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Mise en scène de Martin Faucher
Avec Maxim Gaudette, Macha Limonchik, Markita Boies, Pierre Collin
Le jeune Louis Laine a quitté la France en compagnie de Marthe, son épouse, pour s'installer aux États-Unis. Il travaille maintenant comme gardien du domaine de Thomas Pollock Nageoire, un millionnaire américain marié à la désinvolte Lechy Elbernon. Thomas Pollock Nageoire n'est pas riche par hasard ; il sait qu'on peut tout acheter. Il a vite fait de repérer le prix inestimable de l'amour et de l'innocence de Marthe ; il décide donc de se l'approprier par le truchement d'un marché cruel. Pour y arriver, il n'aura qu'à exploiter la légèreté qui fait de Louis une proie facile, autant face à la cupidité de Thomas que confronté au désir de Lechy. Le gâchis qui suivra ne pourra être réparé qu'à travers une purification par le feu.
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de David Lefebvre
Après avoir monté entre ses murs Kean, une captivante mais longue pièce, voilà que le TNM nous arrive avec L'Échange, de Claudel. L'idée de programmer deux pièces d'une telle longueur (L'Échange dure 2h40) une après l'autre est déjà délicat. Mais parlons de la pièce de Paul Claudel, mise en scène du toujours étonnant Martin Faucher.
Marthe (l'incroyable Macha Limonchik) et Louis Laine (Maxim Gaudette) se sont installés aux États-Unis, après avoir quitté la France. Perdu dans cette nouvelle nature, Louis Laine ne s'en laissera pas imposer par Marthe, qui pourtant ne demande qu'à aimer et servir son mari. Mais voilà que les riches employeurs de Laine, Thomas Pollock Nageoire (Pierre Collin) et sa femme, l'actrice et diablesse Lechy Elbernon (Markita Boies), arrivent et mêlent les cartes. Louis Laine tombera amoureux de Lechy, et Thomas de Marthe, qui l'achètera à Louis pour du papier (la monnaie). Tout s'achète dira-t-il, en cette nouvelle terre d'Amérique où tout est à bâtir.
Les éléments visuels nous frappent dès le début. Le tas de terre, le théodolite (outil d'arpentage), les pelles et pioches nous montrent cette nouvelle terre qui se crée, se construit. Les grandes branches, partout, serviront de métaphore au coeur de Marthe, dévasté. Puis cette arrière-scène, totalement blanche pour la première partie puis remplie d'étoiles pour la seconde, et ce lampadaire anachronique, objet du futur qui détonne sur tout le reste. Puis les personnages: Marthe en robe qui ne l'avantage guère comparée à Lechy, terriblement mince et habillée avec goût, les pieds nus de Marthe qui dévoilent sa pauvreté, les habits simples de Louis qui refuse toute responsabilité, qui ne veut que profiter de cette vie qui n'appartient qu'à lui. Les triangles qui se forment sur la scène par les trois acteurs expriment clairement le triangle amoureux Marthe-Louis-Lechy. Beaucoup d'effets visuels, subtils ou non, furent employés pour rendre plus physique le texte de Claudel. D'ailleurs, voici le principal défaut: malgré que Claudel ait inventé un langage bien à lui, jouant avec les sonorités, le texte est si lourd et rempli de comparaisons si développées, de métaphores poétiques, qu'il devient difficile de suivre la pièce. Mais les comédiens sont si brillants (je lève mon chapeau à Macha Limonchik, qui a réussi à me faire croire en une Marthe complètement dépassée, qui ne veut que servir, aimer et être dominée, et les "ohh" tragiques, dramatiques, qu'elle pousse avec une justesse incroyable, et aux autres pour leur travail) qu'ils évitent un naufrage certain de la pièce. Les mouvements des comédiens sont naturels, les éclairages appuyés et la scénographie est efficace.
La première partie, malgré cette pesanteur, nous touche et nous pousse à rester. Mais la deuxième partie gâche cette attente, n'étant que plaintes, excuses, pertes. Même si Marthe démontre un caractère beaucoup plus fort qu'on aurait pu le présager, le reste semble caricatural (Lechy ivre) et manque d'intérêt.
Photo de Yves Renaud, photographeOn dit que Claudel aimait donner à ses personnages des côtés de lui, comme la passion qui habite Lechy (il aurait fait enlever une jeune femme) rend ses personnages plus enrobés, vivants, vrais, que Faucher a su reproduire avec justesse et une certaine modernité. Par contre les clichés (l'éternelle trompée, docile, la femme libérée, diablesse, le jeune homme ardent, mais lâche et refusant toute responsabilité, l'homme d'âge mûr et riche), la complexité, la longueur, la lourdeur et la masculinité flagrante du texte, le sexisme et le catholicisme, tout (malheureusement) y est. Les comédiens et le metteur en scène ont fait un excellent travail, un tour de force, pour ne pas que cette pièce, malgré une certaine force, au fond par ses thèmes intemporels, tombe dans le pathétique. Et est-il possible, se demande-t-on après cette fin abrupte, de terminer une pièce d'une autre manière? Une pièce qui reste tout de même un classique. N'est-ce pas le journaliste Pierre Foglia qui a dit un jour que Paul Claudel avait réussi à lui faire détester le théâtre à tout jamais?
PS. Je me dois d'intervenir sur un truc qui m'a déplu et m'a irrité au plus haut point. Disons tout d'abord bravo, bravo aux comédiens pour leur concentration. Puis, pour les personnes qui ont des cellulaires, la prochaine fois que vous irez au théâtre, fermez-les, oubliez-les chez vous ou au café du coin, enfermez-les dans votre coffre à gants mais faites quelque chose. Quelqu'un a eu le culot de laisser sonner son portable durant sept « sonneries » durant la pièce, un manque de respect qui me dépasse. Merci.