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Du 18 mars au 12 avril 2008

Toutefemme

Texte de Peter Karpati
Traduction de Paul Lefebvre
Mise en scène de Martine Beaulne
Avec
Annick Bergeron, Alexandre Bisping, Gary Boudreault, Bénédicte Décary, Marc-Antoine Larche, Dominique Leduc, Normand Lévesque, Jean Maheux, Monique Miller et Dominique Pétin

Voyez TOUTEFEMME, voyez Emma : la quarantaine, surmenée, échevelée, divorcée, mère monoparentale, deux emplois, continuellement à la course dans une vie émiettée. Puis, comme dans une fable du Moyen-Âge, la Mort lui apparaît, qui lui annonce – en vers! – qu’elle doit présenter à son créateur « son livre de comptes ». La course reprend, mais cette fois-ci vers la mort : sans pleurs, sans cris, sans apitoiement. Pas le temps. Tous ces petits détails à régler : les examens médicaux, récupérer la robe chez le nettoyeur, voir à ce que l’impôt ne mange pas l’héritage de sa fille, reprendre le miroir vénitien que l’ex-mari a gardé lors du divorce… L’absurde mort moderne sous un ciel vide dans toute sa sécheresse, croirait-on. Mais, au contraire, si tout cela avait un sens caché, donnant à l’existence d’Emma une dimension cosmique, immense, lumineuse?

Dramaturgie : Michel Laporte
Assistance à la mise en scène et régie : Allain Roy
Décor : Richard Lacroix
Costumes : François Aubin
Lumières : Martin Labrecque
Musique : Silvy Grenier
Accessoires : Normand Blais
Réalisation vidéo : Yves Labelle

Une création ESPACE GO

ESPACE GO
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890

 

par Mélanie Viau

Humpty Dumpty était assis sur un mur,
Humpty Dumpty fit une chute magistrale.
Tous les cavaliers du Roi et tous ses hommes d’armes
Furent impuissants à remettre Humpty Dympty à sa place.

La chute. Chute du mur de Berlin, chute du sens commun, chute d’épuisement. Les frontières fixes étant détruites, l’être devenu libre fait de lui-même son propre esclave sous l’empire du nouveau maître : le capital. Et c’est la course d’un lieu de transition à l’autre, la course pour arriver à tout gérer, sans ingérer, en s’oubliant parce que l’on ne veut rien oublier…

Emma (Annick Bergeron) est une femme anonyme, une femme en perte de vitesse dans cette société de Budapest où l’argent mène les espoirs d’une potentielle liberté. Une femme seule au milieu des siens, malade du grand malaise de la modernité déshumanisée. Elle va mourir, là, aujourd’hui, mais il ne faut pas en faire un cas. C’est la banalité même. Après tout, la mort ne vaudrait-elle pas mieux que le non-être ?

La pièce Toutefemme (1993), de l’auteur hongrois Péter Kárpáti, dépeint avec cynisme la sourde cruauté d’un monde en perte de transcendance, d’appartenance et d’idéologie. Dans cet univers étrange, aux allures d’un conte renversé de Lewis Carroll, vous ferez la rencontre des figures composant le décor de votre existence ; les marginaux mythiques, les jeunes  précocement adultes dans la violence de la réalité, les vieux excentriques qui retardent leur fin, les coureurs sans rêve d’ambition, ceux qui n’ont pas de lieu à soi, pas de serre chaude où prendre racine, et bien sûr, la mort, méphistophélique, garante du sens ultime et du plaisir espiègle à se jouer de tout. Mise en scène par Martine Beaulne, dont le parcours créateur témoigne d’un souci constant d’interroger les écarts entre le réel et le théâtral au cœur d’une dramaturgie des imaginaires subvertis par nos sociétés modernes, cette pièce d’une forte teneur symbolique devient le lieu de notre propre reconnaissance, un lieu où l’on bascule dans l’image d’un autre qui n’est plus que le reflet déformé de nous-mêmes. Les images, créées avec force, se multiplient, s’entremêlent, s’embrouillent, et du coup le propos devient clair, la forme donne un sens au non-sens en révélant tout le tragique et le burlesque de cette journée où Emma arrivera à boucler son livre de compte pour mourir, enfin.

Le décor (par Richard Lacroix), d’une époustouflante charge sémantique, traduit cette ère de la mobilité où les non-lieux, les lieux de passage, produisent des êtres sans attaches, des êtres errants, réglés sur l’horaire des transports et des engagements. Ici, une station de métro devient le symbole même de tous ces habitats impossibles. Jouant sur une très mince profondeur, l’horizontalité de l’espace sur la rame se ferme à chaque extrémité par deux amoncellements monstres de meubles divers qu’on amasse et entasse. Des montagnes créées par les reliques d’un vécu poussé par la consommation, par le désir de se bâtir un chez-soi et la nécessité de le mettre de côté afin de poursuivre sa course folle. Et dans cet espace en table rase, favorable à toutes expressions du mouvement, se jouent de véritables tableaux vivants où les simples passages dans le décor acquièrent un potentiel poétique d’une plus grande importance que les échanges dialogués. Les éclairages, la musique et les chansons s’unissent avec force au propos, à l’espace et aux corps des dix acteurs pour signer une esthétique atteignant un haut niveau théâtral que le texte seul ne pouvait offrir. Une œuvre en soi à découvrir.

Toutefemme se démarque autant par son écriture scénique que par l’intelligence du point de vue avec lequel il traite des grandes idées sur l’individu et le destin. Un conte pour la société actuelle qui ne manquera pas de bouleverser le sens bien réglé des choses.

22-03-2008