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Du 23 octobre au 3 novembre 2007

Everybody's Welles pour tous

De Patrice Dubois en complicité avec Martin Labrecque
Mise en scène Patrice Dubois
Avec Patrice Dubois et Stéphane Franche

Maître du métissage et des formes, Welles était un artiste insaisissable, un illusionniste, un charlatan, un Américain européanisé, un apatride. Même mort, surtout mort, il laisse une ombre sur le travail de quiconque cherche à le regarder en face. Pour arriver à saisir et à communiquer l’homme qu’a été Welles – et surtout l’homme qu’il est aujourd’hui – l’acteur Patrice Dubois et l’éclairagiste Martin Labrecque sont devenus wellésiens avec Welles, c’est-à-dire polyvalents, multiples, politisés, artisans et finalement grands amateurs.

EVERYBODY’S WELLES POUR TOUS n'est pas un cours théorique sur Orson Welles. C’est un docudrame dans lequel le jeune P., conférencier incarné par Patrice Dubois, est confronté avec l’illustre Orson Welles, réalisateur, acteur, scénariste, magicien.
Au-delà de la recherche fouillée des deux auteurs, la pièce s’interroge sur cette Amérique qui crée ses propres mythes et répudie ses héros quand bon lui semble.
EVERYBODY’S WELLES POUR TOUS est la recherche de deux bricoleurs qui ont rallié d'autres bricoleurs à leur cause et en particulier, le Théâtre PàP qui produit ici son premier spectacle d’amateurs (de cinéma)!

Éclairages : Martin Labrecque
Assistance à la mise en scène : Catherine La Frenière
Décor et accessoires : Olivier Landreville
Musique originale et conception sonore : Larsen Lupin
Costumes : Caroline Poirier
Direction de production : Catherine La Frenière
Direction technique : Alexandre Brunet


Une création du Théâtre PàP

Espace GO
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890

 

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Dates antérieures

Du 5 au 29 novembre 2003

 

par David Lefebvre

"Ce qu'il a fait c'est beau, c'est grand.
Ce qu'il n'a pas fait c'est gigantesque".

Orson Welles... Pour cette critique, je n'oserai pas écrire en détail la vie de ce grand comédien, metteur en scène, créateur, magicien et tout le reste, pour deux simples et bonnes raisons : sa vie semble si vaste qu'un paragraphe me ferait mentir sur l'incroyable histoire d'une vie, et surtout parce que Everybody's Welles pour tous le fait admirablement bien. Mais rappelons simplement qu'il est l'investigateur d'une panique générale (plus de 1 700 000 personnes dans les rues à courir et chercher refuge), le 30 octobre 1938, à cause de son adaptation radiophonique de War of the Worlds (La Guerre des mondes, de H.G. Wells, aucun lien de parenté), puis des films comme Citizen Kane, qui remporte encore aujourd'hui la palme du meilleur film de tous les temps, de Magnificent Ambersons, Touch of Evil, Trial et son fameux Othello...Un homme qui aura touché à tout, et qui aura transformé et fait évoluer tout ce qui était sur son passage, en commençant par la radio, puis le cinéma avec ses plans en contre-plongée, ses profondeurs de champ et ses fondus enchaînés... Pourtant, c’est pauvre et seul qu’il décède, en 1985, après une carrière de visionnaire à qui l’on aura bandé les yeux.


Une scène de Citizen Kane

Revenons maintenant à la pièce. Produite initialement en 2003 dans la petite salle de l'Espace GO, voilà qu'elle nous revient dans la grande salle. En fait, ce n'est pas vraiment une pièce, mais plutôt une conférence... pas tout à fait : un documentaire? Non plus... Il est difficile de faire la démarcation entre la conférence-documentaire et le spectacle. Du moins ce n'est pas la vérité, ni un mensonge. À moins que ce ne soit un rêve... Ou alors, c'est tout simplement une histoire. Mais de quoi, ou de qui au juste? De la politique, du théâtre, de la radio, du cinéma? Ou encore celle de ce conférencier, qui semble voir sa vie s'enchevêtrer dans celle de Welles, ou vice versa, qu'il fouille et dissèque avec obsession, et qui jaillit lors de son discours ?

Everybody's Welles pour tous est une petite merveille, tant au niveau du texte, de la mise en scène que du traitement esthétique du spectacle. On joue avec aisance entre la réalité et la fiction, sans jamais vraiment définir la frontière entre les deux. Comme Welles, avec ses faux documentaires (F for Fake). L’une des réussites du spectacle se trouve dans le travail bien orchestré des éclairages, par Martin Labrecque. Le début d'ailleurs, véritable hommage, est un savant jeu d'ombres et de lumières, qui rappelle les noirs profonds et les blancs des films noir. On ne voit pas le visage de Patrice Dubois, caché par l'ombre de son chapeau. Cigare en main, il est l'incarnation du génie Welles. Celui-ci avait une grande admiration pour Shakespeare, le poète Bertolt Brecht, et Houdini. Selon sa vision, le théâtre ne devait pas se laisser piéger par le «quatrième mur», qui sépare les acteurs des spectateurs. C'est exactement ce que mettent en pratique les créateurs de Everybody's Welles pour tous. Côté décor, nous nous trouvons dans une salle de conférence, un auditorium universitaire ou une classe, avec lutrin, tableau noir, mur de bois, crochets pour manteaux et chapeaux. Comme quelques étudiants, nous attendons le discours d'un homme qui a fait sa thèse sur Orson Welles. On a droit à un véritable cours sur ce géant, de sa naissance à sa mort, en passant par le Mercury Theatre, Hollywood, l'Angleterre, l'Espagne... Le texte, d’une grande richesse et véritablement bien écrit, est une véritable mine d'informations sur Welles. Souvent, c'est le conférencier qui parle, d'autres fois ce sont des personnages, comme les producteurs, les monteurs, les amis de Welles, un journaliste. Patrice Dubois nous offre une mise en scène inventive, captivante, sans temps mort, et un jeu passionné, fascinant. Un exemple : la scène parle du deuxième film de Welles, mais il est pris à Rio, ayant accepté l'invitation du Président des États-Unis. Le montage se fait carrément dans son dos, et les producteurs charcutent le film de plus de deux heures pour l'emmener à 88 minutes. Par un jeu de lumières à la diapositive, à chaque photo Dubois interprète un personnage différent, passant rapidement de Welles aux producteurs et au monteur avec une facilité déconcertante, en expliquant clairement ce qui se passe de jour en jour.

Il y a aussi ce tableau noir, qui se transforme en une espèce d'écran de cinéma où se joue (derrière) et s'affiche les pensées et les rêves du conférencier, ainsi que quelques scènes inspirées de films de Welles (dont un montage fantastique, avec des images-chocs et des accessoires typiques de ses films, comme des valises, des revolvers, une ampoule, une horloge qui a perdu ses aiguilles, la neige...) et un homme nommé The Shadow (Stéphane Franche) qui anime le tout.

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Photos : Stéphane Corriveau

Vous n'avez nul besoin d'être un connaisseur de Welles pour apprécier le spectacle; au contraire, la pièce est une excellente initiation à cet homme, et à la société dans laquelle nous vivons présentement. Welles a été un des pionniers de ce siècle. Un peu grâce à lui, la culture n'est plus affaire de riches et de bien nantis en voulant transcender la barrière entre le classique et le populaire (il aura écrit, à 15 ans, un essai sur Shakespeare, appelé Everybody's Shakespeare (d’où le titre de la conférence) qu'il a vendu en quantité phénoménale pour initier les jeunes à ce bon vieux Will). À cause de lui, on a passé des lois dans plusieurs pays du monde pour ne pas que se reproduise l'événement "War of the Worlds". Grâce à lui, le cinéma a été chamboulé par ses plans, ses éclairages (il a appris de son directeur photo les trucs du métier (lentilles, lumières, distance...) en à peine trois heures !). Sa grande force était qu'il avait compris parfaitement les rouages de la communication de masse, et il utilisait tous les trucs jusqu'au bout, il expérimentait. On sent aussi cette approche dans la pièce. On perçoit facilement ce sens du mystère et la notion de magie qui se dégageait de Welles.

Patrice Dubois et ses acolytes sont tellement passionnés par le sujet qu'ils ont créé un spectacle unique, sensible, passionnant, contagieux et fascinant. Vous en sortirez plus intrigué qu'en entrant, ce qui est une grande qualité. À expérimenter absolument!

nov. 2003, révision 24-10-2007