Après le succès de son premier spectacle Chroniques (en nomination pour le Masque du Public Loto-Québec 2004), la compagnie montréalaise de théâtre Orbite Gauche convie les amants d’happenings théâtraux à la pièce Enlèvement, séquestration et mise à mort d’un humoriste, un pamphlet théâtral qui s’interroge sur la fabrication des icônes du show-business et de ce que la société attend d’eux.

Par une froide soirée d’avril, un groupe d’écoterroristes militants séquestre l’humoriste Michel Martin, vedette du petit comme du grand écran, afin qu’il défende publiquement l’un des leurs injustement condamné à la peine de mort aux Etats-Unis. Dès lors, un étrange affrontement s’opère entre les ravisseurs et leur victime…

Présentée du 5 au 30 avril 2005 à 20h à l’Union française (429 rue Viger Est, coin Berri, métro Champ-de-Mars), Enlèvement, séquestration et mise à mort d’un humoriste cherche à interroger la valeur de la parole et de l’acte artistique dans notre société : l’art comme divertissement ou comme prise de conscience?… Jusqu’où iront les «écoterroristes» pour faire entendre leur voix? Huis-clos à l’humour décapant, le texte de Sébastien Guindon, mis en scène par Frédéric Thibaud, jette un regard abrasif sur l’espace du rire et de l’oubli.

Comme avec le spectacle Chroniques présenté en 2003 qui traversait trois continents, 10 heures de représentations en une seule journée, 100 ans, et 187 personnages, les spectateurs sont invités, avec Enlèvement, séquestration et mise à mort d’un humoriste, à vivre une expérience théâtrale différente où le happening est à l’honneur! Derrière les portes closes du show-biz, se trament de diaboliques récupérations… Les spectateurs s’en sortiront-ils indemnes?

Texte Sébastien Guindon
Mise en scène Frédéric Thibaud assisté de Catherine Vallée-Grégoire
Interprètes Annick Beaulne, Hugo Bélanger, Fannie Bellefeuille, Marc-François Blondin, Stéphanie Bouchard, Mathieu Deschenaux, Marc Donati, Rachèle Gemme, Sébastien Guindon, Normand Lafleur, Louis-Olivier Mauffette, Anne Paquet, Natasha Poirier, Serge Thibodeau
Costumes Sophie Brosseau
Éclairages Julie-Anne P.-Comfort
Musique Alexandre Fecteau
Scénographie Fanny Bisaillon-G.
Vidéo Valérie Lafrance

Informations et réservations au (514) 969-2005.
Présentée du 5 au 30 avril 2005 à 20h à l’Union française (429 rue Viger Est, coin Berri, métro Champ-de-Mars ou Berri)

 

par David Lefebvre

Il est à noter que je dévoile certains "punchs" de la pièce dans cette critique, pour expliquer plus aisément mes propos. Et il semble que cette pièce soulève beaucoup d'émotions. Je vous invite à m'écrire vos commentaires, au info@montheatre.qc.ca et je les publierai.

C’est masqué que quelques comédiens d’Orbite Gauche nous accueillent à L’Union française. Par petits groupes, ils nous conduisent vers la salle, une espèce d’entrepôt désaffecté. Dès le départ, nous nous sentons donc gentiment séquestrés par le groupuscule. Assis sur des chaises de patio, on assiste à l’attente de deux membres du clan, dont l’un, le chef, s’amuse à nous faire sursauter en lançant un objet contre le mur ou des plaques de métal, produisant un bruit assourdissant.

On fait ainsi la connaissance de Groucho (Normand Lafleur), Crapo (Marc-François Blondin), puis des deux filles du groupe (Sapho, interprétée par Fannie Bellefeuille et Puce (Anne Paquet), une sourde-muette) qui ont kidnappé un humoriste-comédien-chanteur-artiste-etc, Michel Martin (Louis-Olivier Mauffette). Ce dernier finit par comprendre pourquoi il a été enlevé : Daniel Richer, pacifiste, a été condamné à mort aux États-unis pour avoir supposément tué un policier lors d’un geste illégal, faire traverser la frontière à des réfugiés sud-américains. Martin doit prendre la parole, le lendemain soir, devant une meute de journalistes lors de la première de son nouveau film, The Christmas Pouding. Le groupe lui demande donc de prendre position et de déclarer qu’il est contre le jugement de la cour fédérale américaine qui a été rendue contre Richer. Ils veulent son droit de parole, utiliser l’humoriste, sa réputation et sa notoriété pour se faire entendre de la population. Mais sera-t-il crédible? Est-ce qu’on le prendra au sérieux? S’ensuit alors un débat intelligent et fort intéressant sur les médias qui jettent un regard trompeur sur la réalité, sur la place de l’artiste, ses opinions, ses engagements politiques du fait qu’il soit connu, son implication… Un regard aussi sur l’art de l’entertainment, sur le rôle qu’une personnalité connue a dans la société et jusqu’où il a le devoir d’agir. Puis, cette séquestration se transforme : les membres du groupe dansent d’une façon primale, barbaresque, les grands discours sur Babylone qui brûle explosent, des étrangers s’émissent dans le jeu l’espace d’un moment, ou s’installe sur le côté de la scène, dans un élément de décor qui reproduit un bureau luxueux. Quand l’enlèvement semble se terminer, tout bascule encore et se termine comme un mauvais film d’action américain, avec des mouvements absurdes style zombie jusqu’aux intonations de français international. Même Martin cite un touchant discours de Chaplin… On se retrouve donc sur les lieux de tournage du film de l’événement, dans lequel Martin joue son propre rôle. Le spectateur est alors déstabilisé, ne sachant pas trop quoi penser. Mais on ne s’arrête pas là : on nous propose ensuite une conférence avec le réalisateur du film, les comédiens, puis un cocktail avec des œuvres, des peintures, une prestation d’acrobates chanteurs, des hors-d’œuvres… On fête!

Comment doit-on se sentir tout à coup, entourés des comédiens et faisant partie de la pièce? Cette dernière partie, poussant à l’extrême le sarcasme, devrait nous rendre mal à l’aise de festoyer de la sorte, après les propos cinglants de la pièce. Mais il semble que ce n’est pas le cas, et les gens parlent et s’amusent… Cette dernière partie de la mise en scène semble alors superflue et efface tous les questionnements que le texte de Sébastien Guindon apportait.

La pièce, mise en scène par Frédéric Thibaud, semble n’avoir ni début (puisqu’elle est déjà commencée à notre arrivée, par la présence des activistes cagoulés) ni de fin, car on quitte sans avoir fait de coupure, par les traditionnels applaudissements. Nous sortons déboussolés, en se demandant : qu’a-t-on vu? Une pièce de théâtre? Un film? Un spectacle? Une critique sur la resposabilité sociale et ces soirées de première qui festoient dans le luxe total? Tout ceci en même temps, semble-t-il.

Il y a eu beaucoup de pépins à la première, dont des projections vidéo qui ne partaient pas, des logos de lecteur DVD sur grand écran, des liens qui se détachaient… Mais la plupart des comédiens étaient excellents, et les gags visuels, très “cinéma muet”, étaient hilarants. Voir Michel Martin éviter les coups de Crapo ou essayer de couper ses cordes sur le rebord d’un seau en métal était d’un grand comique. Celui-ci jouait à la perfection le rôle de l’artiste qui semble touché (un peu) par la détresse du groupe mais qui est persuadé qu’il n’est pas concerné par le problème. Anne Paquet (Puce) arrive avec aisance à faire parler son corps et ses gestes (utilisant le langage des signes) pour se faire comprendre. Marc-Antoine Blondin (Crapo) est terriblement drôle en homme incompris depuis son enfance, persécuté par tous et chacun. Fannie Bellefeuille et Normand Lafleur surjoue quelques fois, mais est-ce la mise en scène qui le demande? On sort alors souvent du cadre réaliste que la pièce semblait vouloir prôner au départ, ce qui déstabilise encore une fois l’assistance. Même si l’on comprend parfaitement que c’était le but ultime, il aurait été justifié de choisir d’aller à fond dans l’un ou l’autre des styles (réaliste ou éclaté) pour ensuite basculer vers le punch final.

Inégal, un tantinet long (surtout qu’à un moment on a l’impression que ça ne finira jamais, ce qui est le cas), Enlèvement, séquestration et mise à mort d’un humoriste comporte au niveau textuel d’excellents moments de revendications, de questionnements, mais la mise en scène, en voulant ébranler le spectateur et aller jusqu’au bout du sarcasme, tue dans l’œuf ce sentiment revendicateur qui nous a touché lors du spectacle.

06/04/2005