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Du 16 août au 10 septembre 2011, 19h
Fallait rester chez vous, têtes de noeuds
Texte Rodrigo Garcia
Mise en scène : Frédéric Dubois assisté d'Adèle Saint-Amand
Avec Jocelyn Paré, Marie-Josée Bastien, Frédérick Bouffard, Claudianne Ruelland, Anne-Marie Olivier

Les personnages se mêlent à la foule, avec sur eux un micro. Le son est entendu uniquement par les spectateurs qui portent des casques d'écoute. Les personnages passent, s'arrêtent et vident leur sac, parmi la foule, anonyme, sans que personne ne les voit, au hasard de ce qui arrive, de ceux qui passent... Le temps du monologue, ils livrent leur douleur, leur morceau de vie, ironique et tranchant comme seuls les textes de Garcia savent le faire. Ils partagent au milieu et avec la foule un secret qui les hante, une anecdote qui les détermine. Comme si nous avions accès aux pensées du quidam.


Costumes de Yasmina Giguère
Musique de Pascal Robitaille
Direction de production de Philippe Venne

Une production Les Fonds de Tiroirs


Bibliothèque Gabrielle-Roy
350, rue Saint-Joseph Est
Billetterie : Billetech
 
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 Critique
Critique

par Odré Simard

Après Vie et mort du Roi Boiteux de Ronfard présenté dans une ruelle, puis La Cerisaie de Tchekov dans un parc, Frédéric Dubois et Les Fonds de Tiroirs récidivent avec la même fraîcheur en nous proposant une pièce de l'Espagnol Rodrigo Garcia, en plein quartier St-Roch.

En position de voyeur, bien assis derrière les vitres-miroirs de la Bibliothèque Gabrielle Roy, nous sommes les spectateurs/témoins d'un théâtre au réalisme humain à couper le souffle. Grâce à leur micro, six personnages se relaient à l'extérieur afin de nous susurrer à l'oreille la petite et grande misère de leur existence. Les acteurs rendent l'illusion de leur appartenance au milieu saisissante. Nous avons soudainement accès aux élucubrations diverses de gens à l'allure parfois ordinaire parfois marginale, mais toujours dans les limites de qui nous pourrions rencontrer en ce même endroit, entre la pharmacie, le Walentino, la Brûlerie St-Roch et la bibliothèque. Le premier nous parle de ses pulsions de violence, la seconde peine à  surmonter le drame d'un ami suicidé, nous rencontrons ensuite une prostituée fatiguée de sa vie de misère, puis une femme dont le passé familial n'est pas réglé, pour continuer avec un drôle d’individu s'impatientant du retard de son autobus pour finir avec un homme racontant l'absurdité de la vie à son bébé. Tous ont des âmes torturées, et tous nous livrent un discours transgressant plus d'une fois ce qui est socialement permis d'être dit.

Le lieu opère sur le spectateur une magie hors de l'ordinaire, ne sachant plus distinguer le jeu de la réalité.  Avec les sifflements d'oiseaux ainsi que le ronflement des autobus retransmis par la captation des micros, les bosquets offrent une ambiance sonore particulière en plus de nous permettre de partager une certaine intimité avec les personnages et les innombrables figurants qui, sans le savoir, traversent notre champ de vision tout au long des six monologues.  Leur réaction est une part des plus divertissantes du spectacle, la plupart ne comprenant pas que cet individu qui se parle seul est en fait un acteur regardé par une foule, les passants font comme si de rien n’était pour la plupart, ou encore regardent avec curiosité ces « énergumènes », mais toujours avec une authenticité dont on prend un malin plaisir à contempler. Pour ce qui est de l'interprétation, une montée dramatique est tout à fait palpable dans chacun des monologues, mais il semble difficile de construire une certaine montée d'un monologue à l'autre. Nous aurions peut-être espéré des croisés ou, encore, un dialogue, afin de diversifier le rythme. Bien que chacun des textes soit intéressant, cela devient quelque peu difficile de rester accroché à l'histoire, sensation accentuée par l'éloignement des acteurs. C'est en effet un contraste étonnant que d'avoir l'impression de vivre une intimité avec chaque personnage puisque les écouteurs nous transportent dans une bulle, comme si nous avions accès au discours intérieur de ces individus, et que d'un autre côté, l'effet d'une vitre qui nous sépare finit par produire une distanciation et nous donne plus de difficulté à apprécier la présence des acteurs.

La pièce semble écrite pour être jouée de façon invisible parmi les véritables personnes qui se promènent innocemment ; cela fonctionne admirablement bien. Heureusement, les textes de Garcia ont été adaptés à notre contexte nous donnant des référents très concrets tels que « Stephen Harper », « Les Canadiens » ou encore « la rue du Pont », ce qui vient bien ajouter à la crédibilité des personnages. D'ailleurs, bravo à Jonathan Gagnon et Steeve Gagnon pour l'insertion de leurs textes qui se marient parfaitement à l'ensemble.

Les Fonds de Tiroir ont encore une fois relevé un défi de taille : c'est avec émotion que l'on reçoit ce privilège de voir d’une différente manière ces gens qu’on croise tous les jours sans trop les voir. Il nous est donné de percevoir leur mal-être et leurs sentiments profondément humains, le temps d'un simple passage, pour redevenir ensuite anonymes. La magie continue d'opérer après la pièce au croisement des véritables acteurs de St-Roch auxquels on se surprend à prêter une histoire...

20-08-2011