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Du 17 janvier au 11 février 2012
Tristesse, animal noir
Texte : Anja Hilling
Traduction : Silvia Berutti-Ronelt, en collaboration avec Jean-Claude Berutti
Mise en scène : Claude Poissant
Avec : David Boutin, Robin-Joël Cool, Stéphane Demers, Pascale Desrochers, Alexandre Fortin, Claude Gagnon, Alice Pascual, Marie-Ève Pelletier

La première chose qui te vient à l'esprit c'est un animal. Un animal rapide au pelage lumineux. Dans cet état. Proche du rêve. On se laisse embarquer. On accepte. Qu'un animal rapide décrive les courbes de lumière.

Une forêt. L'été. Il fait chaud, terriblement chaud. Trois couples abandonnent la ville pour profiter d'un barbecue et d'une nuit en pleine nature. Ils sont amis, ont entre 30 et 45 ans et mènent la vie confortable de citadins branchés. Ils s'apprécient, se jugent parfois, veulent se plaire. Peu à peu, l'alcool délie les langues. Derrière les banalités échangées se dévoilent les inimitiés, les blessures mal refermées, les ambiguïtés. Soudain, une étincelle vole. La nature s'embrase en un animal silencieux. Sournois. Incendie dévastateur. La fête vire à la catastrophe.

TRISTESSE ANIMAL NOIR plonge l'humain au cœur du chaos. Comment réagir à un événement dont la violence nous dépasse, surtout quand il fait irruption avec fracas? Pour faire entendre les bouleversements intérieurs de ses personnages, Anja Hilling propose un théâtre charnel et inventif. En trois mouvements singuliers, elle installe l'insouciance avec un regard d'une grande poésie, crée le choc à travers des émotions brutes et laisse enfin s'apaiser les cendres.


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Assistance à la mise en scène : Catherine La Frenière
Décor : Geneviève Lizotte
Lumières : Éric Champoux
Costumes : Marc Senécal
Accessoires : David Ouellet
Musique : Philippe Brault
Chorégraphie : Caroline Laurin-Beaucage
Maquillages : Florence Cornet

Les mardis à 19 h
Du mercredi au samedi à 20 h
Et les samedis à 16 h

Une coproduction ESPACE GO + Théâtre PÀP


Espace Go
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890

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 Critique
Critique
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par Daphné Bathalon


Crédit photo : Caroline Laberge

Ces jours-ci, à Espace Go, un feu de forêt fait rage. Au centre, et à l’origine de cette catastrophe à la fois écologique et humaine, six individus. Ils ont décidé qu’une aussi chaude et sèche journée appelait au pique-nique, au barbecue. « Depuis 34  jours, la forêt attend la pluie. » Ça ne la rend que plus belle. Les trois couples insouciants, dont les liens ne sont pas aussi simples qu’il y parait au premier abord, se retrouvent rapidement au cœur du brasier dont ils sortiront transformés.

Pour son court triptyque, l’auteure allemande Anja Hilling s’est inspirée des incendies qui ont ravagé une partie de la Grèce en 2007. Elle en a tiré un drame fort qui frappe l’imaginaire avec des descriptions riches. Il y a, pendant toute la pièce, une espèce de détachement qui, s’il déconcerte dans un premier temps, démontre surtout la puissance des mots. Ils sont le réel foyer d’incendie de Tristesse animal noir, cette première coproduction du Théâtre PàP et d’Espace Go. À l’instar du nuage de cendres qui obstrue la lumière du soleil et fait disparaître le ciel dans une nuit permanente, ces mots masquent les émotions et la douleur des personnages. Ils sont un écran de fumée derrière lequel les personnages se réfugient pour ne pas craquer sous la charge du désespoir et des souvenirs. Lorsque des sentiments font surface, ils sont minutieusement et froidement décrits, ce qui rappelle bien le détachement parfois ressenti par les victimes de catastrophes, comme si à un moment, l’esprit et le corps se scindaient.

Claude Poissant a choisi de laisser une large place aux mots de Hilling et aux images qu’ils évoquent. Un pari qu’il a pris en optant pour le dépouillement le plus total : la vaste scène vide se peuple des mots de l’auteur et des corps des acteurs et musiciens. D’emblée, la narratrice, Marie-Ève Pelletier, décrit les lieux, les circonstances, les protagonistes, leurs hésitations ou la manière dont ils s’expriment. Ces didascalies, qu’on n’entend habituellement jamais au théâtre, occupent cette fois les devants de la scène, reléguant au second plan les répliques. Tandis que dans la première partie, plus réaliste, les personnages échangent quelques mots, dans la seconde partie, les paroles sont déconstruites, rapportées par d’autres personnages ou de manière détachée par celui qui les prononce. Toute la distribution fait d’ailleurs preuve de retenue dans le ton et le jeu, et d’une excellente maîtrise du texte au rythme syncopé.

Dans la deuxième partie, quand les flammes se répandent partout, l’auteure n’hésite pas à recourir à une narration à la 2e personne du singulier, un procédé littéraire délicat, mais qui paie. Toute la séquence du réveil au milieu de l’incendie et de la course pour échapper aux flammes est prenante. L’odeur, la température, la propagation du feu, l’explosion, le feu qui court, ses couleurs, la lumière, la noirceur et le temps qui échappe à tout calcul, tout est si bien décrit qu’on s’y retrouve plongé avec les personnages malgré l’absence de décor. Quant à la troisième partie, elle présente les victimes après l’incendie, transformées, tant physiquement que moralement, par le traumatisme vécu. Il y a des blessures qui ne guérissent vraisemblablement jamais… et des liens brisés qu’on ne pourra réparer.

Le Théâtre PàP a fait de ce texte ardu un récit initiatique au discours porteur et prenant. Le voyage d’une heure quarante-cinq requiert une attention de tous les instants. Avec les personnages, le spectateur se brûle les ailes aux mots de Hilling. Il faut s’accrocher au récit pour ne pas perdre le fil des images évoquées.

22-01-2012