FTA 2010 - Littoral - Incendies - Forêts / Le sang des promesses

Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad

Critique de Marie-Pierre Bouchard

Salvatrices vérités

Autour de minuit, une explosion d’applaudissements retentit au coeur du Théâtre Maisonneuve. Le cycle Le sang des promesses a débuté exactement douze heures auparavant. Épuisés mais comblés, 1400 spectateurs ovationnent à tout rompre, pendant de longues minutes, délirants d’enthousiasme et de ferveur. Entouré des vingt-trois comédiens qui ont tenu l’oeuvre sur leurs solides épaules une journée durant, l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad salue l’assistance avec émotion.

Au Québec, les différents volets avaient été joués séparément à maintes reprises, mais jamais ne les avait-on fait ainsi se succéder lors d’une même représentation. C’est en 2009, lors du 63e Festival d’Avignon, que Le sang des promesses fut pour la première fois présenté dans son intégralité. Hier, à Montréal, dans le cadre du FTA, les trois premiers segments de la tétralogie ont littéralement envoûté le public (le quatrième, Ciels, est présenté individuellement).

Les trois pièces explorent la quête des origines en fouillant les liens filiaux des vivants et des défunts, à travers les horreurs de la guerre, les passions charnelles interdites, les déchirements de la migration et le gouffre des générations. La structure est sensiblement la même pour chaque volet: l’action commence dans le Québec contemporain, alors que la disparition d’un parent entraîne sa descendance dans un voyage initiatique inattendu, sur les traces brouillées du passé qui, inéluctablement, façonne le présent.

Dans Littoral, un jeune homme s’engage dans un émouvant périple afin d’offrir à son père une sépulture dans son pays d’origine, encore hanté par la guerre civile. En chemin, il fait la rencontre d’autres éclopés qui l’accompagnent dans sa mission. Incendies raconte l’enquête menée par des jumeaux dont la mère vient de mourir en laissant une mystérieuse requête par voie testamentaire: elle ordonne à ses enfants de retrouver leur père (qu’ils croyaient mort) et un frère dont ils ignoraient l’existence. Des révélations de plus en plus troublantes leur divulgueront d’indicibles horreurs qu’ils n’auront d’autre choix que d’affronter. Enfin, Forêts met en scène une intrigue touffue, dans laquelle une adolescente se voit forcée de remonter les liens du sang, à travers la lignée de femmes qui l’ont engendrée depuis plus d’un siècle, afin de reconstituer une histoire familiale complexe et bouleversante où l’abandon se répète douloureusement de génération en génération.

Ainsi, chaque pièce se déploie en une fresque épique, troublante, tragique. Chacune est un passage obligé dans les effrayantes profondeurs des ténèbres afin qu’émerge la lumière. La guerre, l’exil, les amours impossibles, les secrets et les promesses y sont des propos récurrents, autant d’obsessions universelles qui invitent aux réflexions sur la nature humaine dans ce qu’elle génère de meilleur et de pire. Le sang des promesses insuffle cette urgence de lever le voile sur la vérité qui définit sa lignée, d’en comprendre les drames et d’en percer les mystères, et de faire de cette histoire non pas une fatalité écrasante, mais plutôt une clarté salvatrice.

Sur scène se succèdent des tableaux humains d’une beauté à faire pleurer, dans lesquels se jouxtent et se superposent les époques et les histoires qui convergent ultimement vers l’identité d’un individu. Les comédiens s’enduisent tour à tour de peinture épaisse et opaque, esquissant avec conviction et fragilité, tels des peintres expressionnistes, l’aspect fugitif mais néanmoins permanent des épreuves d’une vie. Les mouvements y sont fluides, sensuels, à fleur de peau. Et surtout, des flots de mots déferlent et éclaboussent nos sens. Les dialogues y sont puissants et percutants, les monologues y sont lyriques et poétiques. Profondément humains, avec leurs forces et leurs faiblesses, les personnages sont d’une saisissante richesse. Et les morts, omniprésents, ont tant de choses à révéler...

Énumérer les scènes qui m’ont marquée ou les personnages qui m’ont le plus émue, serait fastidieux et réducteur. Faire mention de quelques dérisoires bémols parmi mes éloges serait une insulte au génie derrière cette oeuvre inspirée, grandiose et essentielle. L’expérience d’assister à la représentation de ces trois spectacles en une seule journée fut, pour moi comme pour la très grande majorité des spectateurs, un fabuleux voyage intellectuel et sensoriel, une captivante épopée, un moment de théâtre privilégié.

08-06-2010