Mise en scène de Barbara Nativi *

Avec Benoît Girard, Monique Mercure,
Monique Miller, Gérard Poirier, Sébastien
Ricard, Louise Turcot

Quelques jours après un déluge qui a noyé son village, alors que des meubles et quantité d'objets hétéroclites surnagent dans un grand désordre, Samuel est rattrapé par son passé. Misant sur le pouvoir du récit, le vieux Samuel et sa sœur Marthe, Marie-Claire, une amie de Marthe, William et Dorothée tentaient depuis des années de sauver leurs souvenirs en colligeant par écrit les petits et grands événements de leur vie. Mais leurs manuscrits ont disparu dans le chaos qui a suivi la catastrophe. Qui donc aura le courage de ne pas quitter les lieux pour la ville, et d'affronter la remise en ordre du chaos ?

 

*Quelques mots sur Barbara Nativi:
Barbara Nativi n'en est pas à ses premiers contacts avec la dramaturgie québécoise, puisque depuis plus de dix ans, elle traduit et met en scène, en lecture ou en espace des pièces de Michel Marc Bouchard, Normand Chaurette, René-Daniel Dubois et Lise Vaillancourt. Les amateurs de théâtre se souviendront notamment de Le Cognate, une version italienne des Belles-Sœurs de Michel Tremblay dont Barbara Nativi a effectué la traduction ainsi que la mise en scène et qui a connu un succès éclatant à Montréal en 1999. Directrice artistique du Teatro delle Limonaia et du Festival International Intercity à Florence en Italie, auteure, traductrice et metteur en scène, Barbara Nativi a effectué plus de quarante mises en scène d'auteurs de différents pays. Elle signe, avec Les Manuscrits du déluge, sa première mise en scène d'une pièce de Michel Marc Bouchard.

 

par David Lefebvre

J'ai connu, comme bien des gens, Michel Marc Bouchard par la pièce Les Feluettes, puis Les Muses orphelines. Il est l'un des auteurs québécois les plus joués à l'étranger. J'aime beaucoup sa façon de raconter la vie, sa vision sur notre société. Sa nouvelle pièce, Les Manuscrits du déluge, est maintenant à l'affiche au TNM.

Des pluies diluviennes se sont abattues sur un petit village isolé et la rivière gonflée a tout arraché sur son passage. La vague de boue a éventré la salle d'écriture, lieu où un groupe de vieillards se réunissait pour transcrire et colliger les souvenirs. Depuis l'exode de leurs enfants, ils avaient gravé sur papier la grande et la petite histoire. Maintenant, leurs travaux tapissent tout le paysage. Fragments de vies et éclats de mémoire, il leur faut tout remettre en ordre, effacer les ravages du chaos, se rappeler, restaurer, réécrire... Mais comment? Quels mots retenir de son existence? Pour qui réécrire tout ça? Dans son acharnement à sauver les traces de ce qu'ils ont été, le vieux Samuel (Gérard Poirier), leader de ce groupe, devient aveugle à la réalité qui se transforme tout autour de lui: car le déluge signifie pour certains de ses vieux comparses la chance de réaliser un rêve caché, pour d'autres, celle d'avouer des amours secrètes et de parler du futur. Secondé par Danny-l'Enfant-Seul (Sébastien Ricard), l'unique enfant demeuré dans ce village, le vieux Samuel entreprend le projet d'immortaliser l'oeuvre de son groupe d'écrivains au moment même où ceux-ci abandonnent.

Cette pièce, je l'ai sentie, vécue, admirée. Le texte, d'une beauté et d'une poésie hors du commun, nous touche et transperse le coeur. Les thèmes proposés, les catastrophes du corps, la vieillesse, l'amour, le chagrin, l'exode des jeunes, auraient pu sonner faux, mais c'est criant de vérité. C'est facile de faire le lien avec la tragédie du Saguenay (Bouchard vient du Lac-St-Jean) où l'eau a tout emporté. Pourtant il y a tant à voir dans cette pièce! C'est une belle métaphore de la vie d'aujourd'hui, où le "young is beautiful", que la vieillesse est une maladie et que nous aïeux ne servent plus à rien. La salle d'écriture n'est autre chose que la mémoire d'un peuple, d'une société. Comme le dira Dorothée (Monique Mercure), qui doit réécrire son texte sur la mini-jupe : À quoi ça sert de réécrire ses souvenirs si on ne peut pas les réinventer?

Les comédiens donnent une performance incroyable: Benoît Girard est drôle dans son personnage de William, vieux grincheux sincère; Monique Mercure en Dorothée, qui aime encore son mari, William; Claire (Monique Miller) est pétillante et naïve, Gérard Poirier (Sam) est solide et dur, lui qui a perdu sa femme qu'il aimait tant. Marthe (Louise Turcot), la soeur de Sam, est convaincante et Sébastien Ricard (Danny) nous donne un enfant-seul terrible, renfermé sur lui-même (il n'a jamais eu droit d'entrer dans la salle d'écriture, trop jeune) avec des ailes d'ange accroché au dos. Son discours final est à couper le souffle, même s'il souffre de certaines longueurs.

Le décor est troublant, c'est dans un théâtre en décrépitude qu'on entre, avec des pans de murs par terre, des loges ravagées et des papiers jusqu'en deuxième rangée. On a carrément le titre (Les Manuscrits du déluge) devant soi. En fait ce n'est pas un décor mais un lieu, un espace concret.

La poésie est sublime, les images sont fortes, la mise en scène de Barbara Nativi est touchante, juste et poignante. Il y avait longtemps qu'une pièce ne m'avait fait autant d'effets. À voir absolument.