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Carrefour international de théâtre - 25-26-27 mai 2015, 20h
By HeartPar coeur (By Heart)
En français
Écrit et interprété par Tiago Rodrigues

Dix volontaires parmi les spectateurs sont appelés sur scène et invités à s’asseoir sur une des dix chaises disposées face au public. Pendant l’heure qui va suivre, ils vont apprendre un poème par cœur, par cœur et avec le cœur, sous la férule tout en finesse et en douceur de Tiago Rodrigues.

Pendant des années, celui-ci a eu l’habitude d’apporter de temps à autre à sa grand-mère, Candida, qui était cuisinière dans un petit village éloigné, une caisse remplie de livres qu’elle lisait goulûment. Un jour, elle lui a demandé de choisir un livre, un seul, un dernier, le livre qu’elle allait mémoriser et qui l’accompagnerait jusqu’à la fin. À 93 ans, elle était en train de devenir aveugle.

Construit dans un entrelacement d’anecdotes et de citations, scandé par la répétition à haute voix du poème , le spectacle est un hommage vibrant, émouvant et unique, à la littérature, à la mémoire, à la transmission, à l’art de l’acteur et, par-dessus tout, à la liberté d’expression.


Section vidéo


Extraits et citations de William Shakespeare, Ray Bradbury, George Steiner et Joseph Brodsky
Accessoires et costumes Magda Bizarro
Affiche Westwood & Strides
Direction de production et photographie Magda Bizarro
Production exécutive Rita Mendes
Soutien à la tournée Amarílis Felizes

Durée : 1h20

Tarif régulier : 38$

En marge des spectacles - Entretien avec l'équipe de Par Coeur (By Heart) - lundi 25 mai

Table ronde : La mémoire: socle de l'identité
Dimanche 24 Mai  |  13h Le Zinc, café-bar du festival

Comment notre mémoire façonne-t-elle notre identité personnelle et sociale ? Philosophes et psychologues ont longtemps débattu de cette question et aujourd’hui, tous s’entendent pour dire qu’il ne peut y avoir d’identité sans mémoire. Tant les individus que les collectivités se constituent par une mémoire qui est en fait une construction élaborée au fil du temps, destinée à produire du sens. Comment la mémoire fonctionne-t-elle et comment influence-t-elle notre développement?
Est-elle seulement reliée au passé ou bien agit-elle dans le présent et même le futur ?

Animation : Diane Martin
Avec : Tiago Rodrigues, Véronique Côté et d’autres participants à confirmer.

Production Mundo Perfeito
Coproduction O Espaço do Tempo et Maria Matos Teatro Municipal

Le spectacle est présenté en collaboration avec le Festival TransAmériques ( FTA ).


CarrefourThéâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne

 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre

Le public du Carrefour a réservé un fervent accueil au prolifique homme de théâtre portugais Tiago Rodrigues (une trentaine de pièces en quelques années à peine), l’applaudissant chaleureusement lors de la première du spectacle Par coeur (By Heart), qu’il présentait pour la première fois au Canada. Sympathique, avenant, Rodrigues a su rapidement mettre les spectateurs à l’aise, malgré sa première demande : la représentation ne commencera pas tant et aussi longtemps que dix volontaires ne monteront pas sur scène.

Ces dix courageux devront apprendre, durant l’heure et demie du spectacle, le sonnet 30 de Shakespeare :

Quand je fais comparoir les images passées
Au tribunal muet des songes recueillis
Je soupire au défaut des défuntes pensées
Pleurant de nouveaux pleurs les jours trop tôt cueillis…

En portugais, « (apprendre) par cœur » peut se dire de deux façons : « aprender pelo coração », très proche de l’expression française, mais aussi « decorar », décorer. Comme si notre mémoire était une pièce que l’on décorait : de souvenirs, de mots, d’odeurs.

Rodrigues utilisera donc l’exercice de mémorisation du sonnet de Shakespeare pour aborder la mémoire. D’abord obsessionnelle, par son propre exemple, alors qu’il raconte avoir appris par cœur une émission de la série hollandaise Van de schoonheid en de troost, où George Steiner était invité. Ou alors par Hitler, celui avant la politique, qui pouvait dessiner la ville de Vienne à main levée, avec le nombre exact de fenêtres sur les immeubles. Puis, celle nécessaire, pour la survie culturelle de l’humanité, en abordant l’œuvre de Ray Bradbury (Fahrenheit 451 - et du coup, François Truffaut qui a adapté le roman au cinéma) ou l’histoire de l’écrivaine russe Nadejda Mandelstam, qui fit apprendre par cœur à des dizaines de personnes les poèmes de son mari persécuté, mort dans un camp de transit près de Vladivostok en 1938. Finalement, celle mystérieuse, alors que la mémoire s’envole et laisse derrière elle, pourtant, des traces indélébiles.


Crédit photo : Magda Bizarro

Le fil d’Ariane de son histoire s'avère être sa grand-mère de 93 ans, dévoreuse de bouquins, qui, devenant peu à peu aveugle, lui demande un dernier livre qu’elle apprendra par cœur pour y retourner, dans sa tête, quand elle s’ennuiera. Alors qu’elle fête ses 94 ans, elle ne le reconnait pas, mais elle lui citera par cœur le sonnet 30 de Shakespeare.

Tel un chef d’orchestre, Rodrigues bat la mesure pour faire apprendre, presque pied par pied, les vers du sonnet du grand Will. Ses histoires et ses nombreuses citations de l’émission et de certains livres viennent créer un lien émotionnel avec les mots du poème, si bien que les participants semblent démontrer de plus en plus de facilité à le mémoriser. Si les moments de répétitions des vers créent quelques longueurs, ils permettent aux spectateurs passifs de s’amuser à apprendre le sonnet ou de creuser celui-ci pour en capter toute la beauté et l’essence.

La représentation tangue ainsi entre performance théâtrale semi-interactive, leçon de mémorisation et fausse conférence ludique.

Avec beaucoup de douceur et d’humour – il n’hésite pas à sortir de son texte quelques instants pour mettre en contexte ou adapter certaines expressions à la québécoise, un effort très apprécié du public qui lui répond, le corrige ou acquiesce avec bonheur –, Tiago Rodrigues touche lentement, mais irrésistiblement, les spectateurs qu’il prend, littéralement, par le cœur, alors que l’éphémère devient humainement éternel et que la poésie devient résistance. Parce que personne ne peut nous voler notre mémoire.

25-05-2015