le jeune frère de Lorko, Jovan (François Bernier), leur meilleur ami orphelin, Alexandre (Charles-Olivier Bleau), et les parents Vid (Frédéric Paquet) et Sladjana (Véronique Pascal). Lui se sent taré, et note tout dans un calepin, victime, semble-t-il, d’une mémoire qui prend le large (métaphore de la perte des racines du pays). Et elle, elle tricote sans arrêt (image de la reconstruction perpétuelle). C’est après un rêve qui lui fait perdre la vue qu’Alexandre se lance aussi dans la “guerre”, avec Jovan qui veut devenir un héros. Ce dernier y perdra la raison et le coeur. Lorko, qui tente sans succès d’obtenir son statut de réfugié politique en France, retourne finalement dans son pays, qu’il retrouve ravagé et anéanti. Mais l’amour peut tout rebâtir…
Crédit photo : Martin FontaineLe texte de Melquiot, d’une poésie percutante et résolument contemporaine, oscille entre une réalité bestiale, inhumaine, atroce, et un monde onirique, tout de douceur, d’amour, d’humour, intimiste. Ses mots, accaparants, coulent et frappent en même temps. Mais le choix de garder plusieurs expressions franchouillardes et quelques anglicismes par la troupe même si nous en sommes avertis en connaissant l’auteur, nous rappellent rapidement, sinon impitoyablement, l’origine du texte et à quel public il s’adressait au départ.
La mise en scène de Reynald Robinson se situe surtout dans l’univers brumeux du rêve et de la suggestion. On fume les clopes sans clopes, on mange la soupe sans cuiller… Il se sert immodérément des trois anges du texte, narratrices et chœur, spectatrices et actrices, interprétées par Evelyne Brochu, Monia Chokri et Catherine De Léan. Elles décrivent les actes, expliquent les flash-back, situent l’action. Le tout pourrait à la longue ennuyer, mais grâce au talent des trois comédiennes, ces anges flottent sur la scène, se déplacent aisément, habillent et déshabillent par les gestes et les mots, font sentir leur présence avec aplomb et disparaissent finalement le temps venu, tout en restant sur scène. Attachants, les autres personnages ne connaissent pourtant pas de réelle évolution, figés dans leur histoire. François Bernier arrive heureusement à faire passer Jovan d’un adolescent innocent à un jeune homme au cœur de pierre, durci par la haine et le pouvoir malsain de la guerre. Hubert Lemire incarne un jeune premier meurtri, Francesca Bárcenas une Musulmane amoureuse et dévouée à son amour ; tellement qu’on ne connaît nullement son passé, ses allégeances, sa famille. Elle semble, à quelques reprises, sortir d’un livre de Boris Vian, grâce à ce lien maléfice qui la lie aux plantes et aux fleurs.
Les éclairages de Carol Lechasseur ne sont jamais vraiment crus mais souvent froids, baignant souvent les protagonistes dans une lumière ambrée ou une nuit enneigée. Le décor de Jean Bard colle aussi avec la simplicité de la mise en scène : quelques roches, un arbre qui a perdu presque toutes ses feuilles et quelques chaises. Il y a aussi un piano, d’un joli bois naturel, qui semble sortir d’une terre aride et sèche. Il servira à plusieurs reprises, résonnant sous les doigts de quelques comédiens mais surtout sous ceux, magnifiques, d’Anne-Valérie Bouchard, qui nous fait apprécier la musique originale d’Yves Morin et quelques airs connus, dont une touchante reprise en groupe de Bridge over trouble water, du duo légendaire Simon and Garfunkel.
La trame, latente, est tout en suggestion, et ce tout au long de la pièce. Monté l’an dernier au Conservatoire par la même équipe (mis à part un comédien appelé ailleurs), on sent encore, légèrement, le projet académique sous les nombreux exercices de style et l’esthétisme poussé du spectacle. Mais les déplacements fluides et bien orchestrés, la mise en scène simple, tout aussi douce que violente, le talent des différents comédiens et le texte poétique de Melquiot font de Le diable en partage une pièce qui plaît et qui fonctionne.
09-03-2007