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Carrefour international de théâtre - 26, 27 mai, du 1er au 5 juin 2016, 19h, 28-29 mai 2016, 14h
Les affinités électriques
Québec
Texte David Adjmi
Traduction Joëlle Bond
Mise en scène Michel Nadeau
Interprètes Paule Savard, David Grenier

Dans sa monumentale demeure au cœur de l’enchanteur Domaine Cataraqui, la très charmante et très fortunée Alice nous reçoit dans un de ses salons pour le thé. Elle et son mari, John, sont de grands amateurs d’art et ils viennent de faire l’acquisition d’une œuvre, une sculpture contemporaine un peu étrange, un peu inquiétante, un peu sinistre à vrai dire, et dont Alice ne sait trop que penser. Qu’est-ce que ça représente, au juste? Et puis… est-ce vraiment de l’art?

Dans une toute première traduction française de la comédienne et auteure de Québec Joëlle Bond, jouée par la magnifique Paule Savard, prix Paul-Hébert 2014 pour son inoubliable interprétation de Violet Weston dans Mois d’août, Osage County au Théâtre du Trident, la pièce nous propose un moment privilégié autour d’un goûter en même temps qu’une réflexion percutante sur le monde d’aujourd’hui. Qu’est-ce qu’être civilisé? L’être humain ne conserve-t-il pas, sous les dehors les plus raffinés, une nature sauvage, indomptable?

En exclusivité au Carrefour, cette série unique d’une dizaine de représentations.

Nombre de sièges restreint.


Assistance à la mise en scène David Grenier
Scénographie Marie-Renée Bourget Harvey

Durée 1h

En marge des spectacles :
Entretien avec les artistes, jeudi 26 mai

Achat à l'unité : 48$
* Taxes et frais de service inclus

Production Théâtre Niveau Parking - création exclusive


CarrefourDomaine Cataraqui
2141 Chemin Saint-Louis
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne

 
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Critique

C’est au magnifique Domaine Cataraqui que le Théâtre Niveau Parking (On achève bien les chevaux, Lentement la beauté) donne rendez-vous aux festivaliers pour Les affinités électives, la plus récente création de la compagnie, exclusive au Carrefour. Accueilli au thé Earl Grey parfumé à l’eau de rose, versé dans des tasses en porcelaine, et aux délicieux cannelés, le public prend place confortablement dans un salon du domaine en attendant Alice, la maîtresse de maison.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Court (à peine une trentaine de minutes), mais dense, le texte de l’Américain David Adjmi, traduit pour la première fois en français par Joëlle Bond, aborde la solitude d’une femme lucide, révoltée à sa manière, prête à défendre ce qu’elle aime en dépit de tout. Par exemple, sans soutenir ouvertement la torture politique, elle accepte son utilisation par les autorités en place - une teinte post-11 septembre. Elle évoque l’hypocrisie du concept des droits de l’homme, de la valeur innée que l’être humain s’accorde. Bien à l’abri dans sa maison et dans son pays qu’elle n’a jamais quitté – elle voyage en visitant les musées –, elle assume sa part d’ombre grâce à sa fascination pour la cruauté. Cruauté de la guerre, qui lui a possiblement enlevé son père – citant au passage le poète Ezra Pound (le moment entre deux guerres est «une parenthèse de paix») –, de la douleur, et même – surtout – la cruauté animale, en métaphore aux comportements humains. Un petit sourire aux lèvres, elle décrit avec amusement les reportages en direct de la chaîne Discovery qui montrent quelques animaux qui s’entredéchirent – une vision presque pornographique, dira-t-elle. Elle dénigre et ridiculise aussi, au passage, mais toujours de manière très subtile, certains traits de caractère chez des amies à elle, dont Debbie, trop gentille (une sincérité qu’elle met en doute), qui n’oserait faire de mal à personne. Si elle est riche, elle trouve pourtant une certaine spiritualité dans un matérialisme réconfortant, dont ce thé qu’elle déguste à petites gorgées. Avec son attirance pour les tasses, même celles, démesurées, à Disneyland, Alice rappelle celle du pays des merveilles, qui aurait perdu la mémoire en repassant le trou du lapin blanc. C’est pour montrer sa toute nouvelle acquisition qu’elle a convié quelques personnes chez elle. Près des fenêtres trône une œuvre d’art affreuse, noire et immense, qui a causé tout un émoi chez John, son mari, parti en voyage d’affaires, ou peut-être parti tout court. L’accumulation des récents échecs relationnels, causée par sa ténacité, a créé une brèche en elle qui la pousse à la confidence.

Les affinités électives ne tire pas son titre au hasard : c’est aussi le nom d’un roman de Goethe inspiré par les travaux d’Etienne-François Geoffroy, portant sur les attirances dans le domaine de la chimie et chez les êtres vivants. Alice aborde d’ailleurs le concept de l’amour avec une certaine distance, possiblement dû au fait qu’elle n’ait pas eu d’enfant : l’amour est une préférence, c’est parce que je te préfère à des milliers d’autres que je passe du temps avec toi. Ce vide, en elle, est omniprésent dans sa conversation, sous-jacent, même si elle se convainc du contraire.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Adjmi laisse peu de clés pour décoder le personnage d’Alice et le texte, une longue conversation mondaine. Malgré certaines opinions bien arrêtées, le charme opère, et la pièce n’en devient que plus captivante. Sans jamais verser dans l’extrême, cette dame du monde nous oblige à nous positionner : faut-il la suivre dans sa réflexion? Où et quand tracer la ligne? Une notion qui devient bien relative, quand on se retrouve dans un environnement aussi plaisant, paisible et luxueux – le choix du lieu n’est absolument pas anodin.  Avec pudeur et une précision presque chirurgicale, l’auteur critique les comportements sociaux  d’une partie de la société états-unienne, ébranlée par un acte terroriste pétrifiant qui a changé du tout au tout certaines mentalités. Un élément culturel et social plus difficile à saisir, au-delà des frontières des États-Unis, par manque de référent ou n’ayant pas vécu directement la tragédie. Mentionnons au passage le superbe travail de traduction de Joëlle Bond, qui a su restituer Alice avec finesse et justesse.

La mise en scène de Michel Nadeau est précise, intimiste. Les silences et les gestes simples de la dame sont tout aussi éloquents que son discours, permettant aux spectateurs d’apercevoir quelques vérités cachées au cœur d’une Alice blessée. Paule Savard, dont on avait pu apprécier le grand talent récemment dans Mois d’août, Osage County au Trident en 2014, capte immédiatement l’attention du public, le séduit jusqu’à la dernière seconde, alors qu’elle s’enfonce dans la serre adjacente au salon privé. Élégante, affable, elle occupe l’espace avec prestance. On croit en cette femme, en ce «monstre» de la haute société, qui croira toujours que le monde, aussi cruel, laid et impitoyable soit-il, est, en quelque sorte, une œuvre d’art.

Notez que toutes les représentations affichent complet.

27-05-2016