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Du 17 novembre au 12 décembre 2015, les mardis à 19 h, du mercredi au vendredi à 20 h et les samedis à 16 h
Bientôt viendra le temps
Texte Line Knutzon
Traduction Catherine Lise Dubost
Mise en scène Luce Pelletier
Avec Caroline Bouchard, Ann-Catherine Choquette, Pierre-François Legendre, Daniel Parent, Catherine Proulx-Lemay, Adèle Reinhardt

Deux couples en pleine rupture sont captifs d’un espace-temps surréaliste. Bien qu’Hilbert et Rebekka aient soigneusement tout mis en œuvre au cours de leur vie – les enfants, la maison, le travail, les voyages, la gouvernante – ils constatent l’enfer qu’ils sont devenus l’un pour l’autre et le temps qui se dérobe à eux. Les choses se gâtent quand un second couple en pleine crise, Ingrid et John, se mêle à leurs déboires. Quand débarque la fille cadette d’Hilbert et de Rebekka, le temps se met à dérailler : les personnages disjonctent, leurs souvenirs s’entremêlent, les tromperies et les mensonges se multiplient tandis que certains, devenus paranoïaques, portent maintenant le goût du sang en bouche…

BIENTÔT VIENDRA LE TEMPS pose une réflexion sur le caractère corrosif du temps, sur sa futilité et sa façon insidieuse d’user les relations humaines. Née au Danemark en 1965, Line Knutzon est reconnue comme l’une des écrivaines les plus innovantes de sa génération. Imprégnée de l’ironie danoise et véritable virtuose de la langue, Knutzon se joue des habitudes langagières et des clichés du monde adulte en dressant le portrait d’une époque en porte-à-faux, et ce, sans jamais tomber dans le commentaire social. Aux frontières du rire, l’absurde de ses pièces dépeint une fresque pathétique d’individus incapables de s’incarner socialement.

Fidèle à ses convictions artistiques, le Théâtre de l’Opsis encourage le passage par les écritures étrangères pour mieux revenir à soi, au Québec. Après s’être intéressée aux dramaturgies étasuniennes (2006-2010) et italiennes (2010-2014), la directrice artistique Luce Pelletier, amorce un nouveau cycle de création en se tournant vers la Scandinavie. Le Théâtre de l’Opsis désire démystifier cette culture hautement estimée et peu connue de notre paysage théâtral grâce à une plongée sensible et critique au cœur de sa dramaturgie. BIENTÔT VIENDRA LE TEMPS, pièce acclamée de nombreuses fois par le public européen et véritable classique contemporain danois, servira de pierre de touche pour le début de ce cycle. Un dialogue qui fera sans doute résonner notre nordicité commune.


Section vidéo


Assistance à la mise en scène : Claire L’Heureux
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Julie Breton
Éclairages : Mathieu Marcil
Musique : Catherine Gadouas

Durée à déterminer

Rencontre avec le public
Mardi 24 novembre 2015, après le spectacle

Tarif
Général 37$
65 ans et + 30$
30 ans et - 28$
Forfaits disponibles pour plus d'un spectacle

Une production du Théâtre de l'Opsis


Espace Go
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890

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Critique

Crédit photo : Marie-Claude Hamel

Comme amorce au cycle scandinave à l’Espace Go, la pièce Bientôt viendra le temps augure de bien belles choses pour le Théâtre de l’Opsis.

Après des incursions dans l’univers de Tchekhov, autour du mythe d’Oreste et dans des pays spécifiques (États-Unis et Italie), la compagnie dirigée par Luce Pelletier a choisi cette fois-ci une dramaturge danoise inconnue du public québécois, Line Knutzon. Celle-ci décrit les travers d’une société contemporaine près de nous malgré la distance géographique. Fort heureusement, l’œuvre aux accents absurdes et grinçants esquive toute image stéréotypée ou associée généralement à ce coin du monde. Donc, elle ne fait allusion à aucun paysage froid, noir ou enneigé souvent caractéristiques des polars de cette région nordique ou encore à certaines valeurs sociales-démocrates louangées dans certains médias. Les individus dépeints dans le texte se définissent par ailleurs davantage par leur approche consumériste que par la solidarité avec autrui.   

Pendant une heure et trente minutes, la plume de l’auteure dramatique décortique le quotidien en apparence banale de deux couples d’amis. Dans une atmosphère que n’aurait pas reniée Ionesco dans sa Cantatrice chauve, nous suivons les péripéties de deux couples bourgeois en pleine crise conjugale. Hilbert et Rebekka (Pierre-François Legendre et Catherine Proulx-Lemay) ont matériellement tout pour vivre heureux jusqu’à la fin de leurs jours : un salon cossu comme dans un magazine de décoration, des emplois bien rémunérés et une servante, mystérieuse comme celle de La Cantatrice (Ann-Catherine Choquette). Quand surgissent Ingrid et John (Caroline Bouchard et Daniel Parent), l’histoire se détraque joyeusement. Un peu plus tard, lorsque surgit la fille cadette de Rebekka et Hilbert (incarnée par la comédienne la plus âgée de la distribution, Adèle Reinhardt, accentuant ainsi l’étrangeté du propos), le temps évoqué dans le titre cède la place à une cacophonie fusionnant le sens de la parodie du Cœur a ses raisons au climat des récits à la Edgard Allan Poe.   

Le décor d’Olivier Landreville expose ainsi, avec clarté, les mensonges que se lancent à la figure les personnages dans ces joutes oratoires qui ne faiblissent pas durant toute la représentation. Avec sa structure en bois, ses étagères carrées et ses petits bibelots, il reproduit fidèlement ces intérieurs dignes du meilleur IKEA où aucune trace de poussières ne vient briser cette illusion du rêve et du bonheur tranquille. Derrière, sur la scène, l’espace dépouillé explicite les vices, perversions et instincts primitifs des protagonistes. Par exemple, les allusions aux ébats amoureux, pratiqués à l’extérieur du logis par deux partenaires infidèles, nous montrent parallèlement le voyeurisme d’un autre qui se rince l’œil sans complexe. La mise en scène ne tombe pas dans le sensationnalisme pour autant. Le même équilibre, entre la sobriété de l’exécution scénique et les répliques au vocabulaire parfois sanguinolent, est perceptible lorsque la bonne quitte à un moment le plateau, quelques instants après une sortie de la gamine. Lors de son retour, elle porte un tablier blanc recouvert de rouge vif.  Ce détail laisse présager une tragédie irrémédiable. Pourtant, un retour de situation très habile renverse le dénouement anticipé par une simple phrase.    


Crédit photo : Marie-Claude Hamel

Le travail minutieux de Luce Pelletier contribue grandement à la réussite de Bientôt viendra le temps. Comme dans certaines des précédentes réalisations artistiques, dont Frères ou Bar du cycle italien, la femme de théâtre porte une attention particulière à chacun des déplacements et au moindre geste de ses actrices et acteurs. Dès la première scène, Catherine Proulx-Lemay rend ainsi à la perfection par ses mimiques, le croisement de ses jambes ou la manière de s’assoir dans son confortable fauteuil, la vacuité de cette femme que l’on retrouverait sans problème dans Les Femmes de Stepford. En hommes qui tentent de trouver une logique à des situations à priori invraisemblables, Pierre-François Legendre et Daniel Parent insufflent le ridicule nécessaire à leurs rôles de pantins manipulés. Caroline Bouchard joue sans inhibition et avec justesse cette épouse hystérique par ses élans colériques. Ann-Catherine Choquette est épatante sous les traits de la domestique insolite, presque sortie d’une histoire d’horreur autant dans les expressions singulières de son visage que dans sa voix aux intonations graves. Mais la meilleure prestation nous vient d’Adèle Reinhardt qui se renouvelle de production en production sous la direction de Luce Pelletier. L’an dernier, dans Le Vertige, la comédienne avait livré une prestation très étonnante en prisonnière russe. Ici, dans la peau d’une adolescente curieuse et intrépide, elle se révèle tout aussi formidable.   

Entre l’ironie, l’angoisse et le vaudeville, la partition de Bientôt viendra le temps s’avère brillamment rendue par le Théâtre de l’Opsis grâce à une chef d’orchestre en symbiose avec le matériel et ses interprètes allumés.

23-11-2015