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Carrefour international de théâtre - 26 mai 2017, 19h, 27 et 28 mai 2017, 16h
E Se Elas Fossem Para Moscow? - Et si elles y allaient, à Moscou?
Rio de Janeiro
En portugais, surtitré en français
D'après Les trois soeurs de Tchekhov
De Christiane Jatahy
Avec Julia Bernat, Stella Rabello et Isabel Teixeira

Moscou! Moscou! Ce cri de détresse et d’espérance lancé par les Trois Sœurs de Tchekhov est galvanisé, adapté et transposé dans le Brésil d’aujourd’hui. Il se mue en un vibrant questionnement sur les notions d’utopie, de liberté, sur le désir et la volonté de changement.

Olga, Maria et Irina célèbrent l’anniversaire de cette dernière, la cadette, et les spectateurs sont conviés à la fête. La soirée se tient en deux temps, théâtre et cinéma, dans deux espaces distincts. La pièce, jouée dans un de ces espaces pour une moitié du public, est filmée sur le vif par trois caméras intégrées à l’action; les images sont mixées en direct et le film est projeté simultanément dans l’autre espace, devant l’autre moitié du public. Après l’entracte, les spectateurs changent de salle.

Ce sont deux versions complémentaires et très différentes de la même œuvre qui sont proposées : l’une, festive, participative et décomplexée, pulvérise la frontière entre la scène et la salle; l’autre, plus intime, poétique et introspective, donne accès aux coulisses, à des moments privilégiés et des angles de vue exclusifs. Et dans ce dispositif étonnant de finesse, d’invention et d’efficacité, ce sont trois actrices incandescentes, qui, selon le cas, brûlent les planches ou crèvent l’écran.


Section vidéo


Adaptation, scénario et montage Christiane Jatahy
Collaboration au scénario Julia Bernat, Paulo Camacho, Stella Rabello, Isabel Teixeira
Photographie et vidéo live Paulo Camacho
Création des décors Christiane Jatahy et Marcelo Lipiani
Costumes Antonio Medeiros et Tatiana Rodrigues
Musique Domenico Lancellotti
Éclairage Alessandro Boschini et Paul Camacho
Conception sonore Denilson Campos
Musicien et technicien vidéo Felipe Norkus
Ingénieur vidéo Bruno Drolshagen
Ingénieur du son Ben Hur Machado
Mix live (cinéma) Francisco Slade
Régie générale et lumières Leandro Barreto
Régisseur plateau Thiago Katona
Directeur de tournée Henrique Mariano
Photo Aline Macedo

Durée 4h

En marge des spectacles :
Entretien avec les artistes, samedi 27 mai

Achat à l'unité : 49,50$
* Taxes et frais de service inclus

Production Cia Vértice de Teatro
Production en tournée Le CENTQUATRE-PARIS
Coproduction Le CENTQUATRE – PARIS; Festival temps d’images; Zürcher Theater Spektakel ; SESC – Servicio Social do Comercio


CarrefourCaserne Dalhousie
103 Rue Dalhousie
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne

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Critique

La 18e édition  du Carrefour « en salle » commençait de superbe manière hier avec la présentation de la pièce cinématographique – ou du film théâtral, c’est selon – E Se Elas Fossem Para Moscow? - Et si elles y allaient, à Moscou?, de la jeune réalisatrice et metteure en scène brésilienne Christiane Jatahy.


Crédit photo Aline Macedo


Crédit photo Caique Bouzas


Crédit photo : Aline Macedo

La Carioca, maintenant établie en Europe, s’est fait connaître il y a quelques années grâce à Julia, une adaptation audacieuse de Mademoiselle Julie de Strindberg, mélangeant prises de vue en direct et théâtre, une technique qu’elle continue d’expérimenter et qui est devenue sa « marque de commerce ». En 2014, elle s’inspire des Trois sœurs d’Anton Tchekhov pour aborder le thème du changement : « comment fait-on pour changer vraiment? », fera-t-elle dire à Irina, qui regarde le public droit dans les yeux, en fin de représentation. Jatahy s’interroge sur le temps, sur le passé, l’avenir, combinés dans un présent qui n’est ni tout à fait réel, ni tout à fait fiction. Avec Et si elles y allaient, à Moscou?, elle veut « franchir la ligne du présent ». La pièce, écrite, montée et interprétée avec une incomparable précision technique par toute l’équipe, s’avère une fascinante expérience.

Du texte original, Jatahy ne conservera essentiellement que les personnages principaux. Ouste Natacha, le Baron, Tcheboutykine, Fedotik… Même le mari de Maria (Macha, dans la version russe) n’apparaitra que furtivement, et l’amant d’Irina, Saliony, se manifestera plutôt comme un flirt par SMS, un homme qui semble par ailleurs avoir une mauvaise influence sur la jeune femme qui se scarifie pour lui. Christiane Jatahy extirpe le trio de la Datcha Blanche de Yalta du début du 20e siècle pour les catapulter dans le Brésil d’aujourd’hui – on y entendra The Cure, George Michael ; on parlera des politiques du président illégitime Temer, des Pussy Riots. En ce jour ensoleillé, on célèbre le 20e anniversaire d’Irina, bien qu’il soit teinté par le décès du paternel, survenu un an plus tôt. La fête pousse les trois femmes à réfléchir sur le temps qui passe, leurs désirs d’ailleurs, leurs désirs tout court. Olga, ne se sentant plus très jeune, joue à la mère et se remémore des moments où les yeux des hommes la dévoraient ; Irina rêve, de son côté, de partir vers Moscou, découvrir le socialisme, Lénine, Dostoïevski… autant aller visiter un cimetière, s’exclame Olga. Maria, dont le cœur est un « piano fermé à clé », n’a obtenu du mariage que des bribes du bonheur promis. Amère, elle tentera de trouver des réponses dans les bras d’un amant d’un soir, un ami d’enfance de passage pour la fête d’Irina. Trois femmes orphelines laissées à elles-mêmes, prises dans les pièges invisibles de la solitude et des désirs inassouvis, paralysées entre émancipation et renoncement.

Mais comment propulser le public au cœur de cette profonde réflexion ? Les spectateurs assisteront deux fois à la représentation, dans un ordre dicté par le hasard ou préétabli : la pièce, dans toute sa folie, sa théâtralité, incluant certains comédiens-techniciens qui tourneront autour des protagonistes pour changer les décors et s’occuper des multiples caméras, et la version cinématographique, montée en direct par la metteure en scène et projetée dans une autre salle. Deux expériences distinctes qui viennent se compléter admirablement bien. Si une certaine redondance est inéluctable, elle ne cause heureusement aucune irritation, bien au contraire. Alors que le film, qui peut prendre parfois des airs de cinéma expérimental, arrive à isoler les personnages ainsi que plusieurs dialogues souvent inaudibles sur scène, la version théâtrale donne l’occasion de voir le devant et l’envers du décor en même temps. Une opportunité qui peut donner l'impression d'avoir accès à une image plus complète de la représentation, mais qui peut aussi s'avérer par moment très déroutante. De plus, les dernières scènes sombrent dans un certain expressionnisme, voire un suspense horrifique, brisant l’ambiance « drame contemporain » établie depuis le début du programme ; des séquences qui prennent une véritable pertinence sur grand écran.

Les trois comédiennes, Julia Bernat, Stella Rabello et Isabel Teixeira, offrent une performance exceptionnelle. Brisant allègrement le quatrième mur, elles sont rayonnantes, vibrantes, généreuses et d’un naturel stupéfiant.  

Hybride débridé, audacieux et sensuel – on rit, on pleure, les corps se touchent, s’embrassent, se mouillent dans un immense bassin d’eau transparent, se dénudent et font l’amour sur un matelas de fortune –, Et si elles y allaient, à Moscou? interroge le désir (utopique) de changement, les illusions, les frustrations. « Jusqu’où va la fiction que nous créons ? » demande Christiane Jatahy. Et si, malgré tous les artifices, elle s’approchait d’une certaine vérité ?

27-05-2017