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Du 30 novembre au 11 décembre 2010
PillowmanLe Pillowman
Texte de Martin McDonagh
Traduction Fanny Britt
Mise en scène de Denis Bernard
Avec Antoine Bertrand, Frédéric Blanchette, David Boutin, Daniel Gadouas, Audrey Rancourt-Lessard

Nous sommes dans un État totalitaire. S’il travaille dans un abattoir, Katurian se définit avant tout comme un auteur. Il a des centaines de nouvelles à son actif. Écrivain dans l’ombre, il n’a pour tout public que Michal, son frère aîné, un homme demeuré dans l’enfance : il est juste un peu lent, dira Katurian, qui s’en est fait le protecteur suite à la mort de leurs parents.

Un jour, Katurian se fait embarquer pour un interrogatoire. Il est en garde à vue, les autorités s’intéressent à ses écrits. Katurian ne comprend absolument pas pourquoi. Tupolsky et Ariel, deux inspecteurs chargés de l’enquête qui aiment bien « croquer de l’auteur » à l’occasion, voient les choses autrement… Car ce que Katurian ne sait pas, c’est que trois enfants sont disparus dans des circonstances qui ne sont pas sans rappeler certaines de ses nouvelles.

Avec Le Pillowman, l’auteur anglo-irlandais Martin cDonagh explore la puissance de la création et notre besoin d’inventer et de se faire raconter des histoires. Des contes qui, bien souvent, nous plongent au plus profond de nous et dévoilent nos craintes, nos fragilités et nos contradictions. Empreinte d’une grande humanité, cette comédie noire soulève également une importante question : est-ce que l’artiste est responsable des conséquences que sa création peut avoir sur son environnement? La question est terrible et McDonagh en a fait une fable captivante dans laquelle un auteur devra peut-être choisir entre son œuvre et sa vie. « Il était une fois… » : qui aurait cru que ces simples mots avaient autant de pouvoir?

Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Mérédith Caron
Lumières : André Rioux
Musique originale : Ludovic Bonnier
Accessoires : Patricia Ruel

Une production du Théâtre de La Manufacture

Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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Dates antérieures (entre autres)

La Licorne - Du 13 janvier au 21 février 2009
Théâtre du Bic - Du 25 au 27 novembre 2010

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 Critique
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par Sylvie Isabelle

Le Théâtre de La Bordée reçoit ces jours-ci le Théâtre de la Manufacture qui y effectue un arrêt au cours de sa tournée avec sa pièce Le Pillowman. C’est la deuxième pièce du dramaturge irlandais Martin McDonagh à laquelle la troupe s’attarde, après La reine de beauté de Leenane. Cette fois-ci par contre, on peut facilement s’imaginer en Irlande comme ailleurs, et même dans un état futuriste : la pièce a pour seul décor la cellule où est détenu Katurian, un employé d’abattoir qui écrit des « histoires ». Depuis sa création en 2003, la pièce a été jouée à travers le monde et a obtenu de nombreuses distinctions : au sortir de cette pièce au suspense habile, on comprend facilement pourquoi.

Katurian, joué par Antoine Bertrand, est amené de force en pleine nuit par deux policiers pour un interrogatoire. Lentement, il comprend que des meurtres d’enfants ont eu lieu, des meurtres calqués sur certaines des histoires qu’il a écrites et lues à son frère Michal, joué par Frédéric Blanchette. Dans l’esprit des policiers, il ne fait aucun doute : les deux hommes sont responsables, et c’est ce qu’ils prouveront, à n’importe quel prix.

Glauque à souhait, la pièce combine une dose du Silence des agneaux, des Souris et des hommes et des contes des frères Grimm. Un humour noir et grinçant la traverse d’un bout à l’autre : Le Pillowman nous fait rire, mais l’humour est utilisé de façon à faire ressortir la cruauté, des humains comme de la vie. McDonagh tisse un canevas serré, où ce que l’on croit est sans cesse changeant. Comme Katurian, il nous raconte une histoire : un conte pour adultes, inquiétant, à la finale douce-amère.

À la mise en scène, Denis Bernard combine les idées géniales et d’autres qui laissent ambivalents. Tout d’abord, ses choix de comédiens sont impeccables. Antoine Bertrand et Frédéric Blanchette forment un excellent duo : évidemment, le physique d’Antoine Bertrand est imposant. Il domine les autres comédiens par sa taille, mais, alors qu’il serait facile de croire qu’il ne pourrait rendre que la force et la brutalité, il excelle au contraire à nous communiquer une tendresse infinie pour son frère, une douceur et une délicatesse toutes maternelles. Quant à Frédéric Blanchette, il offre une performance tout simplement exceptionnelle, tout en nuances, et son Michal devient un personnage tout aussi central que celui de Katurian. Véritables miroirs l’un de l’autre, les frères sont tour à tour innocents, fragiles et cruels.

Toutefois, Denis Bernard choisit aussi de mettre en scène certains flashbacks qui éclairent l’enfance de Katurian et Michal de façon burlesque, à la limite du vaudeville. Si l’humour grinçant de la pièce mentionné plus tôt contraste habilement avec le propos noir de la pièce, ces intermèdes sont trop exagérés pour ne pas faire décrocher momentanément le spectateur. Ces moments font par contre partie intégrante de la pièce et forment à eux seuls un conte à l’intérieur du conte.

Bref, Le Pillowman est une fable pour les adultes qui aiment avoir peur : et, comme dans les contes de Grimm, la fin n’est pas forcément joyeuse. Par contre, à travers la noirceur, il subsiste un petit éclat d’espoir et de foi en l’humanité. Ce conte nous habite longtemps après la tombée du rideau, tant à cause de l’histoire que du jeu exceptionnel des comédiens.

04-12-2010

par Aurélie Olivier (2009)

La dernière pièce du Théâtre de la Manufacture, Après la fin, traitait de séquestration, d’intimidation, de prise de contrôle et de peur de l’autre. La noirceur est encore à l’honneur dans Le Pillowman, une pièce du très prisé auteur britannique d’origine irlandaise, Martin McDonagh, brillamment traduite par Fanny Britt.

Dans un État totalitaire, un écrivain (Antoine Bertrand) est interrogé par deux policiers sans scrupules (Daniel Gadouas, David Boutin). Les contes macabres qu’il invente à la pelle, et que seul connaît son frère (Frédéric Blanchette), handicapé mental, semblent en effet transposés dans la vie réelle (ils vont de la même façon se mêler à l’intrigue principale tout au long du spectacle). Les deux frères ont-il quelque chose à voir là-dedans ou s’agit-il d’une erreur monumentale?

On entend souvent dire que la télévision et les jeux vidéo, en banalisant la violence, sont responsables de sa montée chez les jeunes. La littérature, en revanche, est rarement montrée du doigt. Avec cette pièce, qui a remporté en 2004 le Laurence Olivier Award de la meilleure nouvelle pièce, Martin McDonagh s’interroge sur la responsabilité de l’écrivain (et plus largement de l’artiste) dans l’usage qui peut être fait de ses œuvres par la communauté. Multicouche, la pièce aborde également d’autres questions : celle de la privation des droits et des moyens qui peuvent être employés pour obtenir des informations en situation de crise; celle de la force des relations fraternelles; celle de la perte de l’innocence de l’enfance. Elle nous montre aussi comment chacun compose avec ses blessures, avec la violence à laquelle il a été confronté au cours de sa vie : certains exorcisent par la création, d’autres reproduisent, d’autres encore tentent de protéger ceux qui souffrent…

À l’image de la pièce, Olivier Landreville a conçu un ingénieux décor à double fond, suggérant que nombre de choses peuvent se cacher derrière ce que l’on voit. Au premier plan, une cellule matelassée, avec lit en fer, chaise et carrelage sale. Derrière des miroirs sans tain, les personnages des contes font de brèves apparitions, résolument grotesques. La mère de l’écrivain est ainsi incarnée par Frédéric Blanchette, grossièrement maquillé. Ce parti pris, s’il est gênant de prime abord (on commence par se demander si le metteur en scène Denis Bernard a voulu « économiser » un comédien), crée en fait un malaise de circonstance. Les personnages des parents sont ainsi aussi ridiculement pathétiques que leurs actions. Ils ressemblent aux marionnettes avec lesquelles ils confondent leurs enfants, soucieux qu’ils sont de les modeler, niant leur individualité. Quant aux personnages de l’enfant estropié et de la petite Jésus, ils sont tout simplement terrifiants. Les quelques effets vidéo (le visage de l’écrivain filmé par la caméra de surveillance projeté en gros plan sur les murs de la cellule), en revanche, n’apportent pas grand-chose et nous donnent plutôt le sentiment que le metteur en scène a sacrifié à la mode. Que l’on apprécie ou pas ses choix esthétiques, il n’en demeure pas moins que le talent de metteur en scène de Denis Bernard – qui a aussi signé pour le Théâtre de la Manufacture la mise en scène de Coma Unplugged, récompensé par le Masque Production Montréal en 2007 et le prix « Production montréalaise » de l’Association des critiques de Théâtre – est manifeste.

Pillowman
Crédit photos : Suzanne O'Neill

Durant tout le spectacle, la cruauté physique et psychologique est omniprésente et pesante pour le spectateur qui, de par l’exigüité et la configuration des lieux, se trouve presque au centre de la cellule, voyant même son visage se refléter dans les miroirs. Heureusement, l’humour permet de relâcher la tension de temps à autre et, constamment, on oscille entre l’horreur et la tendresse. Troublant.

La qualité du spectacle repose en grande partie sur le talent d’Antoine Bertrand et de Frédéric Blanchette. Le premier donne à l’écrivain une immense humanité, malgré son imagination tordue et les squelettes qui dorment dans son placard. Quant au second, il incarne avec subtilité le frère légèrement handicapé mental, un peu naïf, mais pas complètement, à la fois doux et cruel, impliqué et détaché. Il se dégage de leurs interactions une douceur et un amour palpables, extrêmement touchants. Une prestation que l’on retiendra.

17-01-2009

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