C’est la première création en France pour ce texte écrit dans les années soixante-dix par un auteur blanc et deux auteurs noirs : un théâtre historiquement lié à la période de l’apartheid en Afrique du Sud, puisqu’il était écrit et représenté dans les townships, ces réserves urbaines où furent parqués les noirs.

Un théâtre, né dans le quotidien de ces villes-ghettos, dont la matière est faite essentiellement des éléments de la vie réelle des populations noires, un théâtre de la nécessité écrit et joué pour que le spectateur puisse se réapproprier sa propre vie, un théâtre de la dérision et du rire, un rire cruel pour lutter contre la cruauté de la vie ordinaire hors les murs du théâtre.

À travers la recherche que mène Sizwe Banzi, le personnage principal, pour trouver des «papiers en règle», c’est à la description de la violence du système inhumain de l’apartheid que se livrent les auteurs, en le rendant dérisoire et vain, annonçant de façon prémonitoire son effondrement.

En tournée nord-américaine. une présentation de l’Usine C. une production Centre International de Créations Théatrales - Théatre des Bouffes du Nord (France)

DAthol Fugard, John Kani et Winston Ntshona

Adaptation française : Marie-Hélène Estienne

Mise en scène Peter Brook

Avec Habib Dembélé et Pitcho Womba Konga

Du 10 au 14 avril 2007
Billetterie : 514.521.4493

 

par David Lefebvre

Nous ne possédons que nous mêmes [...] nous ne laissons rien derrière nous quand nous mourons - rien sauf la mémoire de nous.
- Sizwe Banzi est mort

Le précurseur (sinon le père) du théâtre multiculturel et célèbre metteur en scène et réalisateur anglais (habitant la France depuis des dizaines d'années) Peter Brook (pensez à Moderato Cantabile, Lord of the Flies, King Lear...) est de retour à Montréal après sept ans d'absence. Il nous présente, du 10 au 14 avril 2007, sa plus récente mise en scène d'une pièce sud-américaine, Sizwe Banzi est mort, applaudie et encensée à Paris, en Suisse, en Israël, en Palestine et dans plusieurs autres endroits du globe.

Fermier noir, maintenant à New Brighton pour trouver du travail et nourrir sa femme et ses quatre enfants, Sizwe Banzi est confronté à l'apartheid et à sa violence. Alors que même ceux qui sont nés sur place arrivent à peine à pouvoir bosser, il est prié de retourner chez lui (lire ici chassé de la ville). Sur ses papiers, preuve de son existence, il n'a pas le tampon adéquat pour travailler. Avec l'aide du hasard et d'un ami, il conçoit alors un subterfuge pour s'en sortir, soit celui d'emprunter l'identité d'un mort, trouvé dans une ruelle sombre, dont le pass est en règle. Mais l'idée ne l'enchante pas : il pense alors traîner avec lui le fantôme d'un mort, alors qu'il doit lui-même abandonner son nom pour s'approcher d'un avenir meilleur... Mourir symboliquement pour une meilleure vie. Qui est-il ? Qui deviendra-t-il ?

Écrit par trois auteurs sud-africains dans les années 70, soit Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona, la pièce traite, bien entendu, de la réalité des Noirs dans le contexte cruel de l'apartheid, de l'immigration, de l'abus de pouvoir et de questions identitaires, mais avec une légèreté plutôt amusante et un côté ludique charmant. Humoristique, ironique, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi cette pièce a connu un succès gigantesque dans les townships (espèce de ghettos) du pays. Peter Brook, qui s'intéresse depuis un certain temps à l'Afrique, a demandé à deux acteurs de ce grand continent d'incarner les différents personnages. D'abord le brillant Habib Dembélé, du Mali, dont le talent de comédien, de conteur et d'imitateur lui sert énormément, débute la pièce en parlant directement à la foule pour raconter l'histoire de son personnage d'ex-ouvrier devenu photographe. Il incarne avec un plaisir contagieux ce Styles qui prend la photo de Sizwe pour le pass dont il a besoin. Physique, il joue perpétuellement des personnages : policiers, femmes, enfants... Du théâtre au théâtre. C'est le Belge, natif du Congo, et chanteur hip hop, Pitcho Womba Konga, qui campe le rôle-titre. Même si sa carrure impressionne, il est la fragilité même, l'incertitude, la naïveté.

Peter Brook a choisi la voie de la simplicité et de l'intuition pour la mise en scène de ce texte toujours d'actualité. Esthétiquement dépouillée, la scène est meublée que de quelques accessoires que les comédiens utilisent avec imagination : un chandail qui devient une serviette, un cadre (de porte) qui grandit pour dépeindre un homme grand.... En évitant le piège de l'anecdotique, il transforme ce spectacle en une expérience humaine, touchante, drôle et simple à comprendre. Tout est dans le présent : l'acteur est là et le spectateur aussi, attentif, rieur, ému. Nous arrivons à capter l'essence du peuple africain, sa douleur, mais surtout sa capacité de continuer de rire et de fêter malgré les dures épreuves qu'ils ont subies et qu'ils subissent encore. Le fait de jouer cette pièce un peu partout à travers le monde fait le constat, et ce avec force, que cette situation est loin d'être effacée de la surface du globe et que bien des peuples sont encore opprimés ou sous le joug de gens supposément plus puissants qu'eux.

Précieux moment de théâtre universel et d'ouverture sur l'autre.

11-04-2007