Supplémentaires 1, 2, 8, 15, 17 et 18 février 2006

Dans ce texte phare de la dramaturgie du XXe siècle, Beckett combine l’absurde, le jeu clownesque et le drame. Deux vieux amis attendent un certain Godot qui ne vient pas. Pourquoi l’attendent-ils? Ils ne le savent pas! Ils font le tour de l’histoire de l’humanité et passent le temps comme ils le peuvent, en regardant filer leur vie comme on attend devant notre téléviseur que quelque chose se passe.

Texte de
Samuel Beckett

Mise en scène
Lorraine Côté

Avec
Jacques Leblanc, Jack Robitaille, Denise Gagnon, Hugues Frenette, Lucien Ratio

Du 17 janvier au 11 février 2006
Supplémentaires 1, 2, 8, 15, 17 et 18 février 2006
Billetterie : 694-9721

par Magali Paquin

Œuvre phare de Samuel Beckett, «En attendant Godot» a été joué à de multiples reprises depuis sa création, en 1953, avant de se retrouver sur les planches de la Bordée. L’histoire des clochards Vladimir et Estragon, attendant sans raison apparente un inconnu dénommé Godot, doit en partie son succès à l’aura mythique qui l’enveloppe. L’identité du personnage de Godot donne lieu à de multiples interprétations, dont la plus prégnante est relative à Dieu (God?). S’inscrivant à mi-chemin entre l’absurde, le drame et le jeu clownesque, «En attendant Godot» est l’une de ces pièces que l’on a tendance à classer facilement dans la catégorie des j’aime, j’aime pas. Une pièce qui se termine comme elle a débutée, s’étalant en dialogues qui ne semblent avoir aucun but, ne peut en effet que déstabiliser le spectateur à la recherche d’une intrigue ficelée.

Or, ces conversations qui paraissent si futiles, les préoccupations du cours des jours, ne font-elles pas elles aussi parti intégrante du quotidien ? L’amitié sans attente envers l’autre, l’attente sans objectif précis, n’est-ce pas une représentation juste d’une facette de l’existence humaine ? Le fait est qu’ici, les semblants de futilité qui nous habitent sont exposés sans pudeur ni hypocrisie. Dans cette perspective, il ne s’agit donc plus d’absurdité, mais d’un regard lucide sur nous-mêmes. «Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?» «On attend.» «Oui, mais en attendant ?»… Beckett donne voix aux sans voix, dépeint l’humanité à sa manière. Le passage éphémère d’un maître et de son esclave, Pozzo et Lucky, prend un tout autre sens lorsque le premier devient aveugle et l’autre muet. Refus de regarder, refus de parler. Les mots qui se pressent aux lèvres de l’esclave à la corde au cou sont pourtant si intenses…

La scène s’étale dans la grisaille d’un sol courbe, dans le vide de l’espace et de l’horizon bleuté. Dans le ciel immense, un lourd mécanisme marque les heures au gré du soleil qui se lève ou se couche. Il marque les battements du cœur, aussi, peut-être, à la manière d’une montre témoin de l’existence. L’environnement sonore créé par les trouvailles musicales de Pascal Robitaille ne pouvait être plus approprié pour enrober la simplicité des lieux. Ses magnifiques «machines à sons» emplissent subtilement l’atmosphère, façonnant un agréable équilibre avec le dénudement visuel.

La metteure en scène Lorraine Côté s’est permis quelques dérogations aux indications scéniques, que Beckett voulait pourtant rigoureusement appliquées. Les chapeaux melon qu’auraient dû porter les quatre personnages sont ainsi absents, de même que l’arbrisseau, transformé en grand arbre dont seul le tronc et une frêle branche sont apparents. L’originalité la plus marquante est par contre d’avoir confié le personnage de Pozzo à Denise Gagnon, surtout lorsque l’on sait que Beckett, de son vivant, avait refusé toute reprise de sa pièce par la gent féminine. Le choix est heureux, tant la comédienne assure une puissante présence sur scène. Il en va de même pour les deux vagabonds, Vladimir et Estragon, interprétés respectivement par Jack Robitaille et Jacques Leblanc. Deux grands du théâtre québécois partageant la scène qu’ils ont chouchouté ou chouchoutent encore comme directeur artistique, il y a de quoi impressionner. La qualité du jeu non-verbal de Hugues Frenette, méconnaissable sous les traits de Lucky, mérite également d’être saluée.

«Rien ne se passe ; personne ne vient, personne ne va, c’est terrible», disait Estragon. Et pourtant, ce vide est meublé d’interrogations apparemment futiles et d’une quête de soi, inconsciente. N’est-ce pas ainsi que les hommes vivent ?

23-01-06