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Les 4, 5 et 6 février 2013, 19h - supplémentaire les 4, 5 et 6 février 2013, à 17h
Au lit avec Virginia
Auteure : Virginia Woolf
Traduction : Élise Argaud
Avec Sophie Cadieux, en compagnie d'Isabelle Brouillette

En 1928, Virginia Woolf est invitée à donner une conférence sur le thème « Les femmes et la fiction ». La mise en commun des mots femmes et fiction l’amène à s’interroger sur sa propre histoire en tant que femme, sur sa volonté d’écrire, ainsi que sur le destin des femmes écrivaines avant elle. Au terme de sa réflexion, l’auteure énonce que « ...pour qu'une femme écrive un roman, il lui faut de l'argent et une pièce à elle. »

Une chambre à soi est un essai pamphlétaire publié en 1929, dans lequel Virginia Woolf détaille, avec une certaine irritation voilée d’ironie, les conditions matérielles limitant l'accès des femmes à l'écriture : interdiction pour les femmes de voyager seules, de s'installer à la terrasse d'un restaurant, de s'asseoir dans l'herbe ou encore d'accéder à la bibliothèque de l'université. Woolf s'attarde sur les contraintes liées au mariage, à la charge des enfants et du ménage, ne laissant plus aux femmes le temps de se consacrer à l'écriture.


Incluant des lettres de
Djemila Benhabib
Fanny Britt
Suzanne Jacob
Catherine Mavrikakis
Sophie Pouliot

Direction artistique : Max-Otto Fauteux
Musique : Germaine Tailleferre

HORAIRE
Les 4, 5 et 6 février 2013

Pages 1 à 50
4 février 2013 à 19 h

Pages 51 à 100 *
5 février 2013 à 19 h

Pages 101 à 150 *
6 février 2013 à 19 h

*Ces soirées débuteront par un court résumé de la soirée précédente.

NOMBRE DE PLACES
50 spectateurs par soir seulement!

TARIFS
1 soir : 25 $
2 soirs : 40 $
3 soirs : 50 $

Une production ESPACE GO


Espace Go
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890

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 Critique
Critique

réflexion-critique d’Ariane Cloutier

Au lit avec Virginia : lecture libre de « Une chambre à soi » de Virgina Woolf


Crédit photo : Caroline Laberge

Quel plaisir de se faire lire Virginia Woolf dans l’ambiance feutrée d’un salon victorien, tout en se laissant bercer les yeux mi-clos par la douce voix de Sophie Cadieux. Depuis les livres d’enfants que notre mère nous lisait sur l’oreiller, il semble que nous ayons oublié à quel point il est agréable de laisser courir son esprit au gré des mots sans avoir à se donner l’effort de les lire.

La scénographie a tout pour évoquer la détente. Confortablement assis dans les quelques 50 fauteuils épars posés sur des tapis persans, sous la lumière chaude de lustres de cristal, nous regardons deux comédiennes qui semblent incarner la féminité même, tant par leur robe blanche diaphane et que par leur jeu délicat. L’une d’elles (Sophie Cadieux) étendue sur un ottoman double, parmi les coussins, nous fait la lecture du texte « Une chambre à soi » de Virginia Woolf, tandis que sa complice (Isabelle Brouillette), derrière une table console, opère, à l’aide de deux MacBook et un chaudron, la technique du spectacle. On pourrait remettre en question l’aspect très académique (est-ce en référence à la conférence à l’origine du texte?) de la projection et des illustrations retouchées en direct, mais le plus simple est de fermer les yeux. Elles liront également quelques extraits d’auteurs contemporains se rapportant au même sujet que l’œuvre de Woolf : les femmes et la littérature. Ces extraits qui ponctuent le texte original se posent en appui à l’énigme initiale du spectacle : ce texte-conférence de Virginia Woolf adressé en 1929 aux étudiants de Cambridge est-il toujours d’actualité?

Le spectacle est conçu comme une trilogie : le premier soir se réfère au chapitre 1 et 2 du livre, le deuxième rapporte les chapitres 3 et 4 et le dernier rend compte des chapitres 5 et 6. Il est tout à fait possible d’assister à une seule des représentations sans en perdre le sens, mais le faire entrainera immanquablement une curiosité face à l’entièreté de l’œuvre.

Virginia Woolf ouvre son discours sur l’allégation : « … il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et ait accès à une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction. » Elle passera les chapitres suivants à nous faire parcourir, par toutes sortes de détours de l’esprit, le chemin imaginaire qui l’a menée à cette conclusion. Elle pose bon nombre de suppositions et de questions très intéressantes : pourquoi les universités masculines sont-elles plus riches que les universités féminines? Qu’est-il advenu de Judith - la sœur inexistante de Shakespeare? Pourquoi si peu de noms féminins ont manqué l’histoire et surtout, d’où provient cette agressivité des hommes érudits envers les femmes alors qu’elles sont de prime abord démunies et contraintes? Selon Woolf, Judith, au talent égal à William, aurait péri de l’impuissance à partager son œuvre ; les femmes sont retenues d’écrire d’abord par leur statut premier de mère de famille, puis par une restriction sociale et une inaccessibilité à l’éducation. Elles se trouvent de surcroit écrasées par certains de leurs contemporains de sexe masculin qui ressentent un perpétuel besoin d’assurer leur supériorité. Si Woolf évoque les grandes dames de la littérature anglaise, d’Aphra Behn à Jane Austen en passant par les sœurs Brontë, elle soutient plus tard que la littérature la plus universelle se doit d’être androgyne. Le discours de Virginia Wolf nous entraine avec une habileté remarquable au fil de ses réflexions, par un style souple, une justesse touchante et une finesse d’esprit inégalée.


Crédit photo : Caroline Laberge

Les citations d’auteures contemporaines, telles Djemila Benhabib, Fanny Britt, Suzanne Jacob, Catherine Mavrikakis et Sophie Pouliot, permettent d’examiner le texte de Virginia Wolf selon une perspective actuelle. On constate entre autres que, maintenant que la femme doit travailler au même titre que l’homme pour gagner sa vie, la situation d’écrivaine est d’abord régie par une logique de compromis, due à la nécessité d’honorer d’abord un métier alimentaire. Peut-être décidera-t-elle par choix d’être mère au foyer, ce qui diminue grandement les chances de se retrouver dans un espace bien à soi pour écrire. Ces citations sont apposées au texte selon un dosage différent à chaque représentation, mais sont sensiblement les mêmes. Il aurait été intéressant, pour les rares spectateurs assistant aux trois représentations, d’entendre des extraits tout à fait différents d’un soir à l’autre.

Cette lecture est effectuée par Sophie Cadieux dans le cadre de sa fructueuse résidence à l’Espace Go, qui a toujours su placer la création au féminin au sein de sa programmation. On se souvient de Je ne m’appartiens plus, issu de la même résidence, qui nous a menés cet automne à travers un déambulatoire identitaire. Il faut croire que Sophie Cadieux aborde cette résidence avec un angle très personnel dans le choix des sujets; par exemple, la lecture de ce texte clef de Virginia Woolf qui l’habite depuis sa jeune vingtaine. Elle semble de surcroit s’en donner à cœur joie à travers l'exploration de différents types de représentation, que ce soit par une forme théâtrale plus expérimentale (dans le cas du déambulatoire) ou par une forme moins commune de nos jours (dans le cas de la lecture). Nous pourrions qualifier cette représentation de Au lit avec Virginia de « rétro avant-gardiste », par le fait que Sophie Cadieux tente de placer dans la perspective actuelle une œuvre écrite il y a cent ans, et ce, en revisitant un genre de prestations autrefois plus commun, tout en réactualisant le sujet et la forme.

Force est de constater que cent ans après cette prise de position de Virginia Woolf sur l’inégalité d’accès à l’écriture entre les femmes et les hommes, les choses ont bien changé en Angleterre et dans plusieurs pays. Pour prendre un exemple qui est près de nous, il y a plus de femmes que d’hommes dans les universités au Québec et l’accès aux bibliothèques ne leur est plus restreint. Par ailleurs, si on ouvre le sujet à l’égalité en général et si on l’élargit au niveau international, il semble tout à fait d’actualité à une époque où foisonnent les manifestations pour les droits des femmes, telles les Femens, la Guérilla rose, et les Slutwalk, ainsi que les rassemblements mobilisés contre les agressions et l’oppression des femmes aussi bien en Inde qu’à Thunder Bay. Si un journaliste accordant une entrevue à une femme victime de viol en Somalie se voit incarcéré, on peut difficilement supposer qu’une femme de ce pays pourrait écrire librement au sujet de sa condition telle que l’a fait Virginia il y a cent ans. Alors, la question persiste : qu’en est-il de la femme et de la littérature? Il faudrait demander à Magda Aliaa Elmahdy, la blogueuse égyptienne récemment expatriée, ce qu’elle en pense.

14-02-2013