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Du 12 au 30 avril 2016, mardi et mercredi 19h, jeudi et vendredi 20h, samedi 16h
Fendre les lacs
Texte et mise en scène Steve Gagnon
Assistance à la mise en scène, direction de production et régie Adèle Saint-Amand
Avec Marie-Josée Bastien, Pierre-Luc Brillant, Véronique Côté, Marie-Soleil Dion, Renaud Lacelle-Bourdon, Frédéric Lemay, Guillaume Perreault, Claudiane Ruelland

Huit personnages vivent autour d'un lac. Des hommes, des femmes, qui ont des chenilles, des papillons, des peuples en migration dans les jambes et dans le ventre.

C'est aussi et surtout une envie folle de bousculer les choses, de ne pas avoir peur de se tromper ou de s'égratigner et de ne pas se complaire dans un confort qui parfois nous prend à la gorge et nous donne la terrible sensation de passer à côté de tout.

Auteur remarquable et remarqué, Steve Gagnon nous revient (après La montagne rouge sang en 2010) avec un texte dont la parole et le geste sont parfois tendre et presque toujours sans compromis.

Il y est question du temps, qui passe plus vite que ce que l'on pense et malgré nous; de l'absence, des autres, de soi-même parfois, de foi, de sens, de croyances; de personnages, maladroits, qui semblent étouffés par la forêt qui s'étend devant eux, mais qui le sont véritablement par la peur de devenir des hommes et des femmes. Finalement, le lac, seule voie traversable, deviendra l'espace qu'il leur faudra fendre pour s'en sortir.


Décor Maude Audet et Marie-Renée Bourget Harvey
Costumes Jennifer Tremblay
Éclairages Martin Sirois
Musique Uberko
Conseillers à la dramaturgie Chantal Poirier, Jean-Michel Girouard et Mélissa Verreault

Production du Théâtre Jésus, Shakespeare et Caroline


Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : 418-529-2183

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Critique

Ils sont huit et ont la détresse au cœur, bouillante comme un long cri qui couve sans trouver de point à l’horizon pour s’échapper. Huit plantés sur les bords d’un lac autour duquel achoppent leurs vies. Huit dont le souffle se suspend le jour où Adèle, la figure maternelle, ramène de la forêt, où elle l’a trouvé, le corps de l’un des leurs. Une découverte qui a l’effet d’une claque sur leur communauté et fera prendre conscience à certains du marasme étouffant dans lequel ils pataugent au milieu de paysages immenses et beaux. L’équilibre fragile de cette communauté, comme coupée du monde, est bouleversé par la mort de cet homme, qu’on découvre peu à peu avoir été un des piliers du groupe.


Crédit photo : Daphné Caron

Avec Fendre les lacs, présenté au Jamais Lu en 2015, Steve Gagnon propose une nouvelle pièce chorale au souffle aussi fort que l’inertie et l’ennui qui engluent ses personnages. Le jeune auteur a développé un style unique dans le paysage dramaturgique québécois. Dans sa langue rêche et hachurée, qui se cherche autant qu’elle jaillit parfois de la gorge des personnages par grands jets de colère ou comme des cailloux qui coulent à pic dans le lac, Gagnon trace le portrait d’une communauté en quête de son identité, et nous offre une jeunesse qui ne sait pas ce qu’elle est ni ce qu’elle veut être, mais qui n’a pas la force d’aller plus loin pour trouver des pistes nouvelles ou fendre ce paysage qui l’asphyxie. Ils ont la vingtaine, mais n’ont encore jamais vu le monde. La poésie de Steve Gagnon est celle d’une tragédie brute qui emporte tout et ne laisse personne indifférent.

La distribution réunie par l’auteur et metteur en scène se donne tout entière à ce poème rural, faisant corps avec le récit. Véronique Côté est bouleversante en jeune mère et veuve dépassée par le vide laissé par son mari, dont elle sent encore l’odeur partout, et par les tentatives d’étouffement de son fils (très juste et fragile Frédéric Lemay). Karine Gonthier-Hyndman tire également son épingle du jeu en Élie, la femme marin qui décide un matin de prendre le large, et nous offre la petite lumière d’espoir qui finira par éclaircir l’épaisse forêt.

Sur la scène, un large bassin, bordé d’arbres décharnés, prend tout l’espace. Et l’eau envahit tout, les vêtements, les bottes, jusqu’aux vies des hommes et des femmes qui habitent les berges du lac. Il n’y a de place pour rien d’autre que ce lac aux eaux paisibles, mais qui cache un fond de vase duquel ils ont du mal à s’extirper. « On est dehors, pis ça sent le renfermé », dira l’un d’eux avec justesse. Là, rien ne pousse, que la moisissure et les champignons.

Fendre les lacs raconte l’histoire de chacun de ces personnages, sans jamais se perdre en chemin ou s’essouffler. Au contraire, elle laisse l’impression d’une fresque maîtrisée à la fois précise et bouillonnante, où les mots sont portés par une charge émotive à fleur de peau.

13-03-2016