Supplémentaires les 8 et 9 novembre 2005

L’auteur, compositeur et metteur en scène Lewis Furey (auteur-compositeur et interprète, il a créé plusieurs albums, composé une vingtaine de musiques de films — Maria Chapdelaine, Fantastica, L’Ange et la Femme — et mis en scène plusieurs spectacles musicaux transcendant les barrières entre théâtre, danse et variétés — Starmania, Sentiments naturels —, notamment avec Carole Laure dont il réalise aussi les albums et vidéoclips) signe une relecture inspirée de la plus actuelle des pièces de Shakespeare, qu’il a mise en musique et en chansons (les dialogues et chansons du livret sont traduits par Jean-Michel Déprats).

Une œuvre d’une pertinence inégalée en ces années de croisades guerrières… Ce créateur qui a joué un rôle important dans l’univers du spectacle musical, notamment par ses réalisations scéniques avec Carole Laure, allie ici l’essentiel de son génie de musicien et de son imaginaire théâtral débridé. Puisant aux sources du théâtre brechtien, il élabore un théâtre musical aux accents d’opéra moderne. Vaste portrait géopolitique et amoureux tracé avec énergie et nervosité, ce chef-d’œuvre du répertoire élisabéthain se déroule sur dix ans de guerre fratricide ! Période transitoire qui verra Rome, de République jusque là dirigée par un triumvirat, devenir Empire au triomphe final de César Octave, dont le règne durera plus de quarante ans !

La tragédie met en opposition la politique et la passion amoureuse liant la sulfureuse reine d’Égypte, Cléopâtre, et Marc-Antoine, général romain tombé sous son charme. Sylvie Moreau et Jean Maheux incarneront ces deux fortes personnalités avec l’intensité et le talent qu’on leur connaît. Couple de légende lié à la vie, à la mort, dont la relation complexe n’a rien de la passion adolescente de Roméo et Juliette… Leur rival et vainqueur, César Octave, sera interprété par Renaud Paradis.

Texte
Shakespeare

Texte français
Jean-Michel Déprats

Mise en scène
Lewis Furey

Edition musicale, arrangements additionnels
Alcibiade Minel

Direction musicale
Stéphane Aubin

Assist. mise en scène
Régie
Lou Arteau

Concepteurs
Anick La Bissonnière, Michèle Hamel, Georges Lévesque, Alain Lortie, Claude Godin, Angelo Barsetti

Avec
Stéphane Aubin, Julien Compagne, David Cronkite, Roxanne Hegyesy, David Laurin, Jean Maheux, Sylvie Moreau, Renaud Paradis, Violaine Paradis, Sylvain Scott, Donald Taruc

Du 11 octobre au 5 novembre 2005
Supplémentaires les 8 et 9 novembre 2005
Billetterie :
866-8668 (TNM)

29 novembre 2005 - Salle Albert-Rousseau Québec
Billetterie : 418-659-6710 ou 1-877-659-6710

 

par David Lefebvre

Donne-moi encore à boire de la musique…

Paradoxe. Voilà l’un des premiers mots qui m’est venu à l’esprit quand j’ai dû réfléchir pour écrire cette critique. La pièce musicale (ou le spectacle théâtral) Antoine et Cléopâtre, présentée au TNM, est d’une simplicité complexe.

Beaucoup connaissent l’histoire du général romain, Marc Antoine, et de la reine Cléopâtre. Ces deux amants, passionnés fous, vivant la vida loca, mettent en rogne le césar de l’époque, Octave. Dans l’idée de créer un empire, il demande à Antoine de revenir à Rome. Pour empêcher l’éclatement du triumvirat (le monde est séparé alors entre trois personnes), Antoine doit se marier avec la sœur d’Octave. Tourmenté, le général renie sa femme et retourne en Égypte rejoindre Cléopâtre. Octave, outragé et voulant régner seul, déclare la guerre aux amoureux. Vaincu, Antoine se suicide en apprenant le prétendu décès de Cléopâtre. Elle le rejoindra rapidement, grâce à la morsure d’un aspic qu’elle a commandé.

Cette histoire d’amour et de politique est toujours aussi vivante de nos jours, tout comme le sont Tristan et Iseult, Roméo et Juliette… Shakespeare savait comme nul autre prélever les éléments universels d’un récit pour en faire un texte éternel. Lewis Furey, voyant la modernité (les pactes et les guerres de deux grands empires, les machinations, les trahisons, la jalousie…) d’une des pièces les moins jouées de l’auteur anglais, décide donc de monter ce spectacle. Et comme il l’a dit, il sera musical ou ne sera pas.

Le résultat est surprenant, mais pas nécessairement que dans le bon sens du terme. La pièce est presque entièrement chantée : les arrangements d’Alcibiade Minel, Lewis Furey et Jean-Michel Déprats sont magnifiques. La musique coule, accroche, berce. Les harmonies vocales sont travaillées et tous les comédiens, sans exception, possèdent de magnifiques voix, en commençant par Antoine (Jean Maheux, qui a joué Don Quichotte de René Richard Cyr), Cléopâtre (Sylvie Moreau), Enobarbus (Sylvain Scott)… Renaud Paradis, interprète d’Octave, surprend lui aussi. Les chorégraphies nous rappellent certains mouvements à la Carole Laure (signature de Claude Godin) et se fondent très bien à l’histoire. Il faut voir les danses et les parades d’Octave, sautant et prenant la forme d’un aigle, ou les multiples pas puissants qu’il exécute. Le décor n’existe pas, les éclairages (dans le programme, on parle d’architecture lumineuse, ce qui est fort à propos) d’Anick La Bissonière et d’Alain Lortie sont loin d’être banals, quadrillant parfois le fond de la scène de jets de lumière, jouant sur les orangés pour l’Égypte et les teintes plus bleutées pour Rome. Le piano trône presqu’au milieu de la scène, où les comédiens s’accoudent nonchalamment, comme si nous étions dans la chambre de la reine égyptienne.

Les grandes qualités du spectacle sont, en même temps, les défauts du projet. Le choix de confectionner des costumes de toutes les époques (Octave en homme BCBG, Cléopâtre avec une jupe aux reflets bleutés et verts, la servante au nombril à l’air), de mettre les musiciens directement dans l’action et de ne pas avoir construit de décors tangibles peuvent appeler la modernité du projet, mais enlève la grandeur, la royauté, l’impérialisme du texte original. On se retrouve devant un spectacle musical rappelant Broadway. Les musiques arrivent à nous accrocher mais ne déclenchent pas de grandes émotions, malgré, je le répète, les belles voix puissantes des comédiens. Pourtant, on ne doit pas nier que c’est audacieux. Mais on se questionne sur la pertinence de certains choix : pour pousser encore plus loin le côté contemporain, on a inséré un panneau lumineux qui clignote et on a transformé un personnage (Lépide) en élément médico-mécanique qui bégaye, en robot quoi. Évoquant la médecine cybernétique de notre époque, il m’a fait plus penser au robot de Lost in Space (danger Will Robinson!) souffrant d’anorexie. Il ne faut pas en vouloir au concepteur Patrick Dockrill, qui a fait, techniquement, un bon travail. Sans vouloir être puriste, on parle quand même ici d’Antoine et Cléopâtre, de grandes figures de l’Histoire antique…

La trame politique, complexe et intéressante, a été si diluée dans l’adaptation qu’elle perd tout son poids, sa consistance. On a préféré se concentrer sur cet amour fou entre deux êtres de deux royaumes, choix compréhensible dans ce genre de spectacle mais décevant. Certains personnages ne collent pas à leur réputation : on a l’impression que Cléopâtre est capricieuse, lâche, fuyarde devant les conflits. Elle fait croire à tous qu’elle se donnera la mort, plusieurs fois durant le spectacle, comme une enfant n’ayant pas ce qu’elle désire. Pourtant, elle fut l’une des plus grandes impératrices du monde, courageuse, séductrice, ambitieuse. Par ailleurs, les pirates de l’histoire sont si secondaires qu’on les oublie rapidement et on ressent mal la traîtrise du lieutenant de l’armée d’Antoine, qui causera sa perte…

Malgré ses grandes qualités de spectacle musical, on s’y perd, au début, dans l’histoire. Il faut alors prendre la pièce pour ce qu’elle est et s’adapter, ou quitter.

15-10-2005